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Swell, porté disparu

Swell, avant.

Ces derniers temps je me dis souvent : fini les concerts de vieux. D’ailleurs est-ce que ce sont les artistes qui sont trop vieux, ou c’est moi ? Ou les deux ? Est-ce que simplement tout ça n’est pas terminé ? Qu’est-ce qu’on est censé célébrer, sinon la disparition elle-même ? Autant aller voir quelqu’un qui n’est carrément plus là. C’est ce qu’on a fait cette semaine en se rendant au concert de Swell, privés de leur chanteur mort l’année dernière. C’est un fait : David Freel n’est plus, mais nous, nous sommes encore là pour nous souvenir, même pas de lui (c’est l’affaire de ceux qui l’ont connu), mais de nous-mêmes en train d’écouter sa voix sur les disques, déjà lointaine de son vivant, fatiguée, absente. C’est peut-être ça qui faisait de Swell l’un des groupes les plus vrais des années 90 : l’incarnation émouvante du fait de ne pas être là. Mardi soir on assistait à ce paradoxe : David Freel était parti pour de bon, mais il était présent comme jamais, moins par la photo noir et blanc symboliquement posée au bord de la scène, comme une effigie sur un cercueil, qu’à travers les chansons toujours bien vivantes. Façon de dire : si nous sommes là, c’est pour toi. Mais toi, où es-tu ? Continuer la lecture de « Swell, porté disparu »

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Torn Verlaine

Tom Verlaine
Tom Verlaine

Que pleure-t-on avec la disparition de Tom Verlaine ? Ce qui frappe, pour une légende de cette stature, c’est qu’il brillait d’abord par des qualités négatives : pas une grande voix, même si l’empreinte vocale est reconnaissable entre mille, au point d’avoir déterminé des vocations de non-chanteurs aussi notoires que Lloyd Cole ou Lawrence. Un jour, ce dernier débarque à New York, appelle Verlaine. Qui se souvient, narquois : « Je n’ai pas très bien compris ce qu’il voulait. Peut-être des leçons de chant ? (rires)… ». Ces deux-là ne se rencontreront jamais, mais il suffit d’écouter Days, du premier, pour mesurer tout ce que le second lui doit. Continuer la lecture de « Torn Verlaine »

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Stranger Teens #18 : « Put Down That Weapon » par Midnight Oil

Tout l’été, les morceaux qui ont sauvé notre adolescence.

On ne choisit pas les disques : ce sont eux qui nous choisissent. Je ne sais plus comment j’ai découvert Midnight Oil (sans doute à la radio), mais je me souviens du jour où j’ai acheté le 45 tours : avec Didier on est allés chez Contraste (qui nous rendra nos petits disquaires de province, qui nous rendra l’innocence ?). Il a pris Everything Counts (Depeche Mode 101 venait de sortir), et moi Put Down That Weapon. Chacun ses raisons, la question du goût ne se posait même pas, il n’y avait que l’enthousiasme (je me souviens d’un autre jour, plus tard, où Didier a acheté la cassette de Songs For Drella : croisant un ami commun, il s’était contenté de lui crier :“j’ai acheté un album !” au lieu de lui dire bonjour). Continuer la lecture de « Stranger Teens #18 : « Put Down That Weapon » par Midnight Oil »

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Ric Ocasek, le top 10 + 1

Hommage au chanteur des Cars

Ric Ocasek

Ric Ocasek en dix titres + 1 sélectionnés et commentés par l’auteur de l’article sur les Cars paru précédemment sur section26.

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The Cars : un cœur dans la machine

The Cars
The Cars en 1980. Photo : DR

Dans While we’re young (2015), la satire de Noah Baumbach qui confronte la génération X vieillissante avec celle des hipsters, il y a cette scène où Adam Driver (le djeunz) fait écouter au casque Eye Of The Tiger à Ben Stiller (le quadra en crise). Ce dernier lui lance : « Je me souviens quand cette chanson est sortie, c’était considéré comme naze. Mais ça fonctionne ! ». Le personnage d’Adam Driver ne peut pas saisir le retournement par lequel le ringard d’hier a pu devenir cool, et pour cause : quand Rocky III est sorti, il n’était pas né. Pour lui la chanson de Survivor a toujours été « cool » : elle n’est rattachée à aucun affect personnel qui l’aurait fait passer par toutes les phases du jugement, de l’enthousiasme enfantin sans recul jusqu’à l’attendrissement rétrospectif de l’âge mûr, en passant par les oukases du snobisme adolescent qui auraient relégué Eye Of The Tiger dans les limbes de la nullité. Ces phases de jugement, Ben Stiller les a traversées : séparer le bon grain de l’ivraie, pour finalement, la maturité venue, revenir de toutes les postures, c’est toute notre histoire.

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The Good, The Bad & The Queen of Pop

avant / après

« Now it’s time for a ballad » : le concert court depuis déjà une bonne demi-heure quand Damon Albarn se saisit de sa guitare nylon pour entamer les accords de Ribbons, extrait du dernier album de The Good, The Bad & The Queen. L’ambiance est chaleureuse et décontractée ce soir au Trianon, et la chanson se déroule comme les rubans du titre. Le métier… Seulement, à la fin du morceau, quelque chose se passe : Damon n’est pas satisfait, il nous explique que le concert est filmé, que ces images vont rester « forever and ever », bref il n’est pas content de lui et va rejouer la chanson. Pardon ? Oui. Dont acte. Et c’est reparti pour trois (un peu longues, cette fois) minutes de Ribbons. Difficile après coup de faire la différence. D’accord, la deuxième fois il était peut-être un peu plus dedans, et après ? Le bégaiement a cassé quelque chose, la grâce du moment sans retour possible a laissé place au professionnalisme de l’exécution, un ange est passé et, contre la logique linéaire implacable du temps réel, la chanson a eu lieu deux fois. Laquelle était la bonne ? Continuer la lecture de « The Good, The Bad & The Queen of Pop »

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Le flou et la transparence

Lawrence, Felt
Lawrence, captation d’image extraite d’une vidéo YouTube de Felt « Why Do I Cry » (Live London 04/12/1985)

De même que Bernard Noël a jadis postulé qu’il y avait l’écriture du voile et celle du dévoilement, de même on peut dire qu’il y a deux façons de produire un disque : la réaliste, la non réaliste. L’une vise à donner l’illusion que les musiciens sont dans la pièce, l’autre que la musique ne vient pas d’instruments joués, mais d’un « quelque part » qui serait comme le rêve de la chanson soudain magiquement rendu à notre oreille : ainsi de la lumière sur une toile de Turner, qui paraît sans rapport avec la réalité matérielle des pinceaux… Continuer la lecture de « Le flou et la transparence »

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Classe A Phair

Liz Phair
Liz Phair

Il y a un paquet d’idées reçues qui courent à propos d’Exile in Guyville, la plus connue étant que le disque aurait été conçu comme une réponse féminine à Exile on Main Street. Ce qui est à la fois vrai et faux : la plupart des chansons du disque sont déjà écrites au moment où Liz Phair s’inquiète d’un high concept qui serait à même de les emballer de façon séduisante, et surtout elle n’a pas encore entendu la moindre note du classique des Stones. Elle rattrapera son retard en cours de route, et l’idée fera son chemin : où l’on voit que Liz Phair a toute l’audace des débutants, qui compensent leur défaut d’expérience par une insouciance conquérante, mélange de naïveté et de roublardise. Continuer la lecture de « Classe A Phair »