Swell, porté disparu

Swell, avant.

Ces derniers temps je me dis souvent : fini les concerts de vieux. D’ailleurs est-ce que ce sont les artistes qui sont trop vieux, ou c’est moi ? Ou les deux ? Est-ce que simplement tout ça n’est pas terminé ? Qu’est-ce qu’on est censé célébrer, sinon la disparition elle-même ? Autant aller voir quelqu’un qui n’est carrément plus là. C’est ce qu’on a fait cette semaine en se rendant au concert de Swell, privés de leur chanteur mort l’année dernière. C’est un fait : David Freel n’est plus, mais nous, nous sommes encore là pour nous souvenir, même pas de lui (c’est l’affaire de ceux qui l’ont connu), mais de nous-mêmes en train d’écouter sa voix sur les disques, déjà lointaine de son vivant, fatiguée, absente. C’est peut-être ça qui faisait de Swell l’un des groupes les plus vrais des années 90 : l’incarnation émouvante du fait de ne pas être là. Mardi soir on assistait à ce paradoxe : David Freel était parti pour de bon, mais il était présent comme jamais, moins par la photo noir et blanc symboliquement posée au bord de la scène, comme une effigie sur un cercueil, qu’à travers les chansons toujours bien vivantes. Façon de dire : si nous sommes là, c’est pour toi. Mais toi, où es-tu ?

Je me souviens d’une interview de Blur en 1991 dans Les Inrockuptibles, ils avaient à peine 20 ans, mais déjà la conscience d’arriver trop tard. On ne parlait pas encore de « pop culture » à tour de bras, mais Damon Albarn en énonçait le principe avec une lucidité rare pour quelqu’un qui avait si peu vécu : il n’y a plus de culture vivante, juste un background de choses déjà faites, qui sont derrière nous. Désormais, la pop, ce ne serait plus inventer dans l’instant un répertoire de notes et d’attitudes, à la fois vivantes et éphémères (et d’autant plus vivantes qu’elles sont éphémères), mais reproduire les gestes déjà faits par d’autres. Memory almost full. Les années 90 ont été comme un lent engloutissement, gris d’un côté, faussement enjoué de l’autre, toujours avec le même fond de cynisme, de goût de mort : le grunge et la britpop, avec des énergies différentes, ont reflété ce sentiment de choses fanées, finies. Quoi d’autre ? Le shoegaze, ou l’éloge du brouillard, le repli fœtal, la sensation sans conscience. Et puis ? Le slowcore, toute une école américaine du spleen vaguement drogué, entre le satori et l’accablement : Red House Painters, Low, Spain, Radar Bros., Codeine, Idaho… comme une dernière étape avant l’arrêt cardiaque. Loin d’être la négation du hardcore, c’était son prolongement naturel ; l’Amérique des années 80 était speed, celle des années 90 était slow, slow, slow, mais c’était la même âme cyclothymique, qui renversait soudain la rage en calme blanc. Swell, c’était encore autre chose : ils ne célébraient rien, même pas leur propre futilité ; ils n’exaltaient rien, même pas le dégoût. Pas de nihilisme surtout. Quoi alors ? Peut-être simplement le fait de ne pas faire semblant, et de le dire avec des mots simples, sans arrière-pensée. Dans La Pluie d’été de Duras, il y a ce personnage d’idiot qui répète tout le temps « c’est pas la peine », avec une voix blanche, comme un refrain pitoyable, mais dénué de tristesse ou de plainte. C’était étrange et familier à la fois, réconfortant comme un sourire d’aveugle. Ainsi chantait David Freel.

5 réflexions sur « Swell, porté disparu »

  1. Merci Danny pour ces mots que je fais mien.
    Ayant assisté au concert (ou était ce une cérémonie?) du Marché Gare à Lyon il y a une semaine, je ne saurais user d’autres mots pour décrire l’ambiance qui y régnait.
    Is that important ? Sure, Get high.

  2. Guys, you(ve been so important to me.
    Everytime I saw you, Strasburg, Lyons,…
    Never an ounce of pretentiousness, you rang all possible emotions
    I just love you, how can this cross decades ?
    So many thanks, you can’t imagine

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