Les trois minutes réglementaires du format canonique de la chanson pop ont toujours constitué un carcan formel à partir duquel les grands auteurs s’efforcent de proposer leurs déclinaisons personnelles. Une référence contraignante et féconde à la fois. Trois minutes donc, ou un peu plus : il y a ceux pour lesquels ce n’est pas assez ; d’autres – plus rares – pour lesquels c’est déjà trop. Depuis quelques années déjà, on sait que Tony Molina est l’un des plus brillants représentants de la seconde option : celle de l’implosion des cadres plutôt que du dépassement progressif. Un as de la distillation, un maître de la condensation. Ici associé à Sarah Rose Janko (Dawn Riding), il prolonge le travail de sape déjà brillamment initié avec son premier groupe, Ovens, ou en solo. Continuer la lecture de « The Lost Days, In The Store (Speakeasy Studios) »
Étiquette : Lieu : Etats Unis
Catégories interview
Lee Ranaldo : « Ma première guitare était une raquette de tennis »
Lee Ranaldo et le Wild Classical Music Ensemble sur scène au Festival Sonic Protest.

Après avoir réalisé plus d’une centaine d’interviews, il est facile de classer les musiciens rencontrés dans différentes catégories. Certains artistes sont en pilotage automatique et accordent les mêmes réponses à tout le monde, peu importent les questions. Pour des raisons diverses et variées, d’autres répondent par deux syllabes à peine compréhensibles à chaque tentative de conversation. Et il y a les vieux briscards, qui préfèrent casser la routine en racontant leur vie à base d’anecdotes. Lee Ranaldo fait partie de cette dernière catégorie, à mille lieues de l’image parfois prétentieuse et arty que l’on pouvait accorder à son ancien groupe, Sonic Youth. Une fois l’interview terminée et le magnéto éteint, il continue de parler comme si nous venions de faire connaissance dans un café, alternant questions personnelles et récits épiques sur sa longue carrière au sein de Sonic Youth ou en solo. Ranaldo étant dégagé de toute obligation promotionnelle, l’occasion était idéale pour prendre son temps et revenir sur quelques événements marquants, de sa petite enfance et sa découverte des Beatles, à son récent investissement sur l’ambitieux projet For The Birds. Ranaldo se montrant aussi généreux en interview que sur scène, ne ratez pas son prochain concert au festival Sonic Protest le 22 mars. Continuer la lecture de « Lee Ranaldo : « Ma première guitare était une raquette de tennis » »
Catégories mardi oldie
Bobby Caldwell, Bobby Caldwell (1978, Clouds)
Bobby Caldwell nous a quitté mardi dernier, le 14 mars 2023. Si sa disparition est passée quelque peu inaperçu en France, le chanteur américain était une référence incontournable au Japon ou dans le hip-hop américain. Bobby Caldwell est né à Manhattan mais a grandi à Miami. Le jeune musicien baigne dans un environnement musical riche et varié. Sinatra, Bob Marley, la musique cubaine passent ainsi dans les oreilles du chanteur. Il débute sa carrière musicale au début des années soixante dix au sein du combo Katmandu. Repéré par Little Richard, il accompagne ce dernier sur scène avant de tenter sa chance à Los Angeles. Il est finalement repéré par TK, un label de Floride. En pleine vague disco (1978), Bobby Caldwell publie son premier album solo sur Clouds, une structure hébergée au sein du label d’Henry Stone. Continuer la lecture de « Bobby Caldwell, Bobby Caldwell (1978, Clouds) »
Catégories mardi oldie
V/A, The Rock Machine Turns You On (CBS, 1968)
Au milieu d’un océan d’albums cultes, quelques compilations se frayent tant bien que mal un chemin dans les classiques. Le format n’a pas bonne presse. Qu’elles soient dédiées à un artiste, un label, un genre, les compilations sont rarement considérées avec les mêmes égards que les albums, le format roi par excellence. Pourtant certaines d’entre elles méritent certainement notre attention. Parmi elles, The Rock Machine Turns You On a eu une réelle importance historique. En 1968, le disque est le premier sampler à prix attractif diffusé en Europe. La compilation sera ainsi suivi de beaucoup d’autres: Bumpers, Fill Your Head with Rock ou You Can All Join In etc. Continuer la lecture de « V/A, The Rock Machine Turns You On (CBS, 1968) »
Catégories chronique nouveauté
Jad Fair & Samuel Locke Ward, Happy Hearts (Kill Rock Stars)
Après avoir enregistré la bagatelle de 180 albums – en solo ou sous la bannière de Half Japanese-, et interprété au moins 2000 chansons, Jad Fair avait-il encore besoin de sortir un nouveau disque ? Pour être honnête, même les fans les plus acharnés auront ces derniers temps peiné à suivre les pérégrinations musicales de leur héros, tant sa cadence stakhanoviste de production est devenue infernale (une centaine d’albums en 2021, rien que ça). Mais voilà que l’outsider le plus prolifique de l’histoire de l’indie rock revient avec Happy Hearts, un nouvel album primesautier et diablement cool sorti chez Kill Rock Stars, qui s’impose déjà comme l’une des belles surprises de l’année 2023. Continuer la lecture de « Jad Fair & Samuel Locke Ward, Happy Hearts (Kill Rock Stars) »
Catégories chronique nouveauté
Ron Sexsmith, The Vivian Line (Cooking Vinyl)
Ron Sexsmith a déboulé dans nos vies en 1995 avec un disque qui était programmé pour régner sur le monde. Interscope Records avait en effet recruté Mitchell Froom et Tchad Blake pour le son, Daniel Lanois pour les photographies… Il faut dire que l’ami Ron avait (et a toujours) des arguments solides. Il suffit d’écouter Secret Heart et de se lancer bercer par In Place of You pour se laisser convaincre facilement. Sexsmith a ce génie d’écrire des chansons qui ont le pouvoir de changer votre quotidien. Elles vous désarment par leur simplicité, elles vous enchantent par leur mélodie. Mais l’affaire n’a pas fonctionné. Trop ou pas assez, l’ami Ron est resté coincé dans l’ombre et a dû se résoudre à jouer les seconds rôles. Bon an mal an, il a tenté de forcer le destin en publiant une petite dizaine de disques entre 1996 et 2008. Tous réussis, ils ont eu le chic de ne jamais être à la mode dans le passé et n’ont donc pris aucune ride. Et c’est un euphémisme d’écrire qu’on tuerait aujourd’hui pour avoir un type capable d’écrire les douze chansons d’un disque comme Retriever (2004). Continuer la lecture de « Ron Sexsmith, The Vivian Line (Cooking Vinyl) »
Catégories mardi oldie, réédition
Laurie Styvers, Gemini Girl – The Complete Hush Recordings (High Moon)
Comme souvent, cette histoire presque banale semble rétrospectivement s’être jouée sur des détails. Ces jeux infimes de circonstances qui finissent, à terme, par creuser les fossés qui séparent la reconnaissance, publique ou critique, des bacs à solde et de l’oubli. C’est de ce quasi-néant qu’on a fini par exhumer ces deux-là – Spilt Milk, 1972 et Colorado Kid, 1973. Ils y végétaient injustement depuis un demi-siècle dans l’attente d’une réédition bienvenue qui permet, à la fois, de réapprécier leurs mérites et de mesurer la cruauté de la première sentence qui, à chaud, les a condamnés à végéter cinquante ans au purgatoire. Pour Laurie Styvers, le point de bascule peut être daté avec un précision impitoyable : ces quelques soirs de novembre 1971 pendant lesquels, afin de promouvoir la sortie imminente de son premier Lp, elle se produit sur la scène du Troubadour en première partie d’Emitt Rhodes. Continuer la lecture de « Laurie Styvers, Gemini Girl – The Complete Hush Recordings (High Moon) »
Catégories chronique nouveauté
Yo La Tengo, This Stupid World (Matador)
Trente-cinq ans… Un bail, presque une vie d’adulte… Je me souviens parfaitement de ce disque (New Wave Hot Dogs, 1987), de cette pochette et de ce groupe au nom étrange, dont un ami, un peu plus âgé, mieux informé, me faisait chaudement la retape. À l’époque, estampillés « from Hoboken », Ira Kaplan et Georgia Hubley marchaient sur les brisées des Feelies, mais leur musique, quoique attendrissante dans ce qu’elle avait de primesautier, pour ne pas dire d’immature, restait contrainte dans sa gangue d’influences. Puis, les années ont passé, les albums se sont empilés, et peu à peu, sans vraiment faire de vagues, sans jamais générer beaucoup d’émoi, avec ce sens de la persévérance qui n’appartient qu’aux gens humbles, mais doués, Yo La Tengo a pris de l’épaisseur, de la moelle. Continuer la lecture de « Yo La Tengo, This Stupid World (Matador) »