Sinéad et moi

Elle refusait d’être filmée par des hommes. Sa directrice photo revient sur les tournages des premiers clips, avec des photos inédites.

Sinéad O'Connor sur le tournage du clip "3 Babies" par Dominique Le Rigoleur  / Photo : Seamas McSwiney
Sinéad O’Connor sur le tournage du clip « 3 Babies » par Dominique Le Rigoleur / Photo : Seamas McSwiney

Tout n’a pas été écrit sur I Do Not Want What I Haven’t Got, le deuxième album de Sinéad O’Connor. Produit par Nellee Hooper à Dublin, ce disque fut publié le 20 mars 1990 alors que le monde entier écoutait Violator de Depeche Mode sorti la veille. La machine de guerre conçue par Martin Gore n’éclipsa pas I Do Not Want What I Haven’t Got qui fut l’un des disques les plus vendus des années 90.
Enregistré avec Andy Rourke (The Smiths), Jah Wobble et Marco Pirroni (qui avait été embauché par Adam & The Ants pour Kings of the Wild Frontier), I Do Not Want What I Haven’t Got consacrait l’Irlandaise qui avait déjà marqué des points avec The Lion and the Cobra (1987). Tout n’a pas écrit sur I Do Not Want What I Haven’t Got. La photographie (ou plutôt le photogramme) utilisée par Chrysalis pour la pochette est signée, Dominique Le Rigoleur, une directrice de la photographie française. John Maybury, le réalisateur du clip, a recruté cette directrice de la photographie française car Sinéad O’Connor refuse d’être filmée par un homme. Ce premier clip sera un prélude pour Dominique Le Rigoleur.

Il s’agissait de votre premier clip ?
Dominique Le Rigoleur : Non. J’avais travaillé, je pense, pour au moins Elli Medeiros auparavant. Et après les clips de Sinéad O’Connor, j’ai travaillé avec Jean-Louis Murat, Miossec, Louis Chédid, Bernard Lavilliers, Laurent Voulzy et d’autres..

Comment s’est faite votre rencontre ?
DLR : Sinéad ne voulait être filmée que par une femme. Nous n’étions donc pas légion à cette époque. Il y avait quelques femmes camerawomen en Russie, et quelques-unes en France… Même après mai 68 et le MLF, il régnait encore à cette époque un certain sexisme sur les plateaux concernant certaines professions jusque-là dédiées aux hommes, je ne vous apprends sans doute rien. Ce n’était pas le cas dans les pays du nord de l’Europe, en Grande-Bretagne, ni au Portugal, mais en France et en Italie, c’était plus difficile !
Ils sont donc venus en France pour le tournage de ce clip. Ce fut une vraie chance pour moi.

Comment s’est passé le tournage du clip ?
DLR : Le clip Nothing compares 2 You a été tourné dans un petit studio près des Champs-Élysées. J’avais un assistant caméra et Claire Childéric était présente en tant que machiniste et électricienne. Nous avions très peu de matériel.
On a fait très peu de prises du gros plan de Sinéad qui a chanté dans un silence de mort. Elle a chanté pour nous ensuite a capella, comme l’a rappelé Edith Pommerol, qui était assistante réalisateur et régie. Je lui avais demandé de trouver un pull noir à col roulé pour masquer le cou de Sinéad, afin que, seul son beau visage demeure à l’image, ce qu’elle a trouvé très vite au Monoprix des Champs-Élysées. On a tourné le lendemain les plans où elle déambule dans le parc de Saint-Cloud. Pour son gros plan, je me suis souvenue de mon expérience auprès de Dominique Issermann, qui pour un film publicitaire m’avait demandée un éclairage spécifique, ressemblant à ce qu’elle obtenait avec ses boîtes à lumière.

Combien de temps a duré le tournage ?
DLR : Une journée de contact, repérage aussi, j’imagine, avec John et deux jours de tournage. Ensuite John a travaillé à Londres les trucages et l’étalonnage.

Et le résultat fut… 
DLR : Très beau je trouve, très fort, très émouvant. L’ensemble et le montage sont de John… Un des photogrammes du clip a été choisi pour faire la pochette du CD et le visuel des tickets de la tournée. On a reçu des invitations pour aller l’écouter à Paris. L’album a eu un succès mondial tout comme le clip qui a reçu un MTV Award. La production a fait graver très gentiment un disque de platine de Nothing Compares 2 U à mon nom.

Quelle fut votre sentiment quand le clip a remporté ce prix ? Comment l’avez-vous appris ?
DLR : Le succès s’est amplifié petit à petit, on l’entendait partout. Certains de mes collègues me félicitaient.. J’ai été très heureuse pour Sinéad et pour John et aussi assez fière bien sûr. Et plusieurs chanteurs m’ont demandée à cause de ce clip.

Est-ce que cela a changé quelque chose pour votre carrière ?
DLR : J’étais plutôt axée vers le long-métrage et les documentaires et il n’y avait pas beaucoup de passerelles avec la pub et les clips, mais cela m’a permis d’approcher les chanteurs, même Mylène Farmer (j’avais filmé des images pour ses écrans), et elle nous avait invités en places VIP a un de ses concerts, adorable personne. J’ai d’ailleurs fait un long métrage avec John Maybury, Man To Man avec Tilda Swinton qui a obtenu le Prix international de la critique au festival d’Édimbourg.

Sinéad O'Connor sur le tournage du clip "3 Babies" par Dominique Le Rigoleur / Photo : Seamas McSwiney
Sinéad O’Connor sur le tournage du clip « 3 Babies » par Dominique Le Rigoleur / Photo : Seamas McSwiney

Et vous avez travaillé de nouveau avec elle pour le clip de 3 Babies ?
DLR : Oui, toujours avec John. Ils sont revenus en France. John et Sinéad étaient très proches. Sur le tournage du clip, le chef électricien était rude ! Il parlait d’elle comme un « petit rat mouillé. » Cela nous mettait mal à l’aise. Mais, c’était un bon professionnel, qui était coutumier de ce genre d’humour gris… Elle avait raison de se méfier. Les réflexions sur les tournages pouvaient être atroces pour  les femmes.  J’en ai entendu de belles, qui, si elles ne m’étaient pas destinées étaient dites devant moi … en France et en Italie. Il faut voir ce que j’ai entendu et vu… Peu d’hommes nous défendaient. Richard Bohringer se battait pour nous, toutes voiles dehors. Mon équipe habituelle était impeccable heureusement.

Quel souvenir gardez vous de ce tournage ?
DLR : Intime pour Nothing, moins pour 3 Babies. Pour ce dernier, nous avons disposé de plus de moyens et l’équipe fut plus grande. Sinéad était quelqu’un à fleur de peau. C’était une évidence ! Sur le plateau, elle chantait sans micro. Sa voix avait une telle puissance, que lorsqu’elle était couchée sur le cheval blanc, son épine dorsale frémissait c’est visible dans le clip, ainsi que le mouvement de ses oreilles… Quelle émotion ! Quelle puissance ! Seule Isabelle Adjani a réussi à me donner autant la chair de poule en jouant Adèle H. Des souvenirs qui comptent…


BONUS : PORTFOLIO – Photographies inédites par Seamas McSwiney sur le tournage du clip « 3 Babies » de Sinéad O’Connor par Dominique Le Rigoleur

     

2 réflexions sur « Sinéad et moi »

  1. Le meilleur article que j’ai pu lire sur ce clip. Bien que je connaisse beaucoup de chose sur Sinead , je suis ravi de lire et d’en apprendre un peu plus . les photos de plateau sont un régal . Merci Dominique Le Rigoleur pour ce témoignage t’es touchant.

  2. Para mi Sinead es por lejos la mejor voz femenina que he escuchado, una potencia y a la misma vez una suavidad que te deja impresionado. Obviamente en su genero Musical. Creo que se ha ido una de las voces mas importante del ultimo siglo.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *