Stranger Teens #18 : « Put Down That Weapon » par Midnight Oil

Tout l’été, les morceaux qui ont sauvé notre adolescence.

On ne choisit pas les disques : ce sont eux qui nous choisissent. Je ne sais plus comment j’ai découvert Midnight Oil (sans doute à la radio), mais je me souviens du jour où j’ai acheté le 45 tours : avec Didier on est allés chez Contraste (qui nous rendra nos petits disquaires de province, qui nous rendra l’innocence ?). Il a pris Everything Counts (Depeche Mode 101 venait de sortir), et moi Put Down That Weapon. Chacun ses raisons, la question du goût ne se posait même pas, il n’y avait que l’enthousiasme (je me souviens d’un autre jour, plus tard, où Didier a acheté la cassette de Songs For Drella : croisant un ami commun, il s’était contenté de lui crier :“j’ai acheté un album !” au lieu de lui dire bonjour).

Je ne sais pas combien de fois je l’ai écouté, ce disque. Ça ne se compte pas, ça se répète. À l’époque on vivait à l’heure australienne : je me souviens pêle-mêle de Crocodile Dundee, d’INXS, de Mad Max 3, du rocher rouge d’Ayers Rock (pas besoin d’aller là-bas, je connais par cœur Diesel And Dust), du crâne chauve de Peter Garrett en couverture de Best, le tout sous un même soleil écrasant, fictif. C’est comme si tout ça avait eu lieu en même temps, alors que ça se compte en années, mois, semaines. À ce moment précis il n’y a pas encore de temps divisé, il n’y a que des habitudes, des routines qui s’inscrivent dans le sub specie æternitatis du collège, en attendant la vie. Écouter un disque c’est ça : on pose le diamant sur la platine, on recommence, ça pourrait durer toujours. J’ai beau faire, je ne vois pas plus loin que cette pochette, ce riff, cette construction implacable, parfaite, l’air qui circule entre les instruments, le crescendo militaire qui monte comme une vague et retombe en nappe atmosphérique. They keep talking… talking… talking. Cause toujours, oui. À l’époque Greta Thunberg s’appelait Peter Garrett, mesurait deux mètres et ne mâchait pas ses mots. Ou plutôt si, puisqu’il avait toujours l’air d’être au bord de se décrocher la mâchoire. Tout y passait : Exxon Valdez, la bombe atomique, les républiques bananières, l’amiante, les pluies acides, les Aborigènes, le nucléaire, le droit du sol et l’abandon des dieux, dans un même souffle chaud. Bref. On a tout oublié, traversé ces temps binaires du “nous”, du “ils”, encore immatures, tout recommence toujours pareil, et puis on se lasse. Mais si on devait tout jeter, faire un grand tri sélectif, brader la matière des souvenirs et jeter les idées à la benne, au bout il resterait quand même ça : les amis, la lumière des chansons.


Put Down That Weapon par Midnight Oil est sorti le 7 décembre 1987 sur le label Spring / Columbia.

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