Gamine, Voilà les anges (Barclay, 1988)

C’est fou comme certains disques sont liés à une époque, à un lieu, à une image, même si on les a écoutés longtemps après toutes ces scènes-là, même si on les écoute encore aujourd’hui – pour preuve, ma fille reconnait le groupe dès les premiers accords de cette chanson parfaite qu’est Les Gens sont Si Bizarres. Et puis, c’est Biarritz, l’été 1989, la R5 rouge et la cassette en boucle, Nathalie au volant parce qu’en bon Parisien (ou tout comme), “on n’a pas besoin du permis”. Les histoires qu’on inventait parce que nous étions toujours ensemble sans même être un couple (“Oui, nous sommes cousins”), les allers et retours aux plages d’Anglet, les verres partagées sur le Port des Pêcheurs, au Big Ben, les nuits au Play Boy, les serviettes posées sur la Grande Plage pour se remettre de la soirée de la veille, les siestes sous le soleil exactement, les sandwichs du Milk Bar, les parties de Badminton du samedi soir – j’ai encore la raquette que Nathalie m’a offerte pour ma fête, un 21 août, et je crois bien que c’était cet été-là. Et toujours, ces chansons – sauf Voilà Les Anges parce que, avant même qu’elle devienne un hit (ou pas loin), c’était celle qu’on n’aimait pas bien (je crois que dans presque tous les albums que j’adore, il y a toujours UN titre que j’aime moins, mais aujourd’hui, aujourd’hui très précisément, je le trouve en fait très bien)… Il y a eu les concerts aussi, celui du Rex Club d’abord, celui de l’Élysée Montmartre ensuite, où le groupe avait lancé entre temps la mode de la salopette et sur la scène envahie, ainsi fringués, se dandinaient des gens qui plus tard allaient travailler avec moi (hello, Jean-No) – les hasards de la vie, quoi.

Gamine
Gamine, photo de presse par Renaud Montfourny.

Le temps a passé donc, et ce disque, d’abord possédé en cassette puis racheté en vinyle (il n’y a pas si longtemps que ça), trouve souvent le chemin de la platine. Non, pas par nostalgie, juste pour l’excellence de ces chansons qui nous ont fait rêver pendant quelque temps à la possibilité d’une ligne claire version française, de ces mélodies qui trottent longtemps dans la tête et une certaine idée de l’insouciance. Juste pour profiter encore de la douceur de ces compositions, de cette impression d’être toujours en bord de mer même lorsque les premières vagues sont à quelques heures de route. Il y avait dans la RPM une rubrique baptisée L’Album Oublié. Sans aucune raison, j’avais décidé d’écrire sur Voilà Les Anges un beau jour du printemps 2010 parce que c’est vrai, j’avais l’impression que ce disque qui porte haut les couleurs pastel du romantisme n’avait pas eu le droit à la postérité qu’il méritait… Comme souvent, le texte en question, désormais disponible ci-dessous, n’a pas changé grand-chose. Le groupe, lui, s’est reformé brièvement à l’été 2018 pour une poignée de concerts auxquels je n’ai pas assisté… Deux ans avant, grâce à Frédéric Lo et Gaël Étienne – qui enregistraient je ne sais plus quel disque en Auvergne –, je me suis retrouvé au même comptoir que le chanteur Paul-Félix, dans un pub situé dans la partie vieille de Clermont-Ferrand. Mais allez savoir pourquoi, je n’ai même pas osé lui dire à quel point son disque avait embelli la fin de mes années 1980 – et même quelques autres décennies.

LE CONTEXTE
La décennie tire à sa fin mais on n’est pas au bout de nos surprises. En particulier en France. Le grand public s’est branché sur le courant alternatif, dont les fiers représentants, Bérurier Noir en tête, sont devenus les porte-paroles d’une génération pas encore X. Ce qui n’entache pas la popularité du gendre idéal Étienne Daho, toujours à la poursuite de ses fantasmes mélomaniaques en confiant la pochette de son album Pour Nos Vies Martiennes au dessinateur Guy Peellaert. Daniel Darc admet être Sous Influence Divine, les Rita Mitsouko prennent Le Petit Train et une douche avec les Sparks. Pendant ce temps, outre-Manche, la house music commence à faire des rave-ages, tandis que de l’autre côté du globe, les Australiens The Go-Betweens et The Church signent deux chefs d’œuvres invraisemblables.

L’ARTISTE
Dans leur ville de Bordeaux, les Gamine sont des gloires. Le groupe est né au tout début de la décennie 1980, autour du tandem Ahmadzaï
Paul Félix Visconti (chant, guitare) et Paco Rodriguez (guitare). Épris de rock garage et de mélodies sixties, il devient l’un des fers de lance d’une scène locale, fièrement incarnée par les Stilettos et autres Standards. Entre deux reprises, quelques 45 tours et maints changements de formations, Gamine se trouve de sacrés parrains (les Barracudas Robin Wills et Chris Wilson, producteurs d’un mini-LP), fait du gringue à l’Espagne et écluse les scènes françaises. Un passage télé et une cover de Gainsbourg (Harley Davidson) plus tard, le groupe a gagné en notoriété et finit par signer en 1986 sur Barclay, une structure de renom alors bien décidée à rajeunir son image.

L’ALBUM
Pour sceller son arrivée sur son nouveau label, Gamine lance une belle invitation, annoncée par une guirlande d’arpèges chatoyants et un harmonica alerte. Pour Le Voyage, Visconti et Rodriguez laissent entendre qu’ils en ont assez de se rêver en Jagger/Richards pour mieux se fantasmer en Morrissey et Marr. Mais l’essai, paru en 1986, attend transformation. C’est chose faite juste au printemps 1988, avec un culot et un aplomb étourdissants. Si chère à nos cousins d’Angleterre, la ligne claire épouse enfin le french flair et en dix chansons cachées sous une pochette bâclée, ces Gamine-là deviennent majeures. Entre une profession de foi virevoltante (Être Roi) et une bourrasque rockab’ dans la langue de Shakespeare (Koelkast), les Bordelais multiplient les riffs volubiles (L’Autre), sortent indemnes du tourbillon mélodique de Voilà Les Anges, ou flânent en acoustique le temps de Dress Up. Quelque part entre Shack et les Smiths, jamais loin de The Church (pour s’en tenir aux contemporains), ces jeunes gens offrent à la mélancolie une bande originale indémodable (Les Gens Sont Si Bizarres) et effeuillent un romantisme à fleur de peau en dépeignant Nos Sentiments. Touchés.

LA REPRISE
Connu pour sa facilité à s’approprier le répertoire des autres, le groupe s’attaque sur l’album à la magnifique ballade de l’ex-Soft Machine Kevin Ayers, figure emblématique d’un certain psychédélisme en version britannique. Avec ses faux airs du I’ll Be Your Mirror du Velvet Underground, sa mélodie d’une rare élégance et son thème mutin, May I (dont il existe aussi une version française, son auteur maîtrisant à la perfection notre langue) ouvrait de fort belle manière le deuxième album solo du barde anglais, Shooting At The Moon (1970). Tout en restant fidèles à la version originale (inégalable), Paul et ses compères s’en tirent néanmoins plutôt bien, en ayant entre autres la bonne idée de faire se succéder les textes anglais et français.

LA SUITE
Grisé par ce succès d’estime ou paralysé par la réussite artistique, le groupe rate dans ses grandes largeurs le successeur Dream Boy (1990), plus anglophone et victime d’un éclectisme mal maîtrisé. Surtout, les querelles d’ego ont fait leur apparition. Après une décennie de cohabitation, le torchon brûle entre Paul et Paco, jusqu’a réduire en cendres les espoirs placés en eux. Gamine se suicide, laissant ses deux têtes pensantes se fourvoyer dans leur projet respectif – Real Atletico pour le chanteur, Mr Kuriakin pour le guitariste. Converti dans les années 90, le premier est depuis devenu moine bouddhiste. Quant au second, il coule des jours heureux à Goa, où il poursuit ses expériences musicales, tout en ayant remisé ses guitares au placard pour leur préférer l’exotique sitar.


Voilà les anges par Gamine est sorti en 1988 chez Barclay.

4 réflexions sur « Gamine, Voilà les anges (Barclay, 1988) »

  1. un disque charnière pour moi , c’est mon frangin décédé tres jeune à l’age de 20 ans dans des conditions tres tragique qui ma transmis l’amour pour cet album , avant 1988 j’ecoutais que de la soupe et mon frangin la veuille de sa mort ma offert cet album , et désormais musicalement pour moi plus rien ne serais plus comme avant ,je suis subitement devenu mélomane en 1988

    1. Souvenir de leur première partie des Nits à Angers lors d’une tournée sponsorisée par Ricard ( si je ne me trompe pas )…Le groupe affichait des carences rédhibitoires sur scène : chant approximatif, batteur lourdingue et morceaux délayés – ce que montre déjà la version studio de Voilà les anges – …Le public s’était très rapidement ennuyé et avait réclamé les Nits assez bruyamment; d’où la réaction agacée du chanteur. La comparaison avec le groupe de Henk Hofstede allait s’avérer assez cruelle tant la qualité du songwriting, l’aisance technique ( la virtuosité pour ce qui concerne RJ Stips et Rob Kloet ) et la capacité à sublimer des morceaux déjà exceptionnels caractérisaient alors les hollandais… le rock d’ici et ses limites, une vieille histoire …

  2. C’est vrai que DreamBoy m’a déçu après VLA. Vus aussi en concert à La Maison du peuple de Clermont-Fd à l’époque de ces tournées multi-groupes.
    le chanteur était passé au bar de la salle pendant un autre gig et j’avais eu plaisir à aller le saluer.
    Je réécoute régulièrement VLA en vinyle (acheté bien sûr à l’époque chez Spliff records).
    Sans doute un de mes groupes français favoris for ever.
    Vincent

  3. Bon dieu, je n’avais pas écouté ça depuis tellement d’années… et VLA tient encore sacrément bien la route… et je me souviens de Paco nous donnant quelques tuyaux (nous = les objets), il était cool ce Paco.

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