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Shannon Lay : « J’assume mon super pouvoir : tenir une salle rien qu’avec ma guitare et ma voix. »

Shannon Lay
Shannon Lay / Photo : Denee Segall

“Ainsi, l’apparition de Shannon Lay apparut”, aurait-on pu transcrire, un peu pataud.

Une silhouette bleue arc-boutée, recroquevillée sur un bitume en bordure de grève, des mèches rousses dissimulant les traits d’un visage enfoui, l’océan ne faisant qu’un avec le ciel grisâtre. C’était l’image de Living Water, il y a presque cinq ans, déjà. On y entendait un oranger, une lune lésée, un soleil précieux. Et puis ce Recording 15 comme extrait de la mémoire d’une boîte vocale, une confession qu’elle n’avait pas pris le temps de titrer tant il y avait urgence à chanter ce qu’elle préférait ne pas ressentir. Sa voix désarmait à ne pas vouloir trop en faire non plus, elle visait toujours juste dans le désir et la mélancolie. Comme d’autres avant elle, elle semblait situer la bonne distance entre l’intime et le mystère, la candeur et la noirceur. Continuer la lecture de « Shannon Lay : « J’assume mon super pouvoir : tenir une salle rien qu’avec ma guitare et ma voix. » »

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Shannon Lay, Geist (Sub Pop)

J’aurais pas dû apprendre à parler
Un monde sans mots
Comme j’aurais préféré
Vivre dans un monde où le sens ne prend pas de sens

Tamura Ryûichi

Le vieux Tamura n’a pas trouvé le monde sans les mots, même s’il l’a un peu vu.

C’est une légère nuance.

C’est une joie d’apprendre à fermer son claque-merde. C’est une joie de dire, de s’exprimer, de créer, en fermant son claque-merde. Ou en le laissant s’ouvrir, en le laissant se refermer, en se laissant être inaudible, sans situation, sans direction. Invisible, ou visible dans l’invisible. De l’eau dans de l’eau.

Ploc.

Et parfois un courant, une fluctuation. Plus forte que les autres. Mais comme on est bien peu de choses, comme on n’est pas grand-chose de plus que de la flotte dans des milliards d’hectolitres de flotte, on peut couler tranquillement, épouser le courant, voir du pays avec lui.

Puis constater qu’on s’est laissé attraper par un autre, et un autre, et un autre, et ainsi de suite.

Et donc se laisser attraper d’abord par la voix de Shannon Lay. Continuer la lecture de « Shannon Lay, Geist (Sub Pop) »

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Low, HEY WHAT (Sub Pop)

Dans mon quartier, enfin là où j’habite parfois, il y a une femme qui crie souvent, presque tous les soirs entre 21 heures et 23 heures, elle fait son apparition. On ne sait jamais si elle engueule quelqu’un en particulier ou l’humanité toute entière. Personne ne s’occupe d’elle, personne ne la rassure, personne, pas même la personne à qui elle semble s’adresser, personne ne fait plus attention à elle. Elle fait désormais partie du décor. Un décor permanent d’indifférence. Les raisons existent. On n’a pas à suppléer à la psychiatrie. On ne peut plus rien faire pour elle. Pis, on en a de moins en moins l’idée, ni le désir. En plus, les deux tiers de ce qu’elle émet est un sabir inintelligible que la colère n’arrange en rien. Continuer la lecture de « Low, HEY WHAT (Sub Pop) »

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Selectorama : Lael Neale

Lael Neale
Lael Neale

Avec Acquainted With Night, son deuxième album récemment sorti chez Sub Pop, Lael Neale excelle dans l’art d’aller à l’essentiel. Évoluant principalement autour d’un Omnichord, aucun son, aucune parole ne paraît superflu. A tel point que l’on a l’impression d’entendre un album de chansons jouées dans l’instant, une collection de démos enregistrées dans une chambre. De façon contradictoire, les titres d’Acquainted With Night sont taillés pour les grands espaces, les roads trips où la musique qui ne fait plus qu’une avec cette immensité. Si la magie opère quasi immédiatement, c’est en grande partie grâce à la voix et aux textes poétiques de Lael. Une intemporalité s’en dégage. A l’image des dix titres choisis par Lael pour ce Selectorama où l’on ne retrouve que des vieux titres toujours pertinents et percutants aujourd’hui.  Continuer la lecture de « Selectorama : Lael Neale »

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#45+2 : Unrest, A Factory Record (Sub Pop, 1991)

Unrest
Unrest sur le pare-brise.

Ce soir, j’ai comme des envies de Marguerite Duras.

Entendez-moi bien. Pas relire Le Ravissement de Lol V. Stein ou revoir Détruire, dit elle – encore que -, non plus me laisser aller à tout ce qui pourrait traverser votre esprit perturbé par 55 jours de confinement. Non, plutôt me trouver un(e) Yann Andréa et enquiller en sa compagnie nocturne un, deux, trois tours de périph’, à trois du mat’ et à toute blinde. Macadam à trois voies, monte donc Hellman. Ouvrir la vitre en grand, offrir ma calvitie au vent, niquer les radars ou me faire prendre par eux, tant pis, puisque le plaisir, tant qu’à être circulaire, ne saurait être à sens unique. Intérieur / extérieur, in & out, qu’importe, de Bagnolet à Italie, d’Auteuil à Montreuil et retour. Continuer la lecture de « #45+2 : Unrest, A Factory Record (Sub Pop, 1991) »

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#8 : Monopoly Queen, Monopoly Queen / Let’s Keep It Friendly (Sub Pop, 1994)

Monopoly Queen, jour de Bonne Paye.
Monopoly Queen, jour de Bonne Paye.

J’ai toujours haï les jeux de société, qui me le rendent bien. Mais j’aurai tout donné au UNO.
Dans le ventre mou des années 90, on s’enfermait à cinq, parfois à six, chaque dimanche dans l’appartement d’Uwe, au 6ème étage d’une tour de la ZUP de Dammarie-Les-Lys (77), et on jouait, de 15 heures jusqu’à tard. Je vivais à Paris alors, mais jamais je n’ai manqué une réunion. Je faisais l’aller-retour dans la journée, au volant de la Mitsubishi prune.
Accompagnés d’une bouteille de Berger blanc ou de verres de Cointreau juste cassés d’un glaçon, on jouait, et on jouait encore, pas encore confinés mais bien calfeutrés, de notre plein gré. Les règles avaient été quelque peu malmenées, et au fil des semaines une novlangue avait vu le jour. Un sabir incompréhensible aux oreilles des non initiés qui, quoi qu’il en soit, n’étaient pas invités. Continuer la lecture de « #8 : Monopoly Queen, Monopoly Queen / Let’s Keep It Friendly (Sub Pop, 1994) »

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Orville Peck, tête à masques

Orville Peck
Orville Peck

Orville Peck, chanteur canadien notoirement masqué et discret sur sa biographie, a sorti en début d’année son premier album sur Sub Pop. Auparavant, ce personnage masqué n’avait jamais existé, pas même un EP. Comme une idole opportune, la légende raconte qu’il est arrivé chez son label avec un album fin prêt sous le coude. Ce Ponyqui lui permet d’être aujourd’hui en tournée européenne et de passage au Pitchfork Music Festival, est un assemblage de chansons d’inspiration country qui s’encanaillent beaucoup sur du post-punk, comme pour y trouver une fraîcheur et une crédibilité nouvelle. Continuer la lecture de « Orville Peck, tête à masques »

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Le territoire de Corridor

Première signature francophone sur le label américain Sub Pop

Corridor
Corridor / Photo : Dominic Berthiaume

Un lundi pluvieux de septembre, je retrouve la moitié de Corridor (Dom et Jo) dans un hôtel cosy du nord est parisien. Le contexte est inédit : je les interviewe et ils répondent à mes questions. La dernière fois que j’ai vu Jo, c’était après son concert de l’Espace B organisé par La Veillée Pop, nous avions partagé une bouteille de vin avec le reste du band en devisant les différentes entre le Québec et la France. Dom était quant à lui au concert de ses potes Jesuslesfilles, quelques jours plus tôt au Supersonic, inratable avec sa veste à frange toute nord américaine (et excentrique) qu’il porte également le jour de l’interview. Je déclenche mon enregistreur, et nous voilà parti pour trente minutes de conversation, autour de moult sujets passionnants, comme la place du rock dans la pop ou les différentes scènes canadiennes. Mais revenons au préalable sur la genèse du groupe. Continuer la lecture de « Le territoire de Corridor »