Alors que Warp Records vient tout juste de rééditer trois disques du groupe le plus magnétique de Birmingham dont la disparition brutale, il y a onze ans déjà, de la chanteuse Trish Keenan a sans doute contribué quelque part à cette accession du groupe à une forme de postérité, nous avons choisi de republier cette interview parue il y a 25 ans dans la RPM. Au moment de la sortie de Work And Non-Work, une compilation des trois premiers singles / EP avant leur signature chez Warp, Christophe Basterra rencontrait Broadcast au grand complet lors d’un concert dans une salle londonienne.
L’une des plus belles surprises de cet été nous vient d’Angleterre. Après trois singles enchanteurs et mystérieux distribués au compte-goutte, Broadcast – une jeune fille et quatre garçons – réalise aujourd’hui via Warp Work And Non-Work, une compilation essentielle et désespérément belle. Un univers imaginaire, un charme crépusculaire : telle est la musique de Broadcast, plus beau fleuron d’une scène post-pop qu’il faudra surveiller de près. Continuer la lecture de « Broadcast : Bande à part »
Je me souviens du choc. Un matin d’automne avec les rues encore noires, à l’époque parisienne où la cigarette précédait le plus souvent le café, à l’époque de la télé qu’on allumait parce que M6 (je crois que bien que c’était M6) diffusait des clips de groupes indie – enfin, à peu près – avant de partir travailler – enfin, travailler… Ce matin-là donc, j’ai entendu la guitare avant de voir les images et je suis resté interdit. Parce que tout est venu se bousculer et les souvenirs se sont succédés en flash – pêle-mêle, l’école Postcard Records, les montagnes russes rythmiques chères à Orange Juice, à Josef K, l’adolescence dans la Résidence, les cassettes vierges, les échanges de disques achetés à Paris – grâce à une mélodie en caoutchouc et un refrain suffisamment obsédant pour qu’on veuille réécouter la chose. En boucle. La suite de l’histoire, qu’on découvre vitesse grand V, est comme parfaite : Glasgow, Domino, une ribambelle de chansons fulgurantes en mode Dorian Gray, l’influence du constructivisme russe et même le passé d’Alex Kapranos – qu’on découvrira sur le tard — n’a pas freiné l’excitation accompagnant cette découverte qui rappelait – déjà à l’époque – qu’on n’était toujours pas prêt / près de ne plus avoir 20 ans – ça n’a toujours pas changé depuis, pour le meilleur et pour le pire…
Il faut bien l’avouer : au bout de vingt ans les souvenirs parasites avaient fini par prendre le pas sur l’essentiel pour ce qui concerne In The Afternoon de L’Altra. D’abord ceux d’une rencontre, quelques semaines après la sortie remarquée de l’album, dans un hôtel pas très loin de la place Léon Blum, avec deux des membres de L’Altra – Joseph Costa et Lindsay Anderson – qui, sans doute fatigués par les contingences d’une première tournée européenne d’ampleur, étaient restés vautrés sur le lit pendant toute la durée de l’interview ici restituée, ne consentant à répondre qu’entre deux bouchées de ce fromage local et insipide, qui représentait peut-être à leurs yeux le comble de l’exotisme parisien, et dont le nom m’avait semblé, dans l’instant, curieusement correspondre à la beauté de leur musique. Oui, la mémoire s’obstrue de détails futiles mais je suis certain que les deux musiciens s’étaient tapé une boîte entière de Caprice Des Dieux – avec baguette, comme il se doit – en trente minutes. Les souvenirs, surtout, d’une année où ce label de Chicago – Aesthetics – s’était brutalement imposé comme l’un des épicentres les plus captivants de nos passions musicales partagées. Dans cette chaîne unissant Pulseprogramming, 33.3 ou Windsor For The Derby, L’Altra n’apparaissait plus par moments que comme un maillon parmi d’autres, à peine plus éclatant. Continuer la lecture de « Poésie organique : L’Altra (2002) »
Mojave Auszug, 1984 / Photo : Fredrik Nilsen Hacke
Pour leur première sortie en DVD le 4 décembre prochain, le festival bordelais de documentaires musicaux Musical Ecran propose un film réalisé par l’américain Stuart Swezey, dont nous vous avions parlé il y a deux ans.
A l’automne 2011, soit 10 ans tout juste ou presque, je restais plein d’espoir sur les premières facéties d’Adam Glanduciel. Je vous expliquerais demain et avec quelques détails, pourquoi, j’avais vu juste mais j’avais, en fait, tout faux.
Forcement à l’ombre du phénoménal deuxième album de Girls, véritable soleil sombre de cette rentrée pop moderne, la deuxième incursion de The War On Drugs mérite tout de même une attention soutenue. Car s’il on reparlera à foison pour les premiers d’un son mercuriel inauguré par Bob Dylan et achevé à Birmingham au mitan des 80’s (Lawrence et Felt, pour ne pas les nommer), on saisira l’importance capitale de ce même songwriting Dylanien sur celui d’Adam Granduciel, lui-même rejoint par quelques obsessions britanniques. Continuer la lecture de « The War On Drugs, Slave Ambient (Secretly Canadian, 2011) »
C’est fou comme certains disques sont liés à une époque, à un lieu, à une image, même si on les a écoutés longtemps après toutes ces scènes-là, même si on les écoute encore aujourd’hui – pour preuve, ma fille reconnait le groupe dès les premiers accords de cette chanson parfaite qu’est Les Gens sont Si Bizarres. Et puis, c’est Biarritz, l’été 1989, la R5 rouge et la cassette en boucle, Nathalie au volant parce qu’en bon Parisien (ou tout comme), “on n’a pas besoin du permis”. Les histoires qu’on inventait parce que nous étions toujours ensemble sans même être un couple (“Oui, nous sommes cousins”), les allers et retours aux plages d’Anglet, les verres partagées sur le Port des Pêcheurs, au Big Ben, les nuits au Play Boy, les serviettes posées sur la Grande Plage pour se remettre de la soirée de la veille, les siestes sous le soleil exactement, les sandwichs du Milk Bar, les parties de Badminton du samedi soir – j’ai encore la raquette que Nathalie m’a offerte pour ma fête, un 21 août, et je crois bien que c’était cet été-là. Continuer la lecture de « Gamine, Voilà les anges (Barclay, 1988) »
C’est Michel qui a envoyé le message à la fin du mois de septembre : “Réservez votre soirée du 9 novembre”. Je n’ai compris qu’un peu plus tard qu’il parlait de l’année 2022. Car ce soir-là, dans la ville à côté de laquelle Hervé, Michel et moi vivons (mais pas ensemble) montera sur la scène de La Coopérative de Mai un groupe pas tout à fait comme les autres. Pour certains adolescents des années 1980, Echo & the Bunnymen, ça a été quelque chose. Parce que parmi les groupes dont nous nous sommes entichés mes amis (mais ce n’était pas encore Michel et Hervé, c’était Laurent, Gilles, Thierry, puis Giuseppe, Vincent, Bruno, Christophe…) et moi, il a toujours eu une aura un peu différente. Sans doute parce que chacun d’entre nous aurait bien aimé ressembler à l’un de ces musiciens qui avaient tous une classe folle – même si le chanteur avait un don certain pour toujours choisir des chaussures un peu ridicules ; sans doute parce que ce groupe n’est jamais devenu aussi populaire que d’autres groupes que nous chérissions alors (et que oui, c’est vrai, nous chérissons toujours) et que nous avions donc un peu l’impression d’être des privilégiés ; sans doute parce qu’il y a eu ce concert diffusé aux Enfants du Rock, ce concert du 18 juillet 1983 au Royal Albert Hall de Londres ; sans doute parce que c’est ce soir-là, devant la télé, qu’on a entendu pour la première fois l’une de ces chansons dont on a su tout de suite qu’on ne se lasserait jamais (même après avoir été massacrée par Pavement), une chanson dont même le titre est parfait : The Killing Moon. Sans doute parce qu’on trouvait les interviews de Ian McCulloch, grande gueule du nord à l’humour décapant et au second degré enivrant, aussi drôles que géniales ; sans doute parce qu’il y a eu ce concert merveilleux au Grand Rex, à l’automne 1987 je crois ; sans doute parce que ça été le premier groupe de cette génération-là à publier une compilation de singles, Songs To Learn And Sing, et que toutes les chansons choisies étaient géniales ; sans doute parce qu’il y a eu la tristesse immense à l’annonce du décès soudain du batteur Pete De Freitas – et que pour la première fois, un musicien d’un groupe qu’on adorait disparaissait… Continuer la lecture de « Blind Test Ian McCulloch (2001) »