Les convictions politiques les plus profondément ancrées ont ceci de commun avec les sentiments amoureux qu’elles se partagent difficilement en chanson. Les certitudes, si intenses soient-elles, ne se transposent pas aisément lorsque l’esthétisation risque de les affadir. En matière de folk ou de protest-songs, la sincérité ne fait pas tout. Pour survivre au contexte, il faut quelque chose de plus. Un surcroît incarné, presque une possession. Défenseur militant de la cause amérindienne dont il fit la matière principale d’une œuvre aussi confidentielle que magistrale, Willie Dunn s’est presque entièrement confondu, tout au long de son existence, avec ses chansons. L’une des multiples anecdotes éclairantes relatée dans le livret qui accompagne cette première rétrospective amplement méritée – 22 titres choisis parmi les quatre albums enregistrés entre 1971 et 1984 – en témoigne : alors que, quelques mois avant sa mort en 2013, on le sollicitait pour réinterpréter l’une de ses meilleures compositions – Charlie, une dénonciation des mauvais traitements infligés aux descendants de son peuple par le système quasi-carcéral des pensionnats canadiens et racontant la fugue puis le décès d’un jeune homme de douze ans – il préféra décliner l’invitation promotionnelle sous le plus simple des prétextes : » C’est vraiment trop triste. » Continuer la lecture de « Willie Dunn, Creation Never Sleeps, Creation Never Dies – The Willie Dunn Anthology (Light In The Attic) »
Catégories billet d’humeur
Vinyle, l’amour vache
La musique, telle que nous l’aimons, vit une drôle d’époque. Deux nouvelles, guère réjouissantes, annoncent des mois compliqués pour les disques vinyles et ceux qui les défendent (disquaires, labels, distributeurs, etc). Tout d’abord, cette augmentation de prix vertigineuse de certaines références, notamment en major. La hausse actuelle générale a une origine légitime : avec le COVID, les sources d’approvisionnement en matière première n’ont pas produit à la hauteur de la demande actuelle, entraînant de fait une légère revalorisation des prix. Vous vous doutez cependant que l’impact de la matière plastique sur le prix final est un peu anecdotique, vraisemblablement de l’ordre de un ou deux euros sur le prix final chez votre crèmerie favorite, si les labels jouent le jeu. Le communiqué du GREDIN (le syndicat des disquaires indépendants) du 22 juin dernier alerte cependant sur une stratégie mise en place par certaines maisons de disques, utilisant le prétexte de la hausse des matières premières (vrai phénomène) pour revoir complètement les grilles de tarifs. Continuer la lecture de « Vinyle, l’amour vache »
Catégories chronique nouveauté
Helvetia, Essential Aliens (Joyful Noise Recordings)
C’est suite à la dissolution de Duster, trio devenu emblématique du mouvement slowcore – Stratosphère, paru en 1998, en est un incontournable –, que Jason Albertini, son batteur, donne naissance à son projet personnel, Helvetia. Nous sommes en 2001, à Seattle, et le jeune homme va permettre, sans doute bien plus qu’il ne l’imagine alors, à l’esprit Duster de perdurer. La compilation Gladness (2001-2006), fenêtre ouverte sur ses premières expérimentations en solitaire, regorge de ces diamants bruts, lourds de mélancolie, que Duster avait déjà colportés durant les trois années de sa courte existence. Un témoignage du talent de celui qui, à l’évidence, insufflait bien plus que le rythme dans cette formation. Continuer la lecture de « Helvetia, Essential Aliens (Joyful Noise Recordings) »
Catégories interview, sunday archive
Low qui dort

Quelques jours à peine après la révélation du nouveau single du groupe, Days Like This, en prélude à leur nouvel album HEY WHAT dont la sortie est annoncée pour le 19 septembre sur Sub Pop avec toujours BJ Burton à la production comme sur l’immense Double Negative (2018), nous avons eu envie de revenir sur le parcours de ce groupe fascinant avec une interview donnée en 2004. Ceux que l’on qualifiait de slowcore venaient de sortir un album charnière, The Great Destroyer.
Mais quelle mouche a donc piqué Low ? Le groupe qui célèbre cette année ces 10 ans de carrière et que l’on croyait définitivement atteint par la maladie du sommeil s’éveille au son des guitares déchaînées du bien nommé The Great Destroyer. Explications et éclaircissements rétrospectifs en compagnie des deux éléments masculins du trio de Duluth, amputés de leur batteuse restée pouponner au pays. Un seul être vous manque…
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Catégories playlist
LA PLAYLIST DES NOUVEAUTES DE JUILLET 2021
Somptueux brassage de nouveautés en ce début d’été dans cette playlist de juillet, entre joliesses pop (Late Runner, Aldous Harding, Mega Bog, Aquaserge, The Umbrellas), pureté groovy (Mackenzie Leighton, Brainstory), accélérations indie (Wet Leg) ou post punk (Pigeon) et une fin toute en noise avec le nouveau Low. On vous gâte.
Écoutez cette playlist sur votre plateforme favorite : YouTube, Deezer ou Spotify et petite nouveauté, en version mixée sur Mixcloud. Et aussi, sur agnès b. radio.
NDLR : Les playlists Deezer et Spotify ne comportent pas l’intégralité des titres de cette sélection.
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Catégories affichage libre
Les Visages – Alba Rohrwacher, Modest Mouse, Catherine Millot
Collage sauvage et de mauvaise foi de l’actualité culturelle de la semaine

Je reviens sur des terres connues et je croise des visages familiers. Ou presque. Ce que dit un visage qui a changé… C’est à chaque fois troublant de voir, des années après, ces détails de blanc, ces confusions de ridules placées, ici ou là. Le temps a le sens des détails, les corps changent et nos conversations aussi. Il demeure pourtant des êtres inchangés ou si peu. C’est fragile et beau, cette intemporalité. Continuer la lecture de « Les Visages – Alba Rohrwacher, Modest Mouse, Catherine Millot »
Catégories cover
Melenas reprend « Eisbär » de Grauzone en espagnol

Cette chanson, racontent-elles, elles avaient l’habitude de danser dessus dans les clubs où elles sortaient plus jeunes – comme si elles étaient âgées ! –, à Pampelune, la capitale navarraise. Cette chanson, continuent-elles, fait l’unanimité au sein du groupe, ce groupe qu’on a découvert un dimanche d’automne 2017, étourdis par les accords à cœur et les guitares tourbillonnantes de Una Voz, pierre angulaire d’un premier album qui laissait voir la vie en rose. Depuis les quatre amies ont réalisé une suite épatante publiée au printemps 2020, dont le titre s’est avéré trop visionnaire — Días Raros, “Jours étranges” en VF.
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Catégories selectorama
Selectorama : LoneLady

Julie Campbell, amoureuse des espaces industriels désolés dont elle tire magie et sens, vient de sortir – après deux albums et cinq ep – un album au groove sec et élégant, Former Things (Warp Records), qui ne pourra que plaire aux fans de Cabaret Voltaire. Pour écrire et enregistrer l’album, en solo, elle a quitté Manchester, s’est installée en résidence à Londres aux Somerset House studios, un stand de tir de la Marine datant du XVIIIe siècle, et s’est immergée dans la musique et ses souvenirs d’enfance tout en projetant sur les murs des clips de Cabaret Voltaire (justement) et des films d’Ingmar Bergman. « Le résultat d’un grand mélange de sang, sueur et larmes qui me rend heureuse d’enfin pouvoir le partager », dit-elle. Et c’est un album à la fois brillant, obsédant et dansant – un vrai album de mancunienne. Julie a tourné avec Wire, fait la première partie de New Order et Gang Of Four… des groupes que l’on retrouve dans le selectorama qu’elle a volontiers accepté de faire alors qu’elle est très occupée. On ne pourra que la remercier chaleureusement, tout comme pour le clin d’œil à Section 25. Continuer la lecture de « Selectorama : LoneLady »