Slowdive : « La stratégie et nous, ça fait deux »

Slowdive / Photo :  Ingrid Pop
Slowdive / Photo :  Ingrid Pop

Voir un album comme Everything Is Alive de Slowdive percer le top 10 dans plusieurs pays fait aujourd’hui presque figure d’anomalie. Plus aéré et moins noisy que le précédent, il semble regarder dans le rétroviseur avec nostalgie, sans jamais singer le passé. Everything Is Alive devait à l’origine être un projet plus électronique, à l’image des maquettes composées par Neil Halstead, un des compositeurs les plus sous-estimés de sa génération. En ce sens, nous aurions pu nous attendre à un album proche de l’incompris (à l’époque de sa sortie) Pygmalion. Il n’en sera rien à l’arrivée, l’ombre de Robert Smith planant autant que celle de Brian Eno sur ce qui est à ce jour une des pièces maîtresses de la discographie du groupe. Sans révolutionner ce qui fait leur marque de fabrique, des voix à peine perceptibles, une musique entre la mélancolie et l’extase, Slowdive réalise un tour de force, sans doute grâce à la technologie moderne et à l’absence totale de pression. Mais surtout par un plaisir perceptible, qui est confirmé par les trois hommes de l’ombre du groupe, Nick Chaplin, Simon Scott et Christian Savill. Loin d’être des faire-valoir de Neil Halstead et Rachel Goswell, ils apportent durant cet entretien réalisé dans les loges de La Cigale lors de leur dernier passage à Paris, une vision différente du fonctionnement du groupe et de son état d’esprit actuel, et reviennent également sur la carrière du groupe dans le passé, sans aucune rancœur malgré les épreuves traversées.

Vous ne sembliez pas certains d’enregistrer un nouvel album après celui sorti en 2017. A la fin de sa promotion, tout le monde est rentré chez soi sans savoir ce qui se passerait par la suite ?

Simon Scott : L’idée était de faire un break d’un an. Au moment où nous avons songé à nous mettre au travail, la pandémie a commencé. En soi ce n’était pas très grave, car nous n’avions même pas anticipé de sortir un album, juste de nous retrouver. Nous ne savions même pas si nous allions donner une suite à Everything is Alive. À ce stade de notre carrière, nous préférons nous concentrer sur l’instant présent, sur nos concerts, et donner le meilleur de nous-mêmes. Nous voyons seulement dans un deuxième temps ce que l’on veut faire après. Notre position est privilégiée. Nous ne sommes pas des gamins qui essaient de se construire une carrière. Nous avons la cinquantaine et le retour de Slowdive sur le devant de la scène est un bonus inattendu. Nous voulons vraiment en profiter.

Neil travaillait sur un projet solo fortement influencé par la musique électronique avant la Covid. Certaines de ces idées ont servi aux maquettes du nouvel album. Quelle a été votre réaction lorsque vous les avez écoutées ?

Nick Chaplin : Il avait composé beaucoup de titres. Certains avaient même un peu de guitares. Même à l’état d’ébauche, une partie d’entre eux sonnait vraiment bien. D’autres étaient trop barrées et ne correspondaient pas du tout à quelque chose que Slowdive aurait pu sortir. Chaque membre du groupe a donné son avis sur ces maquettes et nous nous sommes retrouvés en studio avec une quinzaine de morceaux. Et puis le deuxième confinement a commencé.
Simon : C’est un peu notre mode de fonctionnement habituel. Neil nous propose des titres initialement envisagés pour des projets solo. Sugar For The Pill en est un exemple. Mais Slowdive finit toujours parfois par prendre le dessus, ce qui peut parfois devenir un problème pour nos projets personnels.

Vous dites avoir changé vos méthodes de création pour cet album. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

Simon : Il y avait une volonté de prendre une direction plus électronique. Mais je plaide coupable, je suis celui qui a poussé les autres à réinjecter un peu plus de guitares. L’évolution et la progression de l’album s’est faite naturellement.
Nick : Neil a besoin de s’échapper après chaque album. Il possède son propre studio et il aime prendre son temps pour composer. Quand il se sent prêt, il nous contacte. Souvent, il n’a que deux ou trois mélodies à proposer et nous partons de là. Cette fois-ci, il a été prolifique. Sans doute parce qu’il a moins composé à la guitare, mais plus au synthé.

Vous dites que Slowdive fonctionne comme une démocratie. Si Neil compose, les morceaux doivent être approuvés par tout le monde. Cela ne crée-t-il pas trop de tensions ?

Nick : C’est pour ça qu’il nous a fallu six ans avant de sortir Everything is Alright (rire).
Simon : Nous sommes tous obsédés par la musique. Nous voyons beaucoup de concerts, nous achetons des disques. Si j’aime une nouvelle composition de Slowdive qu’un autre membre du groupe trouve sans intérêt, cela me paraît incompréhensible. Je suis persuadé que j’ai raison et je vais naturellement me battre pour arriver à mes fins. Nous étions moins en désaccord dans les années 90 car nous aimions tous le même genre de musique, Cocteau Twins, Jesus & Mary Chain, My Bloody Valentine. Nos goûts ont évolué depuis. Mais au final, ces divergences ne me dérangent pas plus que ça.

Vos deux derniers albums ne comportent que huit titres. Quelle est la volonté derrière cela ?

Nick : La raison est simple, le format vinyle est très important pour nous. Si tu veux un son de qualité, tu ne peux pas dépasser les 22 minutes par face. Et comme aucun de nous ne semble emballé par la sortie d’un double album, nous sélectionnons les meilleurs morceaux.
Simon : C’est l’idéal pour ne pas perdre l’attention de l’auditeur. Notre maison de disques nous le rappelle souvent également.
Nick : Le label voulait que l’on mette nos meilleures chansons au début de la face A pour qu’elles puissent être entendues par le plus grand nombre. Nous nous y sommes fermement opposés. Cela nous aurait donné une dynamique étrange à l’album.
Simon : Nous leur avons dit : “enculés !” (en français, ndlr) (rire général).

Crédit : Ingrid Pop

Dix ans après votre reformation et six mois après la sortie du dernier album, comment avez-vous vécu l’accueil de Everything is Alive ? Il s’est classé dans le top 10 en Allemagne, en Angleterre et au Pays-Bas. 

Simon : Cela a été une excellente surprise. Nous nous y attendions un peu pour le précédent car c’était l’album du retour, il y avait beaucoup d’anticipation, mais surtout le groupe avait changé de statut en étant enfin reconnu par la presse. Nous pensions sincèrement que le public se serait vite lassé. Pourtant nous jouons sold out sur presque toutes les dates.

En parlant de presse, les critiques étaient dures avec le groupe pendant ses premières années d’existence. A certains moments. Cela a-t-il affecté le groupe, ou bien au contraire, cela vous a donné encore plus de force ?

Nick : Tu ne peux pas croire à tout ce qu’ils racontent. La presse avait un pouvoir énorme à l’époque. Leurs propos ont eu un impact négatif sur nos ventes de disques et de places de concerts. En parallèle, Creation, notre label de l’époque ne s’attendait pas à ce que nous produisions un disque comme Pygmalion. Ils n’ont fait aucun effort pour le promouvoir. Nous en sommes arrivés à un stade où il devenait quasiment impossible de payer nos loyers. Dans ces circonstances, on a vraiment eu envie de tout laisser tomber. Neil et Rachel ont fondé Mojave 3, Christian et moi avons pris des jobs ennuyeux dans des entreprises.
Simon : La presse c’était une chose. Mais je pense qu’au fond de nous, nous étions contents d’être signé sur un label aussi prestigieux que Creation, mais surtout de jouer ensemble. Nous n’avions pas de plan de carrière, ni d’ambition pour devenir énorme. Et c’est pareil aujourd’hui. La reformation, c’est pour notre plaisir avant tout. La stratégie et Slowdive, ça fait deux. Nous sommes flattés que tout se passe aussi bien, c’est une chance

N’avez-vous pas l’impression que l’on a tendance à idéaliser une période, le début des 90’s, alors que tout était loin d’être rose pour les groupes à cette époque ?

Simon : C’est exactement ça. Mais les choses ont changé. Aujourd’hui ce sont plus les fans que les médias qui aident les groupes à faire parler d’eux.
Christian Savill : Je ne sais honnêtement pas comment les nouveaux groupes arrivent à percer. La carrière d’un groupe débutant pouvait changer grâce à une chronique de concert positive. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Nick : Peut-être par les réseaux sociaux comme Tik Tok ? Je sais que c’est déjà arrivé, mais pour être honnête, ça me dépasse complètement (rire).
Simon : Oui mais le succès est bien plus éphémère qu’à notre époque. On tombe dans l’oubli plus rapidement. Par contre je trouve qu’il est plus facile d’enregistrer un disque ou de se produire en concert que dans les années 90. A l’époque, tout semblait être un flou artistique, il fallait foncer sans réfléchir quand des opportunités se présentaient. Les artistes peuvent prendre plus de temps aujourd’hui.
Christian : Il y a tout de même une grosse évolution, en 2024, il y a des douches avec de l’eau chaude dans les loges (rire).

Gregg Araki suggérait récemment que c’est l’effort de recherche de nouveaux groupes sur les plateformes qui amène une nouvelle génération à aimer des groupes comme Slowdive, dont la musique met du temps à se dévoiler.  Il est persuadé que lorsque l’on fait ce genre de trouvaille, cela s’apparente à la découverte d’un trésor. Êtes-vous d’accord avec lui ?

Simon : Les choses ont définitivement changé. On ne se précipite plus chez le disquaire après avoir vu des inconnus en concert ou après avoir entendu un morceau à la radio. L’accès à la musique est devenu plus facile, sans doute trop, et ça a parfois des conséquences positives, comme avec Slowdive.
Nick : Je trouve normal que les chansons écrites par Rachel et Neil quand ils avaient dix-neuf ans parlent particulièrement aux nouvelles générations. Ils partagent des sentiments similaires. L’écoute de la musique est aujourd’hui un plaisir plus solitaire. On se retrouvait chez les uns ou les autres pour écouter de la musique quand j’étais adolescent. Il fallait économiser pour acheter un disque, ou bien enregistrer sur cassette des morceaux diffusés par John Peel. Je me souviens d’écouter régulièrement une Peel Session de Jesus & Mary Chain avec des amis. C’était presque un rituel.

Vous êtes tous parents, quel est le rapport de vos enfants avec la musique de Slowdive ?

Nick : Ma fille de treize ans me dirait qu’elle m’interdit de parler d’elle en interview. Et pourtant grâce à Tik Tok elle est plus célèbre que moi ! Les gens la contactent sur les réseaux sociaux pour lui demander si son père fait partie de Slowdive. C’est pareil à l’école. Elle commence enfin à comprendre que ce que je fais dans la vie a une réelle portée. Elle apprécie beaucoup plus d’être la fille d’un musicien reconnu que notre musique. Avec mon fils de seize ans, c’est différent. C’est un passionné de musique. Il est fan de trash et de metalcore, mais il aime bien le shoegaze. Principalement car il existe des groupes qui mélangent le métal et le shoegaze. Mais je pense que pour la première fois, ils sont en mesure de prêter attention à notre musique. Ils étaient beaucoup trop jeunes pour l’album précédent.
Simon : Je me souviens d’un jour, il y a quatre ou cinq ans, où j’ai déposé ma fille à l’école. Un élève s’est mis à lui demander si c’est moi qui faisais partie de Slowdive. Quand elle lui a répondu que oui, il m’a regardé et m’a dit : “ton groupe est vraiment pourri” (rire). Aujourd’hui, elle me demande un nombre absurde d’invitations pour ses amis quand nous jouons près de chez nous. Les ados de l’âge de ma fille sont au premier rang et connaissent nos paroles par cœur. C’est complètement dingue car nous nous attendions à retrouver des vieux grincheux comme nous.

Simon, tu évolues également dans la musique électronique en dehors de Slowdive. Tentes-tu de pousser le groupe à en utiliser encore plus ?

C’était le cas sur deux chansons de l’album précédent, mais pas sur celui-ci. Neil avait une vision bien arrêtée des sonorités électroniques à adopter. En dehors de la programmation des effets pour les guitares, je n’ai pas trouvé utile d’empiéter sur le travail de Neil, ça aurait dilué la qualité de son travail. Il faut savoir se mettre en retrait.

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Everything is Alive de Slowdive est sorti chez Dead Oceans/Modulor

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