Rien sur Noël – Drab City, Pascal Bonitzer, Sarah Chiche

Collage sauvage et de mauvaise foi de l’actualité culturelle de la semaine

Abd El Halim Hafez
Abd El Halim Hafez

Elle portait deux tatous sur chaque cheville, un croissant de lune et un soleil. Des tatouages que je retrouverais par pur hasard, des années plus tard, portés par une jeune libraire. La vie est une éternelle métamorphose. Noël 2001, un peu à l’écart d’Aix en Provence, dans un vieux mas décati aux tuiles rongées de soleil, j’allais passer d’étranges fêtes. Elle venait de me faire écouter Abd El Halim Hafez, au petit matin. Les cordes tragiques et orientales semblaient serpenter entre les oliviers. Au loin, une brume mauve rasait l’horizon des plaines. Elle me disait que c’était une brume similaire au Caire, mais là-bas, les vapeurs venaient matin comme soir. Elle venait matin comme soir… elle aussi, dans ma tête, lorsque je ne la voyais pas une journée. Je ne sais pas ce que tu deviens Nour, ni pourquoi je me souviens de toi aujourd’hui. C’est peut-être en écoutant la playlist de Drab City que tu es revenue, comme ça, délicieuse comme une mélodie. Les playlists proposées par les musiciens ressemblent aux bas de notes de leurs albums. C’est, parfois, de formidables portes d’entrées. Je n’avais pas vraiment d’avis sur l’album de Drab City, ni plaisant ni déplaisant. Mais j’ai adoré la sélection regroupant leurs influences. On y retrouve Charles Mingus, Jacqueline Taieb, Depeche Mode ou encore Abd El Halim Hafez, encore lui. C’est toi, Nour, qui m’avait fait découvrir ce merveilleux artiste égyptien. Et ton père, glacial, avec sa voix bouffée de Gitanes Maïs, me racontait que dans la superproduction hollywoodienne, Tarzan rencontrait Jane dans le jardin d’Essai du Hamma, à Alger. C’était ses uniques paroles de la soirée où il faisait face à une assemblée d’une dizaine de personnes qui paraissait comme apeurée. Je ne peux oublier ce Noël unique, où nous étions attablés sans dire grand chose. Cela me fait penser, à cette séquence assez incroyable, dans Rien sur Robert. Luchini invité sans l’être se retrouve face à une longue table de convives ressemblant plus à des adversaires qu’à des amis. Piccoli trône en maitre de cérémonie et va humilier, dans une colère à la fois rentrée et obscène, un Fabrice Luchini pour une fois muet. Et puis cette histoire de double, de mec plus fortiche que soi que l’on croise sans cesse et à qui tout réussi. Pascal Bonitzer traite avec une ironie grandiose cette thématique de l’altérité et de l’amertume. Nos adversaires sont sans doutes plus fidèles que nos amis, il faut au moins leur reconnaître cela lorsqu’ils se pavanent. L’arbre magique du Hamma, Alger – cela me donne l’occasion de revenir sur un livre, Saturne. J’ai découvert Sarah Chiche avec une préface. Préface brillante, noueuse et insaisissable. Freud, Vienne et quelques unes de ses obsessions. Puis ce fut Les Enténébrés. Musil, Vienne toujours et le vertige. Roman fétiche, d’une inconsolable beauté. Amoureuse d’Eustache et de Bergman, Chiche est une merveilleuse pourvoyeuse de passions. Saturne, roman du père, sur une terre tremblante sous les étoiles – l’Algérie. Que de points commun je partage avec cette romancière… cela relève du trouble. L’arbre du Hamma, la jeunesse merveilleuse de Nour et sa peau rose-thé, sa lune et son soleil sur chaque cheville. Rien sur Noël, où son père regardait sa fille perdre un peu de son temps avec un poète – imposteur, en fumant gitanes sur gitanes. Rien sur Noël et tout pour Nour, ce fut une très belle soirée.

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