Climats #5 : Animal Collective, Ilaria Urbinati, Antonin Peretjatko

This could be the saddest dusk ever seen
You turn to a miracle high-alive
Michael Stipe

Peut-on écouter Vauxhall and I de Morrissey sous le franc soleil de juillet ? Et un Antônio Carlos Jobim empêtré dans un crachin de février, c’est toujours du Antônio Carlos Jobim ? Climats met en avant les sorties disques et livres selon la météo.

Douceur de l’aube

Qu’est-ce qui nous faisaient revenir, tout le temps, chez les sœurs Rehmer? La promesse d’une fête insensée? Cet immense appartement qui nous changeait tellement de nos chambres d’étudiants? Ou était-ce, simplement, les sœurs Rehmer elles-mêmes? La première fois que je m’y rendis, c’était avec ce grand échalas de Matthieu Kernshaw. Cela faisait des semaines que l’on s’entrainait à préparer la meilleure Sangria possible en écoutant Animal Collective. On hurlait « Reverend Green, Reverend Green ». C’était comme un truc de chamanisme. Une sorte d’ivresse longue d’une semaine et un rituel dangereux, irrésistible. Je portais mal la veste en daim qui puait sous le mois de mai d’Aix en Provence. Matthieu, lui, était toujours élégant mais demeurait trop grand et maigre auprès des jeunes femmes. Il connaissait Rachel et Mona Rehmer, ce qui faisait de lui un compagnon estimable. Elles ressemblaient à deux andalouses en robe de baptême. Une pâleur certaine pour des cheveux et yeux noirs. Elles avaient habité Lisbonne, dans un palacio décati. Tout, en elle, rendait amoureux. Je ne leur ai jamais adressé la parole. Une fois, avant l’aube, alors que les derniers invités se préparaient pour partir, je me retrouvais avec Rachel. L’air était tiède et chargé de divers pollens. Comme j’étais obsédé par Animal Collective, j’avais apporté un de leur disque et je fis passer Loch Raven. Sans rien dire, je restais à côté d’elle sur le balcon. Ce fut un des moments les plus doux de ma vie. Aujourd’hui sort Time Skiffs. L’immense retour du groupe américain, oui, immense. Toutes les émotions se mélangent, elles se présentent nues et fortes jusqu’à nous. Cette musique rend si intense ; elle est si pleine de joie. Avant la lever du jour, je regarde la femme que j’aime dormir en me repassant mentalement …Royal and Desire. Et chaque matin devient le moment le plus doux de ma vie.

De grands tonnerres

Mona la cadette ressemblait à Vimala Pons. Une frange de cheveux noirs, une sensualité radicale. Parfois je faisais le tour du quartier des heures durant rien que pour la croiser. C’était si rare. En plein jour, elle semblait redoutablement mélancolique. La nuit, dans ses yeux, il y avait un brasier. Chaque fois que je fus en sa présence, mon cœur tambourinait. C’était une quête pleine d’envie et d’appréhension. Je marchais vite dans les rues envisageant chaque visage comme étant le sien. Et c’était souvent, peine perdue. En regardant les sublimes planches de Ilaria Urbinati, je retrouve un peu de Mona. La Mer Verticale est un récit émouvant sur une jeune femme qui voudrait vivre sa vie. Mais les crises de panique grignotent des moments précieux. Il y a tant de beauté et d’inquiétude qui se dégagent de cet album…

De lentes giboulées

Les nuits chez les sœurs Rehmer, c’est un souvenir de fête, d’amour jamais déclaré et de gaieté. De maladresse, de verres qui tombent aussi. De phrases jamais terminées, de regards lancés à la dérobée. En revoyant La Fille du 14 Juillet d’Antonin Peretjatko, je me suis replongé dans cette cavalcade de passion naïve, de course poursuite folle-dingue. Une fantaisie. L’imagination d’un cœur libre et la beauté de jeunes femmes inaccessibles – que l’on désire tellement que l’on est incapable de leur dire bonjour – auront illuminé ma jeunesse. Et c’est mes souvenirs, à présent, qui me font revenir tout le temps chez les sœurs Rehmer.


Time Skiffs par Animal Collective est sorti hier chez Domino, La Mer Verticale par Ilaria Urbinati est disponible chez Dargaud et La Fille du 14 Juillet d’Antonin Peretjatko est sorti en DVD chez Shellac.

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