Climats #19 : Cabane, Arnaud Fleurent-Didier et Dorothée De Koon, Jean Eustache

La maman et la putain de Jean Eustache
« La maman et la putain » de Jean Eustache

This could be the saddest dusk ever seen
You turn to a miracle high-alive
Michael Stipe

Peut-on écouter Vauxhall and I de Morrissey sous le franc soleil de juillet ? Et un Antônio Carlos Jobim empêtré dans un crachin de février, c’est toujours du Antônio Carlos Jobim ? Climats met en avant les sorties disques et livres selon la météo.

Les vents contraires

C’est un dialogue, un peu court. On aimerait qu’il dure… Pas pour ce qui est dit mais plutôt pour la joie ressentie à entendre, une nouvelle fois, ces voix. On pense à une scène de cinéma. Oui, il y a un grain dans ces voix qui fait entendre le cinéma de François Truffaut. On se dit que l’on attend décidément beaucoup et depuis longtemps. Ces voix découvertes et mises à nu, sont celles d’Arnaud Fleurent-Didier et de Dorothée De Koon. Fleurent-Didier se fiche d’être une arlésienne, c’est une liberté déroutante que de s’absenter ainsi de toute publication, de tout rendez-vous. Quel culot. Cabane a eu la bonne idée d’exposer à la lumière les voix de ces deux absences. Take Me Home Pt. 2 est ainsi une sorte de ritournelle en forme de retrouvailles. La belle mélancolie de la chanson d’origine rencontre la joie d’un retour. On se régale des syllabes prononcées, de ces courtes phrases qui restituent ces fantômes. On pense rêver. C’est tout le charme de Cabane qui fait entrer dans un tout petit espace – la composition dure 2 minutes et 35 secondes – l’immensité d’un désir. Quelque part, cette minuscule chanson est faite pour être entendue plus qu’il ne faut. On pensera à un éternel retour. Et puis, on prend tout cela ainsi- comme une carte postale envoyée. On nous donne des nouvelles, on se fait entendre enfin. Alors, on écoute Arnaud Fleurent-Didier et Dorothée De Koon nous dire : à bientôt.

Le plus beau des crépuscules

Ce que l’on attendait plus revient souvent assez discrètement. Par des détails, des détails qui forment une suite logique et qui avouent : le hasard n’existe pas. Je tombais depuis quelques mois, fréquemment, sur la forme du losange. Un objet au sol, une drôle de fenêtre ou le pendentif d’un joli collier. Le losange revenait. Je n’ai donc pas été surpris en apprenant la nouvelle de la résurrection d’un film follement aimé, La Maman et la Putain. Le bloc d’Eustache que j’avais toujours vu tard la nuit, sur YouTube, dans une qualité atroce de film sali, tailladé et maltraité, revient dans un noir et blanc languide et d’une très profonde beauté. Car ce retour est un événement et les Films du Losange ne s’y sont pas trompés. Les scènes sublimes, à peine aperçues, dans les versions vues précédemment deviennent des moments d’une splendeur tragique. Cette restauration a enlevé la pellicule fantôme que l’on avait. On voit ces images et ces mots dans leur beauté première. C’est un ravissement. Tous nos souvenirs de ce film sont ravis par l’apparition sur grand écran de cette première fois. On regarde comme l’on avait jamais pu le faire. C’est une magie noire et indélébile. Merveilleuse expérience cinématographique que de se perdre dans la folie d’Eustache, dans sa pureté. Il faut se rendre au cinéma et voir ce film pour ressentir l’étourdissement à la fin de la séance, lorsque l’on regagne le dehors. Lorsque l’on marche dans la rue la gorge nouée pleine de ces fantômes. Quelle passion, quel bonheur.


Take Me Home, Pt. 2 par Cabane, avec les voix de Arnaud Fleurent-Didier et de Dorothée De Koon est disponible. La Maman et la Putain de Jean Eustache en version restaurée sortira en salles le 8 juin.

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