La voisine du troisième m’observait d’un sale œil alors que j’étais accroupi dans la cour, occupé à ramasser le verre brisé. Synchrone avec l’acmé de nos effusions sonores, le carreau avait bruyamment volé en éclat, traversé par sa paume ouverte qui criait une douleur n’appartenant qu’à elle. Tu ne vois ni ne comprends jamais rien, balaya-t-elle d’un geste qui faisait écho au mien, essaimant quelques gouttes de sang qu’il me faudrait aussi nettoyer. Rien de méchant pour autant, la plaie s’avérait moins profonde que son désarroi, pas de quoi retourner aux urgences. Novembre était compliqué, octobre avait été pire. Le pic de la crise était survenu la semaine de la sortie de Sonic Flower Groove, le premier LP de Primal Scream, qui du coup s’était paré d’une teinte plus sombre. Son humeur pouvait déteindre sur certains disques, ou en raviver les tréfonds. Ainsi Darklands qui presque instantanément était devenu à son contact un disque de fin d’automne, dans lequel on entrait comme dans une nuit profonde. A considérer les disques comme des balises mouvantes, vibratiles, le lendemain du jour du carreau j’allais en rencontrer un qui m’ouvrirait les portes d’une autre maison, guère plus vaste, mais dont la luminosité n’a jamais décliné. Continuer la lecture de « #45+1 : The Sea Urchins, Pristine Christine (Sarah Records, 1987) »
Auteur : Bertrand Loutte
Catégories 45 tours de confinement
#45 : The Soup Dragons, I’m Free (Big Life, 1990)
Au soir du premier jour de confinement, alors que le reste de la famille s’adonnait au visionnage d’une série (pas ma came), je m’étais retiré dans mon antre-bureau, non sans avoir répondu favorablement à cette proposition de dernière tournée lancée par le consul du bouquin de Malcolm Lowry. Voilà pour le début de l’histoire, et bien que j’en ai déjà posé les bases dans le #1, je ne vois pas pourquoi je m’interdirais d’y revenir à nouveau puisqu’il est dit que la boucle doit être bouclée – je suis persuadé que cette phrase aurait pu tenir en deux fois moins de mots mais on ne se refait pas, disait le scorpion à la grenouille.
C’est donc en tombant inopinément sur un 45 tours du label The Compact Organization que germa cette idée dans mon cerveau passablement imbibé. Après m’être déhanché sur quelques pépites de northern soul pour célébrer ça – une idée c’est un peu une fête, on n’en a pas à longueur de journée, chantait jadis l’ami Prudence – je décidais de laisser reposer, rôdé à voir mes lubies du soir frappées d’inanité le lendemain matin, et bien en peine, les pauvres, de rivaliser avec ma gueule de bois. Continuer la lecture de « #45 : The Soup Dragons, I’m Free (Big Life, 1990) »
Catégories mixtape
I Like 2 Fuck Home #43 : More Songs About Fucking
Un mix thématique par jour à écouter en temps de confinement.
« Dans ton confinement je m’introduis, puisque Ovide dit ne faire que peu de cas des barrières qui masquent nos gestes les plus impurs. »
(Benoît Douvres, La porte étroite, Douchet-Fustel, 1969)
Absolument prépondérante, la question du sexe confiné ne transpire que trop peu de l’autre côté des verrous. De nouveaux fragments du discours amoureux s’écrivent pourtant, dans toutes les langues, à l’ombre de chambres à coucher désertées, dans la surchauffe de salons surpeuplés, sous la douche, sur des écrans, des réseaux, des lignes téléphoniques saturées de désirs ou de foutre, du bout des doigts, au creux de paumes ou de poignes étranglant la frustration, dans nos rêves humides, face à des Camgirls & boys qui vibrent ou ploient sous l’assaut du Bitcoin. Continuer la lecture de « I Like 2 Fuck Home #43 : More Songs About Fucking »
Catégories 45 tours de confinement, Non classé
#44 : The Nails, 88 Lines About 44 Women (Jimboco & City Beat / Rough Trade, 1982/1992)
44 disques, 44 posts, mais certainement pas 8800 signes sur ce trésor (bien) caché qui connut plusieurs versions, toutes par le même groupe, The Nails.
A l’automne 1991, Rough Trade décida de lancer un Singles Club, sans faire mystère d’avoir piqué l’idée à Sub Pop. Vous contractiez un abonnement pour six mois ou un an et receviez par la poste un nouveau 45 tours chaque mois – vous pouviez également tenter de le choper chez votre disquaire.
Levitation, le groupe post-House of Love de Terry Bickers, fut la première référence, en octobre. Le single des Nails apparut en février 92, précédant d’un mois un chouette Mercury Rev – une reprise du If You Want Me To Stay de Sly and the Family Stone. La 16ème référence est évidemment chère à mon cœur puisqu’il s’agit de A Marriage Made In Heaven des Tindersticks, la version originale avec Niki Sin de Blood Sausage, pas celle avec Isabella Rossellini.
Bon, 88 Lines About 44 Women dans ma boîte à lettres, ce fut autant énigmatique qu’addictif. Continuer la lecture de « #44 : The Nails, 88 Lines About 44 Women (Jimboco & City Beat / Rough Trade, 1982/1992) »
Catégories 45 tours de confinement
#43 : J.C. Brouchard with Biff Bang Pow !, Someone Stole My Wheels (Creation, 1986)
Il fait super beau, pourquoi j’irai à Reims alors qu’on a l’occasion d’aller au Touquet ? Elle n’en démord pas. A peine si je tente un tantinet d’argumenter, puis cède. Ça tenait de la gageure de lui résister. Et nous voilà partis direction la côte d’Opale dans la R5 bleue en faisant attention à ne pas croiser le camion qui a fauché Coluche deux jours plus tôt. Le soir je noie mon amertume dans un bar à buts qui retransmet Brésil-France. Peut-être qu’au moment même où à Guadalajara Bats stoppait le tir au but de Zico, à la MJC Claudel de Reims le groupe entamait une reprise du Outdoor Miner de Wire ? Je n’ai jamais su. Nous sommes le 21 juin 1986 et j’ai tout juste vingt ans. C’est la Fête de la Musique et la France de Platini accède aux demi-finales de la Coupe du Monde en sortant le Brésil de Sócrates. C’est bien. Mais je viens de rater le premier concert de Felt en France – et chacun sait qu’ils ne furent pas nombreux. Continuer la lecture de « #43 : J.C. Brouchard with Biff Bang Pow !, Someone Stole My Wheels (Creation, 1986) »
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#42 : Seam, Look Back In Anger (City Slang, 1992)
colère, colère, colère,
tu me prends à revers,
colère, colère,
du terrain tu gagnes, du terrain je perds
(Bertrand Betsch, 1997)
N’en déplaise aux dylanophiles, l’injonction ou mesure barrière Don’t look back, titre du fameux documentaire que D.A. Pennebaker consacra à la tournée anglaise ’65 du Zim, n’aura été que trop peu suivie. Combien de fois se sera-t-on retourné tout au long de cette série ? Sur des disques principalement, parfois oubliés, sortant miraculeusement des boîtes où ils prenaient la poussière. Sur quelques concerts et rencontres. Sur notre jeunesse, nos erreurs, nos errements et nos actes manqués (arrête couillon, on dirait du Goldman). Sur notre mémoire surtout, parfois encore vive, le plus souvent lacunaire, vagabonde voire déficiente. Au moins aura-ton tenté de le faire avec une certaine retenue. Sans déverser sa bile ou envoyer valser à travers la pièce son bol de soupe à la grimace. Il y avait de quoi pourtant, face à la parole des Tartuffes officiels ou de certains journalistes, cette cacophonie où on percevait très distinctement le son des coutures qui craquent, à force de vestes maintes fois retournées. Continuer la lecture de « #42 : Seam, Look Back In Anger (City Slang, 1992) »
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#41 : My Bloody Valentine, You Made Me Realise (Creation, 1988)
La première fois où je me suis fait gauler par les vigiles de la Fnac, c’est avec un CD de My Bloody Valentine sous la chemise. Un disque que je possédais déjà en vinyle. C’était pas rien, mais ça c’est bien terminé. Les types m’ont fait la leçon, puis laissé repartir en agitant des menaces en cas de récidive. S’ils avaient su le nombre de bouquins que j’avais réussi à escamoter à l’Agitateur depuis 1954. L’erreur fut donc de passer au digital. On m’y reprendra plus. Le plus drôle dans l’histoire est que je vivais justement avec une fille prénommée Valentine et que ce n’était pas funny tous les jours. 1987-92, sûr que durant ce quinquennat, les disques dans lesquels je me réfugiais ont pu m’aider à maintenir le cap. Qui sait pourtant si je n’aurai pas rempilé pour un nouveau mandat ? Sauf qu’on m’a définitivement bloqué l’accès aux urnes. Continuer la lecture de « #41 : My Bloody Valentine, You Made Me Realise (Creation, 1988) »
Catégories 45 tours de confinement
#40 : Heavens To Betsy / Bratmobile, My Secret / Cool Schmool (K, 1992)
Telle La Lettre volée d’Edgar Allan Poe, invisible puisqu’en évidence sur le fatras du bureau, elles trônaient là, surplombant toute la pièce depuis des mois, des années. Postées sur un des rayonnages les plus élevés de la bibliothèque, elles me toisaient, me faisaient de l’œil, parfois me sifflaient sans que je ne les voie ni les entende. Hey, petit mec, tu crois quoi ? Qu’on n’est pas assez bien pour toi et tes platitudes nombrilistes ?
So cute. Un amour de 45 tours. Une merveille de pochette, parangon de DIY estival, mais en noir et blanc quand même, l’air de dire méfiance, on n’est pas là pour (trop) rigoler. Un split single qui donne la banane, encore aujourd’hui. Publié sur K Records, label d’Olympia, État du Washington, drivé par Calvin Johnson. Papier plié, protection plastique, avec, faisant la nique à FAC 23 ou SARAH 18, la ref. parfaite, ultime, l’Everest du cool : PUNK 1. Continuer la lecture de « #40 : Heavens To Betsy / Bratmobile, My Secret / Cool Schmool (K, 1992) »