Yo La Tengo, This Stupid World (Matador)

Yo La Tengo, This Stupid World (Matador) Trente-cinq ans… Un bail, presque une vie d’adulte… Je me souviens parfaitement de ce disque (New Wave Hot Dogs, 1987), de cette pochette et de ce groupe au nom étrange, dont un ami, un peu plus âgé, mieux informé, me faisait chaudement la retape. À l’époque, estampillés « from Hoboken », Ira Kaplan et Georgia Hubley marchaient sur les brisées des Feelies, mais leur musique, quoique attendrissante dans ce qu’elle avait de primesautier, pour ne pas dire d’immature, restait contrainte dans sa gangue d’influences. Puis, les années ont passé, les albums se sont empilés, et peu à peu, sans vraiment faire de vagues, sans jamais générer beaucoup d’émoi, avec ce sens de la persévérance qui n’appartient qu’aux gens humbles, mais doués, Yo La Tengo a pris de l’épaisseur, de la moelle.

Yo La Tengo
Yo La Tengo

Tandis que le trio (on ne soulignera jamais assez l’importance de James McNew) s’installait dans la durée, sa musique traçait sa propre voie, s’affranchissait de toute servitude. Aujourd’hui, il y a un son YLT, un style, une démarche, une liberté de ton qui s’exprime sous de multiples contours, entre vacarme et harmonie, drones et mélodies, sagesse et folie…. Ce nouvel album – le dix-septième, si l’on retranche les nombreux projets parallèles – ne déroge pas à la règle. On y retrouve l’habituel amalgame de formalisme pop et d’expérimentations sonores, avec, en sus, un côté sombre et bruitiste dont était exempt son prédécesseur, le très (trop ?) éthéré There’s a Riot Going On. Trump, le Covid, la guerre en Ukraine sont passés par là ; le temps qui file comme de l’eau entre les doigts et les effets de l’âge, aussi… « This stupid world, it’s killing me », assène ainsi Ira Kaplan, l’espace d’un morceau-titre dont les sept minutes et vingt-sept secondes, lacérées de larsen, d’orgue et de tambours spectraux, agissent comme une catharsis.

Enregistré quasiment live par le groupe lui-même, sur la base de séances d’improvisations (cf. Sinatra Drive Breakdown, où Kaplan lâche complètement la bride à sa guitare), This Stupid World renoue avec la tension des années 1990, époque May I Sing With Me (1992) ou Electr-o-Pura (1995). Mais comme avec Yo La Tengo, rien n’est jamais d’une pièce, l’album est traversé de longs fragments atmosphériques (Miles Away), quand il n’est pas agrémenté de délicates vignettes acoustiques, telle Aselestine, une ballade chantée d’une voix virginale par Georgia Hubley, dont la fraîcheur et la pureté renvoient – tiens donc… – aux premiers pas du groupe. De là à se dire que la boucle est bouclée, il n’y a qu’un pas… qu’on ne franchira pas. Car s’il est une chose qu’il faut encore et encore souligner, c’est la constance, doublée de l’extrême exigence qui s’attache à la carrière de YLT. En ce sens, aussi magistral soit-il, on voit mal This Stupid World conclure l’œuvre immense du trio. L’avenir appartient à Yo La Tengo.


This Stupid World par Yo La Tengo est disponible sur Matador.

NDLR : L’album entier sur YouTube (comme Bandcamp ne l’a pas encore)…

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