Hand Habits, Fun House (Saddle Creek)

On appelle tel disque, dans l’embarrassant jargon de la critique francophone, un grower.

Un disque qui grandit.

Et qui nous grandit.

Et tel il est, ou mieux encore, un disque casse-pied, un formidable disque, un disque qui enseigne, qui ne se range pas en trois minutes comme une agréable paire de chaussons prête à être dégainée. Les choses bougent. Elles passent. Sans place.

En cherchant trois mots à placer en entrée de chronique – ça donne du cœur à l’ouvrage – ça sort de la zone de confort – je suis tombé nez à nez avec un mujo seppo de Shundo Aoyama à la conclusion inévitable : “Seul l’être humain se plaint de la nature transitoire de toute chose.” Qu’il vaut mieux glisser discrètement dans le ventre des choses.

Hand Habits
Hand Habits

Placeholder, le deuxième et précédent album de Hand Habits alias Meg Duffy – guitariste incontournable de sessions et de tournées notamment pour Kevin Morby, Perfume Genius, Mega Bog, Weyes Blood, War on Drugs –, posait à raison au chef-d’œuvre, vallées et canyons, paysages presque trop beaux pour être autres que plastiques, gentiment tragiques avec un haut, un bas, un itinéraire fléché – les relations, l’autre, les sentiments, mourning – on regardait un chef-d’œuvre de l’indie et, avouons-le, on chialait longtemps dans sa bière en écoutant Jessica tellement c’était beau.

Ah oui vraiment, quelle beauté, la tristesse.

Et, donc, tout un tableau dont il peut être libérateur de faire le deuil avant de plonger dans Fun House. Parce que c’est autre chose, un autre moment, mieux, une preuve de l’inexistence de l’immuable comme de l’immobile.

Aimez-vous Fleetwood Mac ?

Mieux vaut aimer Fleetwood Mac, voire un tout petit peu New Order, pour plonger dans More than Love qui ouvre le disque. Meg Duffy a composé à la guitare – iel demeure parmi les guitaristes les plus formidables de ces années de l’indie –, mais au lieu de persister dans les sublimes cathédrales d’arpèges qui charpentaient ses deux précédents albums – l’inaugural et semi-solipsiste, ou plutôt semi-minimaliste, ou plutôt semi-tout (écoutez, vous verrez), Wildly Idle (Humble Before the Void) demeure un disque de chevet absolu –, iel a confié à Sasami Ashworth et à Kyle Thomas, ses néo-colocataires, le soin de réaliser les chansons de ce qui est devenu Fun House à l’envers de toute attente – et donc – au plus libre, option pop maximaliste de chambre.

Et c’est – vraiment – bouleversant. Parce que Sasami Ashworth ne sort pas des disques à l’envers, ou à l’endroit, mais des disques indécorticables de génie, sans ornementation, avec une cape de super-héroïne sur les épaules, oui, et des idées du sol au plafond – de tous les étages alentour. Et qu’elle semble ne pas savoir faire autrement que décapsuler toutes les dix secondes, et qu’il semble que Meg Duffy a accueilli cette énergie et ce talent à bras grands ouverts, laissant derrière soi tout procédé, tout encombrement.

Le monde entre entier dans chaque chanson, jusqu’à nous.

Et l’on respire bien à sauter d’une weyes-blooderie superbe – No Difference – en un proto-rock – False Start – ou dans la tension indécise de Gold/Rust – sans s’attarder plus que de raison sur le bouleversant Graves – il y a des gens qui ne chantent pas les tombes, et d’autres qui les chantent. Il y a des batteries et des programmations, et des arpèges de guitares et de synthétiseurs, aucune épate, des cordes et des cuivres, et la voix parfois de Mike Hadreas, âme de Perfume Genius. Ça ne sonne jamais trop – pop de chambre – ni trop peu. L’équilibre, accueillant, et le mouvement. Ça vit, guère posé, formidable.

Et le propos du disque – iel va s’autoriser à dire qu’iel en chie, et s’autoriser le soin de soi qui en découle, et la liberté subséquente, en très gros et les deuils dans le blanc des yeux – en devient exponentiellement infini à mesure que les écoutes rendent les collisions de sons, d’arrangements, de textures, de brisures et de jeux avec les biais et les attentes de l’écoute multisémiques. Le songwriting divin est fait de mélodies dans des teintes toujours retenues, qui supportent l’attention – elles le méritent – et de textes denses mais ouverts.

C’est un disque de guérison, d’émotions subtiles, d’élégances, le genre de disque qui a ma faveur – le genre sincère – le genre au-delà du par-delà de la mélancolie.

C’est un disque qui comprend Aquamarine, une chanson qui réconcilie – la mélodie, l’électronique, la danse, le deuil, la liberté. Ça fait beaucoup ? Pourtant, ce n’est qu’une manière finie de dire l’infini d’un album inépuisable.


Fun House par Hand Habits est disponible sur le label Saddle Creek.

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