Citizen… well ?

Retour sur l’album « …Well? » de Swell avec une interview de David Freel en 1992.

Extrait de l’article paru dans Magic Mushroom n°4 / Été 1992


Je ne me souviens plus exactement comment le deuxième album de Swell – dont nous pensions tous que c’était le premier – est arrivé jusqu’à nous. Mais je me souviens que c’était une époque où l’on aimait les disques en noir et blanc – ce n’était pas forcément une nouveauté d’ailleurs, car il me semble que nous étions pas mal de l’équipe hétéroclite du fanzine magic mushroom à nous retrouver autour de Faith… Ainsi, au tout début des années 1990, nous avions fait duSpiderland de Slint et du Frigid Stars de Codeine deux de nos albums de chevet – la lenteur comme exutoire, le silence comme revendication, la mélancolie comme art de vivre. … Well de Swell tombait plutôt bien pour compléter la trilogie imaginaire – nous étions une génération qui aimait bien les trilogies.

Je me souviens en revanche très bien de la lecture de la chronique d’Hervé et d’avoir éprouvé une pointe de jalousie tant le texte donnait le ton – monochrome, forcément –, tant il suggérait comme à la perfection ce à quoi nous étions conviés, “des grands huit en gris et noir, […] une Foire du Trône sous un ciel de pluie”.  Nous venions alors d’initier au fanzine le rituel du “disque du mois” – qui était plutôt un “disque d’à peu près du trimestre” – et je me rappelle que pour la première édition, nous n’avions pu départager La Fossette de Dominique A et Everything’s Allright Forever des Boo Radleys. … Swell, cet album qui selon les propos qu’avait confiés son auteur à Philippe ressemblait à San Francisco, la ville qui avait vu naitre ces chansons, “une ville maussade”, où “la nuit, le brouillard tombe et noie les disques”, avait eu lui aussi le droit à ce titre honorifique.

Des années plus tard, à l’orée du XXIe siècle, le fanzine devenu magazine fêtait le premier de ses… deux dixièmes anniversaires – c’est un peu long à expliquer, mais c’est comme ça – et pour marquer le coup, nous avions décidé de réaliser une double compilation CD, pour réunir un titre de chacun de ces disques-là. Nous n’avions pu obtenir toutes les autorisations, mais Swell était de la fête, entre Le Courage Des Oiseaux et Little Bird. Nous avions choisi le titre Down, dont la guitare grinçante et la batterie sourde provoquent toujours autant de frissons. Down, donc, un mot qui aujourd’hui résume trop bien l’état d’esprit dans lequel nous a plongés la nouvelle de la disparition de David Freel.



David :
J’écris et j’enregistre des chansons avec Sean (Kirkpatrick, batteur) depuis quatre ans à peu près. Ls premières années, nous faisions ça pour nous. Mais il y a deux ans, nous nous sommes aperçus que nous avions assez de chansons pour faire un album. Nous l’avons sorti sans rien en attendre. Sean à la batterie, moi jouant des synthés, la guitare, la basse et chantant. Il y a eu de très bonnes critiques. Il a été longtemps programmé sur les collèges radios américaines. Ça nous a permis de faire pas mal de concerts. Nous avons alors demandé à deux amis, John (Dettman, guitare) et Monte (Vallier, basse) de nous rejoindre pour créer un groupe. Cela fera exactement deux ans au mois d’août. Puis, nous avons enregistré …Well?

David Freel

Qu’est-ce qui a changé entre ces deux disques ?
David : Dans la musique, je ne sais pas. …Well? est trop proche. La seule chose dont je sois sûr, ce sont les partitions de basse, bien meilleures que les miennes. Au niveau des compositions, maintenant, c’est 50/50. Moitié le groupe, moitié Sean et moi. Par contre, j’écris tous les textes et c’est vraiment beaucoup de travail.

De quelles influences ta musique te paraît-elle les plus proches ? Américaines ou anglaises ?
David : Je pense que ma musique est purement américaine. Certains affirment que des influences européennes sont évidentes mais pas pour moi. Tout à été écrit à San Francisco ou dans ses environs, et je raconte des histoires typiquement américaines. Je pense que la musique de Swell est un pur produit de la ville américaine, quelle qu’elle soit.

Justement, quelle est l’influence de San Francisco sur Swell ?
David : C’est une ville maussade. La nuit, le brouillard tombe et noie les disques. C’est une ville étrange car à chaque coin de rue, tu peux totalement changer d’univers. Chaque quartier est différent. Cela transparaît dans nos chansons.

Existe-t-il une scène musicale à San Francisco ?
David : Non. On ne peut parler de scène comme à Los Angeles. Il y a effectivement un nombre incroyable de groupes et de clubs mais sont tous vraiment différents les uns des autres. Depuis cinq ou six ans, il y a un revival folk. Les gens le découvrent maintenant mais il est présent depuis longtemps. Un journal allemand a demandé à une chanteuse de folk si elle connaissait Swell. Elle a répondu : « Oui, mais ils sont très distants. En fait, personne ne se connaît. » Tout est compartimenté. En ce moment, il est peut-être vrai de dire qu’une nouvelle scène indépendante se forme à San Francisco. De plus en plus de groupes sortent leurs propres disques comme dans les grandes années de la pop. Ces groupes sont au cœur de la scène mais c’est tout ce qu’ils ont en commun.

Peut-on dire que le Velvet Underground et Sonic Youth ont joué un grand rôle sur les groupes américains nouvelle vague comme le tien ?
David : Je ne sais pas. J’ai écouté le Velvet pour la première fois il y a deux mois seulement. Nous étions en tournée et dans un hôtel, il y avait les disques. Quant à Sonic Youth, j’ai écouté des trucs pour leur nouvel album… Tu n’as pas une autre question ? (rires) Je ne comprends pas ce type de comparaisons mais les deux groupes ne m’ont pas paru mauvais… Non, j’écoute plutôt Frank Sinatra, Tony Bennett, Depeche Mode ou des choses comme Nine Inch Nails. Led Zeppelin aussi qui bénéficie d’un retour en force depuis cinq ans à San Francisco.

Peux-tu nous expliquer l’intro de …Well? ?
David : C’est une longue histoire. Lorsque nous avions enregistré le premier album, Monte s’occupait de promotion. Il avait une petite compagnie. Nous lui avons demandé de s’occuper du disque. Il a accepté. Il a toute une collection de cassettes reçues dans le cadre de son travail. L’intro est extraite de l’une de ces cassettes. Nous trouvions la voix formidable et le texte intéressant. Nous l’avons utilisé par réaction. Après notre premier disque, nous avons été contactés par pas mal de labels et autres maisons de disques indépendantes. Cette intro est une manière de se moquer de ces gens. L’homme de l’intro apparaît également sur Soda Jerk Fountain. Sean l’accompagne au piano avec cette ambiance urbaine et la pluie. Tout cela a été pris sur une cassette.

CALIFORNIA DREAMING

Jusqu’à quel point cotre enregistrement est-il live ?
David : La moitié des chansons a été enregistrée live. Les autres ne fonctionnaient pas très bien donc nous les avons retravaillées. Nous voulions un son live. C’est la raison pour laquelle nous avons produit nous-mêmes le disque. Tu peux entendre la pièce où nous avons enregistré. C’est notre prop^re studio. Il est confortable et dégage sa propre atmosphère. Nous avons pu prendre notre temps et faire ce dont nous avions envie.

Que voulez-vous transmettre par votre musique ?
David : Nous voulons principalement créer des états d’âme. Ensuite, la gêne ou l’ennui font que les chansons s’imbriquent ensemble pour constituer un canevas d’humeurs qui, lui-même conduit à la rêverie ou des choses comme ça.

Vous souhaitez une musique visuelle ?
David : Absolument. Quand je pense à une chanson, je vois d’abord ses couleurs puis sa configuration et enfin sa place dans l’ordre d’un disque, en fonction des deux paramètres précédents.

Quelles explications donnez-vous pour les intermèdes entre les morceaux ?
David : Nous avons conçu ce disque comme un rêve. Ils participent doc à sa continuité. Les éléments, les titres se connectent entre eux on-ne-sait-comment ni pourquoi. Ça renforce l’idée de rêve. De plus, ces intermèdes sont des chutes, des scories de nos enregistrements. Pour toutes ces raisons, nous les avons intercalés entre les chansons pour les relier, former un tout. Je crois qu’ils aident l’auditeur à rentrer dans le disque et ne plus en sortir. Ils renforcent l’ambiance.

Y a-t-il de la place pour l’improvisation dans vos chansons ?
David : Non, pas tant que ça. Chaque titre est très fermé. Une chanson est souvent facile à commencer mais toujours dure à finir. En concert, nous reprenons California Dreaming, un titre pop avec un long solo de guitare. C’est la seule sur laquelle nous délirons.



Cet interview et la chronique de l’album ont été originalement publiés dans le numéro 4 de Magic Mushroom daté de l’été 1992. Un grand merci à Philippe Jugé et Hervé Crespy.

2 réflexions sur « Citizen… well ? »

  1. L’âge d’or de Magic RPM avant le rachat du titre par la gauche caviar tendance macroniste du bellâtre de Luc broussy ,depuis magic c’est de la merde en barre 78 carats

    1. Perseverance : c’est tellement vrai ! Le conseiller « personnes âgées » de l’équipe de campagne 2012 de Hollande…
      Les vrais ont migré ici sur ce site.

      Pour revenir au sujet, RIP Mr Freel.

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