Chant·mps d’impermanence

Les américains Big Thief en tournée française

Big Thief
Big Thief / Photo : Dustin Condren

La trente-huitième fois que j’écrirai la même chose, ne vous sentez pas obligé de m’arrêter. Ce ne sera toujours pas grave.

Ces jours-ci, Big Thief est de retour en France pour une série de concerts, et même les youtubeurs les plus réservés ont pu constater que les set-lists se remplissent, à l’habitude retrouvée du Never Ending Tour du groupe, de versions alternatives et de titres inédits, tandis que Dragon New Warm Mountain I Believe in You, montagne d’inspiration, une heure et vingt minutes, a pris la place d’une rivière infinie dans nos réflexes d’écoute.

Et l’on songe ému – oui – à cette épiphanie vécue à Tinals il y a déjà trois ans, quand le groupe à peine serti d’un troisième album acclamé – U.F.O.F. – balançait lors de son concert un inédit du calibre de Not. Avant de sortir un second disque aussi fort et opposé – Two Hands – la même année – aussi dur – aussi doux.

Quel était l’avant ? Une fiction qui n’a plus cours, sans doute, jusqu’à la prochaine. Et quel après ? Permettons-nous de ne pas nous en préoccuper : c’est maintenant que ça se passe. Ce qui se passe.

D’où le présent article : Not qui, par tout ce que “ça” n’est pas, dit ce qui est – la non-permanence, l’impermanence – une liste – la liste est l’événement poétique, qu’elle compte une ou trente-huit entrées, elle est mouvement, possible – Not nous cueille et nous recueille, comme Spud Infinity – capable de convertir les plus relous de tes potes fans de Daniel Johnston. Et Dragon New Warm… compte assez de chansons pour convertir ton grand frère rétif en une semaine de karaoké – il y aura bien un moment où il écoutera les paroles de Sparrow et où il se rendra compte.

C’est maintenant qu’il faut (aller) les écouter. Les vivants. Les disparus ont laissé des disques et des souvenirs, comme autant de livres ouverts ou fermés.

J’écris “conversion” comme je songe à ce qu’on appelle parfois la conversion spinoziste – ce n’est pas dangereux.

Ce n’est pas obligatoire.

Ce n’est pas grave.

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Parfois, je me rappelle l’époque où l’on buvait des bières et du mauvais vin dans les cuisines en constatant que l’on vivait les années où Federer et le Barça jouaient, comme si c’était une parenthèse historique, une exception.

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J’aime bien aller à des concerts avec des guitares où une partie réelle du public est plus jeune que moi et où les filles tiennent la main aux filles, les gars tiennent la main aux gars. C’était le cas pour Beach House. C’est le cas pour Big Thief.

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Mon plus vieux pote, mon meilleur pote dans la musique, l’un des deux avec qui tout est simple quand il s’agit de jouer – l’autre n’est plus, parce que l’on meurt – aimait Big Thief avant moi, a cessé pour certains disques, aime de nouveau, et ça me plaît beaucoup – tu ne vas pas faire chier le monde à le vouloir sans rien qui dépasse.

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J’ai reçu ce message de Bill aka Vincent qui déraisonnablement a franchi la Manche pour une dose supplémentaire et anticipée de Big Thief : “C’est le meilleur groupe depuis Nirvana.” Il a raison.

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Il y a ce pote connu – dans nos restreintes et meilleures coteries – qui pendant des mois m’a répété – j’adore leurs guitares mais je ne suis pas à fond comme vous les gars, j’ai l’impression de passer à côté de quelque chose, aidez-moi à comprendre votre trip – puis le groupe a sorti Red Moon – capable de convertir le plus etc.

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Heavy Bend ne dure qu’une minute et trente-six secondes, pourtant c’est un tirage avec toutes les majeures, toutes les mineures, que l’on peut lire pendant que la vieillesse n’entend pas que les Residents existent, encore, à chaque seconde, à chaque minute.

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On a à peu près arrêté de comparer Adrianne Lenker à PJ Harvey ou à Patti Smith. Enfin, le progrès. Si ça continue, bientôt, les gens appelleront les chanteuses par leur nom plutôt que par leur prénom. Comme tout le monde.

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Avec les groupes en bois, tu peux écrire comme une caisse, ça n’empêche pas de dormir sur ses deux oreilles. Là, je sais que je ne serai jamais content.

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J’ai assez laissé d’indices en ce sens pour que ma compagne finisse par m’acheter des Crocs. C’est dire si ce groupe est aimable, jusqu’à son look réputé indéfendable – à moins que l’on vieillisse.

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Depuis que j’écoute Big Thief, j’ai de moins en moins peur d’écrire en écriture inclusive au boulot. Fais-en ce que tu veux – tant que tu ne trolles pas pour la trente-huitième fois au bas de cet article – et encore – misère – tu vas vraiment le faire ? – encore ? – mon pauvre.

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Il y a tonton picolo-relou qui vient de rentrer d’un mariage, il nous casse les pieds avec les années 1990 et Pavement, mets-lui Wake Me Up to Drive pour qu’il vive maintenant, enfin, de nouveau – m’en cague s’il survit – tant qu’il cesse la colère – peut-être qu’il aime aussi Ry Cooder, le veinard.

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Promise is a Pendulum – il paraît que le Zim veut qu’on lui rende l’idée – la métaphore – le monde – il n’est jamais trop tard chef, il est à tout le monde, d’ailleurs c’est son nom. Ça vaut bien douze mille lignes.

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Peut-être qu’un jour je n’aimerai plus Big Thief – qui sait, vraiment ? Mais chaque fois que j’aurais écouté leur musique, j’aurais touché l’impermanence – et ça, je risque de m’en souvenir – ça finit par rentrer.

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Love Love Love/The Only Place/Blue Lightning.

Trois chansons aussi importantes que Tonight’s the Night.

Importantes.

Rien n’a bien d’importance, encore faut-il y faire attention.

Encore faut-il être là.


Big Thief est en tournée française jusqu’au 7 juin.
Dragon New Warm Mountain I Believe in You par Big Thief est disponible chez 4AD.

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