Big Thief, U.F.O.F. (4AD / Beggars)

Big ThiefEn découvrant U.F.O.F. pour la première – mais aussi pour la deuxième et la troisième fois – on est d’abord saisi de l’envie irrépressible d’en interrompre le déroulement pour trouver refuge dans l’écoute d’une une copieuse compilation d’Emmylou HarrisAnthology : The Warner/Reprise Years (2001), pour être précis. Cette impulsion ne relève évidemment pas de ces associations formelles par lesquelles les échos des œuvres passées en viennent à résonner ostensiblement dans les prolongements actuels de leur descendance assumée. Au contraire. C’est plutôt que la fréquentation prolongée des vocalises éthérées d’Adrianne Lenker suscite, par contraste, le besoin impérieux de se confronter à une version infiniment plus incarnée de l’humanité. En effet, le quartet de Brooklyn poursuit ici le cheminement entamé en 2016 – et enrichi l’an dernier de quelques digressions solitaires pour Lenker et Buck Meek. Cette fois, pourtant, Big Thief abandonne toutes les références ouvertement perceptibles à l’indie-rock qui émaillaient encore ses deux premiers albums au profit d’un formalisme plus abstrait et plus austère, où les racines folk sont désormais profondément enfouies sous des strates instrumentales savamment disposées. Souvent fascinant, parfois aussi agaçant, ce désir d’émancipation esthétique et de rupture avec le cadre conventionnel de l’écriture et de l’interprétation imprègne jusqu’aux notes de pochette où les différents membres du groupe sont, à plusieurs reprises, crédités pour leur contribution au souffle ou à l’ambiance du morceau. “T’es sérieux ?” a-t-on envie de rétorquer, à la lecture de ces intitulés légèrement prétentiards, pour mieux paraphraser au passage l’une des expressions favorites de ces générations qui seront sans doute amenées à considérer U.F.O.F. comme le classique fondateur qu’il est appelé à devenir. Oui, précisément, comme une papesse. Paradoxalement, c’est bien cette gravité dans l’implication, cet investissement sans distance dans les moindres inflexions d’une voix qui se risque à la fréquentation de tous les extrêmes qui finissent par sauver le groupe et ses chansons des risques inhérents à ses audaces expérimentales. Ce sont ces accents troublants qui entraînent parfois les fragments poétiques du discours amoureux aux limites d’un bredouillement régressif et infantile (From) ou bien dans les profondeurs caverneuses d’un registre vocal très en-dessous de celui qui sied spontanément à Lenker (Betsy) et qui emportent, peu à peu, le morceau et l’adhésion émue. Ce sont ces résonances subtiles qui finissent par donner un peu de chair à une écriture en forme de patchwork, où les prénoms et les lieux sont convoqués par bribes, et par conférer leur puissance évocatrice à ces collages peu figuratifs. Malgré l’ambivalence initiale qu’elles peuvent susciter, les exigences ont donc parfois du bon lorsqu’elles apparaissent, à la longue, comme légitimes et nécessaires.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *