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Always Now, section 2[6] & moi

Pourquoi j’adore et je déteste Peter Saville (comment je me suis disputée)

26. Le décompte était inexorable et nombre s’est soudain fait chair. Il fallait lui donner une forme, vite, bonne, belle. L’atmosphère était frondeuse et ça aurait pu être « Fact–ion » mais ce fut « Section ». Section-vingt-six, comme Section-Twenty-Five-Le-Groupe. En effet, quoi de plus naturel que d’aller puiser pour étendard une référence évidente dans l’entre-soi d’un catalogue pop moderne par excellence : Factory Records.

Le logo section25+1, ça commence donc à peu près comme ça, avec un pastiche de pastiche, avec le jaune et le noir, et surtout avec des mots fleuris de poète, comme un manifeste donc : « Nous, c’est Factory, et eux, c’est de la merde ». Continuer la lecture de « Always Now, section 2[6] & moi »

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La chute de la maison Festen

Festen Record Store
Photo : Stéphane Récrosio

Beaucoup en ont rêvé, mais Stéphane Récrosio l’a fait. Au début des années 2000, il a mis en pratique les idées qu’il avait exprimées à travers ses fanzines et son label Orgasm Records en ouvrant, dans le douzième arrondissement de Paris, un disquaire dédié au rock indé : Festen, situé au 78 boulevard Diderot. L’époque était encore au CD et le vinyle n’avait pas amorcé son retour. L’aventure durera trois ans. Sans le moindre soupçon de nostalgie, il a accepté de la raconter.

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Feeling Yourself Disintegrate – The Flaming Lips

17 secondes qui ont changé ma vie

Fra Angelico, Le Couronnement de la Vierge (détail).

Je n’avais jamais vraiment pensé à la mort avant d’entendre Feeling Yourself Disintegrate, la chanson qui clôt l’album que les Flaming Lips ont publié en 1999, The Soft Bulletin. Enfin, pas à la mienne, et pas de cette façon : au son d’un morceau qui continue de m’évoquer la version musicale d’un tableau de Fra Angelico qu’aurait réinterprété Moebius.
Encore aujourd’hui, c’est pourtant bien vers la prescience d’une fin de moi que dérivent mes pensées lorsque se conclut le deuxième refrain et que la voix de Wayne Coyne, fragmentée, réverbérée et démultipliée, disparaît derrière un rideau de chœurs épais comme de la bure pour laisser sa place à ce que je tiens pour l’un des plus émouvants solos de guitare qu’il m’ait été donné d’entendre, tous genres et époques confondus. Rien que ça. Un chapelet de quoi ? Dix, quinze notes trébuchantes arrachées à des cordes raides comme les tables de la loi, mais dont la force et l’évidence renvoient à leurs rosaires tous les pontifes de la gamme pentatonique. Et fait immanquablement monter à mes yeux tout le sel de la Mer rouge. Un solo qui, alors que le chant des anges vient soudainement allumer le ciel et qu’au loin tintent les cloches du jugement dernier sous les marteaux d’un xylophone, s’envole avec un glissé héroïque pour s’écraser aussitôt sur un petit motif têtu, presque enfantin, que Steven Drozd, le batteur-guitariste du groupe, va répéter pendant presque une minute, jusqu’à ce que la nuit ait tout englouti. Plus un anti-solo, d’ailleurs, où ne s’exprimeraient que fragilité et impuissance résignée. Une sorte de mot d’excuse, comme une façon de dire : « J’ai fait de mon mieux, les gars, mais ce ne sera que ça. » Voilà le « doux bulletin » qu’adressaient à la postérité les Flaming Lips en 1999 : une ballade solaire sur la finitude de toute chose et la faillibilité de l’homme, cette machine à disparaître. On a appris, plus tard, que le chanteur Wayne Coyne avait perdu son père peu de temps avant d’écrire les paroles de Feeling Yourself Disintegrate, et qu’il lui était encore douloureux de l’interpréter en public. On a également appris que ces quelques secondes vers lesquelles semblent tendre tous les morceaux de The Soft Bulletin, et, a posteriori, toute la carrière d’un groupe dont la musique n’a plus jamais atteint ce pic d’intensité, avaient jailli d’une main qu’on avait, quelques semaines plus tôt, failli amputer. Un mois après la sortie de l’album, j’achetais donc ma première guitare électrique, une acquisition que j’avais maintes fois repoussée. Et j’adressais à mes voisins mes premiers doux bulletins.

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I Won’t Share You – The Smiths

17 secondes qui ont changé ma vie

Je ne connais qu’une chanson dont les dernières mesures vous supplient à genoux de les réécouter en boucle. C’est-à-dire de reproduire à l’infini la rupture courtoise qu’organisent le textus interruptus et le « fade out » dans la relation quasi amoureuse qui s’établit, quelques minutes durant, entre un artiste et celui qui l’écoute. C’est l’effet, assez paradoxal, que produit sur moi depuis près de trente ans I Won’t Share You des Smiths. Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi. Mon analyste non plus.
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Je bande encore

ou comment je suis revenu au support le plus obsolète du monde

Pourtant je me pensais infaillible. Délivré de la tentation. Vacciné contre toute rechute. Ma boulimie de musique ne s’accomplirait désormais plus que de manière dématérialisée. J’avais déjà dispersé il y a quelques années toute ma collection de disques vinyles lors de deux après-midis dont certains se souviennent encore. Je m’étais également séparé d’une grande partie de mes CD pour devenir un adepte du streaming. J’avais acheté une chaîne hifi que je pouvais relier directement à mon téléphone grâce à la fonction bluetooth (j’observe d’ailleurs que c’est mon téléphone que je raccorde à ma chaine et non l’inverse, signe de l’importance qu’a pris cet appareil dans ma consommation de musique aujourd’hui). Je n’avais plus à bouger les fesses de mon salon pour découvrir tous les vendredis les nouveautés. Je n’avais plus à me lever aux aurores pour partir à la recherche des disques de mon adolescence sur les vide-greniers. Je n’avais plus à écumer les conventions le week-end pour mettre la main sur des disques désirés à distance mais jamais approchés – si ce n’est en rêve. J’étais devenu un streameur de fond et, après avoir souvent nagé à contre-courant de mon époque, j’éprouvais plaisir à me laisser porter par son flot.
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Elliott Smith

Elliott SmithOn fête les 20 ans de la sortie d’Either/Or (1997) d’Elliott Smith, l’album de transition entre le folk dépouillé de ses deux premiers Lp et la pop plus orchestrée de XO (1998). Au lieu d’expliquer une énième fois pourquoi ce disque est un chef d’œuvre, on vous propose une digression approximative et en première personne à partir du titre du disque, piqué à Kierkegaard.
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