Thomas Pradier, Où cette histoire nous mènera (Lunadelia Records)

Où cette histoire nous mènera ? C’est la question que j’aurais dû poser à Thomas Pradier quand je l’ai croisé le mois dernier à Strasbourg, alors qu’il fumait tranquillement une cigarette après un concert où il œuvrait à la basse (une réédition de la fameuse Höfner Violin en bandoulière, les détails ont une importance) dans un backing band tranquille. Tout de vert vêtu, dans une belle veste aux motifs mexicains brodés, l’élégant jeune homme, mèche blonde et yeux bleu-clair, porte avec modestie une classe certaine, et parle de peu de mots, avec douceur.

Il promène donc sa belle personne au service des autres, ici pour Laure Briard, donc, ou pour Barbagallo, l’année dernière, lors d’une tournée sud-américaine… Il y a trois ans, il avait sorti un premier album via la plateforme stakhanoviste de La Souterraine, le non-label qui édite à tour de bras dans une démarche d’archiviste complètiste de la scène française. La nuit au ralenti, que j’avais découvert sur le tard, soit trois ans après sa sortie, proposait une dizaine de chansons, élégantes comme leur auteur, qui faisaient vivre le français au contact d’une musique américaine en diable, comme si quelques renégats yéyés avaient pris un loft dans le New-York d’Andy Warhol : batterie minimale surmontée d’un tambourin étourdissant, basse à fond dans les mediums, mélodies ritournelles nimbées de reverb qui laissaient place dès que possible à des guitares électriques débridées… D’ailleurs quand j’avouais honteusement à Thomas qu’il assouvissait l’un des mes fantasmes personnels, à savoir entendre Galaxie 500 dans ma langue, il me corrigeait en revendiquant tout simplement les mêmes influences que le groupe de Boston : le Velvet Underground. Clair et net. La poésie des paroles, directe, très simple, toute en rimes, donnait à l’ensemble un attrait immédiat et distillait un humour tout léger, emprunt d’une mélancolie discrète. En somme, un vrai Gentleman électrique, un des titres emblématiques de cette première somme, qui malheureusement n’a pas eu d’existence physique. Quatre ans plus tard, le jeune homme, installé à Toulouse, et gravitant autour de la riche scène (Eddy Crampes, Laure Briard, Julien Gasc) de la ville rose, sort la suite : Où cette histoire nous mènera ? reprend visuellement l’univers du premier disque : mur du fond recouvert d’aluminium, petite languette rouge découpée avec le titre en manuscrit. Le visage de Thomas Pradier baigne dans un halo de lumière bleutée. Après un démarrage en demi-teinte, comme si le groupe virtuel (en fait, Thomas joue tous les instruments) prenait ses marques sur trois ballades, le disque démarre véritablement à partir de Rêve Idéal et sa mélodie qui tourbillonne : la voix fragile de Thomas Pradier sautille sur ses mots avec un sourire aux lèvres (« La route se dessine, se déroule entre les cimes, dans ce silence sans hymne, qu’il m’a fallut traverser. Passées les pensées acides et les yeux bien trop humides au cœur des prairies arides qu’il m’a fallut oublier, je ne crains plus les planchers qui se dérobent… ») en dialogue avec un carillon, un theremin, et sa propre voix étouffée au loin. Le disque est lancé et dévoile constamment, dans un son spacieux, différentes strates d’arrangements (piano, grelots, handclaps, fuzz diverses, harmonica…) qui dessinent des perspectives étonnantes quand les chansons sont au rendez-vous : Sous les miroirs brisés, Où cette histoire nous mènera, Le second fils sonnent immédiatement comme des petits (par leur durée) classiques instantanés. Des ruptures instrumentales traversent le sommet imparable du disque, Les mains dans les ronces, à la richesse inépuisable (et cette basse entêtante). Cette seconde collection de pièces ouvragées, précieuses, enthousiasmantes que la voix de Thomas Pradier survole, émouvante, toujours, donne ses lettres de noblesse à ce nouveau genre, que j’appellerais bien Variété Underground, du nom du groupe qui l’accompagne sur scène. Le Gentleman électrique est bien de retour, et je l’espère, pour longtemps.

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