Un ciel bas, des vitres embuées. Le shoegaze c’est avoir la tête penchée. Maria Somerville est rentrée chez elle, dans le Connemara, là où les montagnes plongent dans l’Atlantique et où le lac Corrib réfléchit des ciels changeants — et Luster, son deuxième album paru chez 4AD, porte en lui toute la lumière diffuse de ce retour-là. Dans le petit studio de son salon, avec des comparses de l’île (Henry Earnest, Finn Carraher McDonald, Ian Lynch de Lankum à la cornemuse uilleann sur Violet), Somerville a filé 12 titres comme des petits tableaux sonores — le paysage irlandais vu à travers l’eau perlée d’une brume, comme J. M. W. Turner quand il vise le point d’abstraction atmosphérique (soit le train ou la guitare). Une musique comme un linge humide posé sur un front fiévreux : apaisement mais chute du linge au moment exact où nous penchons la tête justement. Continuer la lecture de « Maria Somerville, Luster (4AD) »
Étiquette : Label : 4AD
Catégories chronique nouveauté
Kim Deal, Nobody Loves You More (4AD)
Kim Deal est de ces bonnes et véritables amies qui laissent leur miroir de poche au vestiaire mais ne se séparent jamais de leur intégrité. Je l’ai rencontrée aux détours de sa guitare basse et de ses vocalises vaguement énervées chez les Pixies dès 1986, je l’ai adorée sur le premier et magnifique album de The Breeders, Pod, sorti en 1990 sur le label phare de l’époque 4AD et produit par Steve Albini. Là, Kim retrouvait Tanya Donelly (Throwing Muses et Belly), Josephine Wiggs ainsi que Kelley Deal, sa sœur jumelle. Continuer la lecture de « Kim Deal, Nobody Loves You More (4AD) »
Catégories chronique nouveauté
Adrianne Lenker, Bright Future (4AD)
Is this what you wanted ?
To live in a house that is haunted
By the ghost of you and me
Un grain de sel, jamais sur les plaies.
Qui publie donc entre deux tours de Terre en 2024 un disque enregistré en 2022, si vraisemblablement brut que l’on pourrait oublier de se cogner dedans, glisser entre des ondes, pleurer des fantômes. Lenker en est à plus d’une demi-douzaine de merveilles de disques, seule ou avec Big Thief, et l’on craint pour elle, chaque nouvelle fois, pour nous : sera-t-on déçu·e ? Continuer la lecture de « Adrianne Lenker, Bright Future (4AD) »
Catégories interview
Buck Meek : « Jouer de la guitare est instinctif et cathartique »

On avait rencontré Buck Meek à l’occasion de la sortie de son inépuisable et pourtant discret deuxième album, Two Saviors, discret quand on l’envisage à la mesure de l’audience que Big Thief draine désormais. Si le guitariste se met dans le groupe susmentionné au service des chansons d’Adrianne Lenker, des traces de son propre songwriting, à la fois sinueux et lentement, étonnamment évident, n’ont jamais cessé d’apparaître sur les disques de la formation. La dernière en date n’étant pas la moindre, le classique instantané et signé à quatre mains Certainty, sur le non moins instantané et non moins classique Dragon New Warm Mountain I Believe in You. Continuer la lecture de « Buck Meek : « Jouer de la guitare est instinctif et cathartique » »
Catégories chronique réédition, mardi oldie
Lush, Spooky, Split & Lovelife (4AD)


Sept ans après la fin d’une reformation en eau de boudin – les tensions subsistent entre les deux têtes pensantes Emma Anderson et Miki Berenyi –, 4AD, le label anglais qui a donné au post-punk son rang de cathédrale sonique, réédite les trois albums de Lush, groupe qui n’a jamais eu le droit au statut qu’il aurait amplement mérité – et ce même si le troisième album a récolté les lauriers d’un certain succès populaire… Retour sur le parcours et les chansons d’une formation maitre dans l’art du grand écart. Continuer la lecture de « Lush, Spooky, Split & Lovelife (4AD) »
Catégories interview
Benjamin Woods (The Golden Dregs) : « J’ai détesté la plupart des moments que j’ai passés à écrire cet album »

Combien de points sont-ils nécessaires pour parvenir à esquisser une trajectoire ? A observer la discographie aux courbes incertaines esquissée depuis ses débuts en 2018 par Benjamin Woods – alias The Golden Dregs – les évidences de la géométrie semblent, dans son cas, largement remises en cause par les voltes musicales déroutantes. Un premier album presque garage-rock, un second un peu plus personnel et plus original mais toujours tourné vers l’Amérique et ses mythes. On a beau les réécouter depuis le troisième point de fuite provisoire : on n’y trouve pas grand-chose qui contribuerait à inscrire On Grace & Dignity dans la continuité linéaire de ces débuts prometteurs mais encore tâtonnants. Les guitares acerbes ont largement cédé la place aux claviers moelleux. Seule la voix, peut-être, demeure. Ces murmures de barytons qui donnent chair à des récits précis et incarnés, comme autant de petites nouvelles rescapées d’un voyage à rebrousse-temps. En 2020, Woods est retourné vivre chez ses parents, en Cornouailles, et tout a changé. Continuer la lecture de « Benjamin Woods (The Golden Dregs) : « J’ai détesté la plupart des moments que j’ai passés à écrire cet album » »
Catégories sunday archive
Modern English, les années folles

Il y a des albums dont on a pensé, des années durant, qu’on était seul à les aimer. À les chérir. Seul ? Pas tout à fait. Il y avait aussi les copains, les copains de la résidence de la banlieue ouest. Au sommet de nos hit-parades imaginaires, il y avait ce disque et je ne sais plus exactement comment on l’a découvert – peut-être grâce à Thierry, comme souvent ; peut-être grâce à Bernard Lenoir et Feed-Back, comme toujours – et le concert des Bains-Douches à Paris diffusé en direct un soir de fin d’été 1982 mais écouté un peu plus tard sur cassette vierge (comme, dans le désordre, les prestations de Depeche Mode, Cocteau Twins ou Tears For Fears…). After The Snow, donc. Continuer la lecture de « Modern English, les années folles »
Catégories billet d’humeur
Chant·mps d’impermanence
Les américains Big Thief en tournée française

La trente-huitième fois que j’écrirai la même chose, ne vous sentez pas obligé de m’arrêter. Ce ne sera toujours pas grave.
Ces jours-ci, Big Thief est de retour en France pour une série de concerts, et même les youtubeurs les plus réservés ont pu constater que les set-lists se remplissent, à l’habitude retrouvée du Never Ending Tour du groupe, de versions alternatives et de titres inédits, tandis que Dragon New Warm Mountain I Believe in You, montagne d’inspiration, une heure et vingt minutes, a pris la place d’une rivière infinie dans nos réflexes d’écoute. Continuer la lecture de « Chant·mps d’impermanence »