Never Be A Punching-Bag For Nobody, de Naomi Yang (2023)

Quand j’ai connu musicalement Naomi Yang, elle jouait dans le groupe Galaxie 500. J’avais commencé par la fin, puisque j’avais acheté à la Fnac de la Maison Rouge à Strasbourg, l’album This Is Our Music, leur dernier, avant que Dean Wareham ne prenne la poudre d’escampette pour fonder Luna, et laisse en plan le couple Damon Krukowski et Naomi Yang, donc. Pas grave, ils vont masteriser ce moment en fondant d’abord Pierre Etoile pour un unique et toujours magnifique EP 3-titres (sur Rough Trade), puis plus sérieusement Damon & Naomi. On les a croisés, dans une autre vie, à Colmar, dans un tour d’Europe où ils prenaient plaisir à visiter les lieux anciens, avec ces vieilles pierres. Plus tard, ils fonderont, en parallèle de leur métier de musiciens, Exact Change, une maison d’édition très pointue avec des textes d’auteurs américains et européens, plutôt lorgnant vers l’avant-garde du XXe siècle. Des classiques pour le futur, ils avaient un slogan de ce type (à voir cette superbe histoire de leur maison d’édition dans un simili Pléiade). En plus de s’occuper du choix des textes, Naomi Yang exerçait aussi sa passion de photographe, graphiste. C’est dans la peau d’une réalisatrice qu’on la retrouve aujourd’hui pour un modeste film qui vient de sortir sur la plateforme Viméo.

Avec un titre en forme de manifeste féministe mais pas que, aussi bien inspiré de luttes civiles que de combats intimes, en gros « Ne deviens jamais le sac de frappe de personne », le film entremêle finement les histoires urbaines d’un quartier de l’Est de Boston et la rencontre de l’auteure avec la boxe, à travers un club tenu par une figure paternelle, discrète et haute en couleur. Sal Bartolo aurait pu se poser dans le coin d’un boxeur italien dans un film un peu cliché, mais il est plus sympathique dans la réalité. Il devient un professeur philosophe qui apprend à Naomi Yang à sortir un truc d’elle-même à travers les coups de poing, les sparrings (ces échanges de coups entre partenaires) et les entraînements réguliers. Un truc qui coince, évidemment et dont on laissera le spectateur toute la surprise dans un moment intense et poignant du film.

Mais si le cheminement très personnel irrigue tout le film, avec en contrepoint une musique planante et des images contemplatives composées par la réalisatrice, il n’en reste pas moins ancré dans une autre histoire, celle d’un quartier de Boston idyllique dans les années 60 et livré aux besoins d’un aéroport grandissant, déversant ses avions toutes les quatre minutes et frôlant les toits des maisons des habitants, privés de leur environnement et rendus sourds – en réalité comme au figuré – aux exigences d’un capitalisme qui ne dit pas son nom, destructeur, forcément. Là aussi, on devine l’issue, la défaite, mais comme pour Naomi Yang, le chemin passe par une lutte, sans doute perdue d’avance, mais tout à fait essentielle à sa constitution, son bien-être et son développement. Sortir de sa léthargie, de son immobilisme, de son passé aussi, apprendre à rendre des coups, ne pas se laisser faire, peut-être que c’est après-tout ce qu’il reste d’essentiel. Perdu d’avance, mais pari tenté, et défi relevé. Beau film au final.

Never Be A Punching-Bag For Nobody, un film de Naomi Yang, disponible en V.O.D via Vimeo