Dot Allison, lumières blanches

Dot Allison
Dot Allison

Au début des années 1990, nous étions quelques-uns, je crois, à être tombés amoureux de la voix éthérée – et pas que, soyons sincères, un garçon prénommé Guy-Manuel ne pourrait absolument pas dire le contraire – de la diaphane Dot Allison, figure de proue d’un trio de Glasgow. Dans la Grande-Bretagne post-Screamadelica, One Dove pouvait voir l’avenir en rose bonbon à la faveur d’un premier maxi, Fallen, publié sur le label écossais Soma. Mais la rencontre avec Andrew Weatherall et l’idée de signer la bande originale parfaite d’un monde en descente de rave ne seront pas suffisantes pour effacer un mauvais timing et la sortie trop tardive de l’album Morning Dove White au moment même où la britpop vit ses premières minutes de gloire. Protégée du label Heavenly dont elle aurait pu devenir l’égérie – même si Beth Orton était déjà de la partie –, mais visiblement adepte des disparitions, Dot Allison répparaitra six ans plus tard avec un premier album exquis, Afterglow, jolie collection de messages personnels en impeccable équilibre entre passé et modernité. Aux abonnées presque abentes lors des années 2010, elle est de retour aux affaires depuis 2021 (avec entre autres un album, Heart-Shaped Scars, et un morceau enregistré avec Anton Newcombe, Bringing Murder To The Land, bande orginale de la série Annika) et vient de signer un nouvel album épatant – ce que Paul Weller confirme –, Consciouslogy où elle continue de décliner un folk rétrofuturiste, porté par cette voix à la fragilité vertigineuse. L’occasion était donc trop belle pour ne pas se souvenir d’une rencontre datant de la toute fin du XXe siècle…

Après Beth Orton, le label Heavenly dévoile sa nouvelle égérie en la personne de Dot Allison. Déjà repérée voici six ans au sein de One Dove et beaucoup plus récemment, sur le Contino Sessions de Death In Vegas, la jeune femme signe avec Afterglow un album où classicisme et modernité se tiennent la main et où les collaborateurs – d’Anthony Reynolds de Jack au célèbre parolier Hal David – ont offert à la demoiselle les plus beaux de leurs écrins. Envoûtant. 

Dot Allison a cette peau blanche dont seules les citoyennes britanniques semblent avoir l’apanage. Elle ressemble, presque, à l’une de ses poupées de porcelaine, si fragiles qu’on n’ose à peine les toucher. Assise tout au bord du divan, elle se tient droite comme un “i” et sourit à chaque fois avant de répondre aux questions. Parfois, gênée, elle baisse les yeux. Parfois, elle accélère son débit, hausse un peu la voix pour évoquer son premier album solo, Afterglow, annoncé maintes fois par la presse anglaise mais dont on se demandait à la fin s’il allait vraiment voir le jour. D’autant plus que ça faisait bien longtemps que l’on espérait pouvoir réentendre cette voix grisante, qui avait su si bien séduire sur le premier – et unique – album des mésestimés One Dove, Morning Dove White, disque presque mort-né et réalisé à l’automne 1993.

 L’histoire de One Dove ressemble à s’y méprendre un beau gâchis… Formé par Jim McKinven – un ancien Altered Images –, Ian Carmichael – alchimiste sonore, prince du home-studio et entre autres producteur de The Orchids– et Dot Allison, le trio voit le jour à Glasgow en 1990. Son premier single – union parfaite entre claviers aériens, guitares en apnée et rythmes dance hypnotiques – sort sur Soma records, qui n’en est alors encore qu’à ses premiers balbutiements, et surtout, attire l’attention d’Andrew Weatherall qui vient d’achever l’un des chefs d’œuvre de la décennie, le Screamadelica de Primal Scream. Deux autres maxis plus tard, sur Boy’s Own cette fois, tout le monde a déjà succombé aux charmes de cette musique pure, éthérée et sensuelle. Mais pour des problèmes contractuels, l’album Morning Dove White, bien que prêt depuis un an, ne verra le jour qu’en novembre 1993. Il est alors trop tard. Le public a déjà oublié les volutes planantes de ces Écossais qui signent pourtant un disque délicieux. Le groupe tente alors de survivre, mais le cœur n’y est plus. “On a fait deux ou trois tournées puis nous avons continué quelque temps à travailler ensemble. Mais après la sortie du disque, la dynamique du groupe avait changé. Chacun s’est mis à composer chez soi, avec son ordinateur. C’est alors que j’ai commencé à envisager de me lancer seule… J’avais besoin de me prouver à moi-même que je pouvais écrire des chansons, mais j’avais peur. Mais mon envie a fini par prendre le dessus sur cette peur : je suppose que ça à voir avec mon caractère, je suis d’un naturel plutôt timide. Tout au long de la dernière année avec One Dove, je me suis surtout préparée mentalement à quitter One Dove”.

En 1995, la jeune fille a retrouvé sa liberté. Fille de musicienne, elle avait appris très tôt à jouer du piano. Elle s’est ensuite initiée à la guitare. Elle avance à tâtons, cherche, consigne toutes les idées qui lui passent par la tête, sample tous les disques qui lui tombent sous la main… “La première chanson qui m’ait fait prendre conscience de mes ‘moyens’, c’est sans doute Tomorrow Never Comes”. Mais en 1996, la jeune femme est victime d’un grave accident de la route et est obligée de rester plusieurs semaines en fauteuil roulant. Une fois rétablie, elle quitte Glasgow pour s’installer à Londres. “C’était la plus logique des décisions. Plus rien ne me retenait en Écosse, je n’avais pas d’argent, j’étais prête à me lancer en solo”. Là-bas, elle peut compter sur l’appui de la structure Heavenly – label, mais aussi agence de promotion et de management. Elle traîne à son fameux club, le Heavenly Social et surtout, continue à composer. “Jeff [Barrett] d’Heavenly ne cessait de me demander comment évoluaient mes compositions, si j’étais satisfaite de ce que je faisais. Je le connaissais parce que c’est eux qui ont assuré la promotion de One Dove. Un jour, je me suis risquée à lui laisser une maquette. Il adoré et m’a proposé un contrat…”

Parfois, regarder attentivement une pochette peut en dire long sur le disque qu’elle abrite. Celle du Afterglow de Dot Allison est de celle-ci.  Au premier coup d’œil, elle évoque à la fois le Dig Your Own Hole des Chemical Brothers et le Chelsea Girl de Nico. Et l’album est à cette image : un pied ancré dans le passé, pour cette volonté d’écrire des chansons à l’ancienne, ce goût immodéré des arrangements mélancoliques ; l’autre dans le présent, fort d’une production moderne, aux morceaux agrémentés de samples. “Au départ, la pochette était tout autre, beaucoup plus ‘lumineuse’. Je ne sais pas encore pourquoi j’avais donné mon accord… Celle-ci reflète beaucoup plus le disque que j’ai voulu faire, elle dégage cette atmosphère ‘noire’ que j’aime beaucoup”. Album au ton ouvertement romantique et à l’ambiance crépusculaire, Afterglow est une œuvre qui ne s’écoute pas d’une oreille distraite. Il faut s’immerger dans ces compositions, tantôt ouvertement pop, comme le hit programmé Close Your Eyes ou Mo’ Pop, tantôt empreinte de psychédélisme, à l’instar de I Wanna Feel The Chill. Si Dot signe elle même la plupart des morceaux, elle a aussi fait appel quelques collaborateurs… “Je ne connaissais pas personellement Anthony Reynolds avant de travailler avec lui, mais j’avais déjà écouté son groupe, Jack… J’avais également entendu l’une de ses maquettes et surtout, un morceau qu’il avait écrit pour Marianne Faithfull. J’adore la voix de ce type… Je me suis tout de suite sentie à l’aise avec lui… Sans doute parce que c’est un grand fan de Scott Walker ! On s’est tout de suite trouvé sur la même longueur d’ondes. C’est vraiment quelqu’un de très talentueux, c’est dommage qu’il ne soit pas encore reconnu à sa juste valeur. Sur Did I Imagine You?, le texte serait signé par un certain Hal David ; on pense d’abord à un homonyme mais… “Non, non, c’est bien lui ! Je l’ai rencontré il y a quelques années et nous avions gardé contact. Je lui ai demandé s’il était prêt à m’écrire un texte. Je lui ai envoyé une cassette avec ce morceau et voilà ! C’est vraiment facile de chanter un de ses textes, il a une telle sensibilité…”

“C’est incroyable comme il est plus facile d’être une artiste solo que de jouer dans un groupe”. Dot Allison a fini son thé. “Les gens ne peuvent pas savoir à quel point les relations sont difficiles à gérer… Et encore, dans One Dove, nous n’étions que trois”. Aujourd’hui, la jeune femme savoure sa condition. Elle connaît sa chance. Elle ne veut certainement pas la gâcher. “C’est amusant quand j’y repense… Même si j’ai toujours baigné dans un milieu musical, je n’aurais jamais imaginé qu’un jour je pourrais gagner ma vie en écrivant mes chansons. Et pourtant, dès le collège, je rêvais de devenir chanteuse !” Dot pense déjà à l’avenir. Elle est enfin satisfaite du groupe qu’elle a pu réunir pour jouer sur scène. Elle laisse entendre que, une fois pleinement rassurée sur son talent de compositeur, elle se risquera peut-être à écrire pour d’autres, “en particulier pour Hope Sandoval, elle a une voix merveilleuse”. Elle avoue avoir failli demander à Scott Walker de venir chanter sur son disque et compte bien un jour enregistrer un duo… “Peut-être avec Dolly Parton, j’adore sa voix ! Mais, en général, les gens avec lesquels j’aurais rêvé chanter ont aujourd’hui disparu : Nico, Gram Parson… J’aimerais bien travailler avec Kevin Shields à la production. Pour le prochain disque, je continuerai les collaborations car j’adore ça, mais je ferai certainement appel à des artistes plus obscurs”. Et puis, alors que l’interview est sur le point de prendre fin, elle se met parler des artistes qu’elle adore : ceux d’aujourd’hui, comme Arab Strap, Primal Scream ou Death In Vegas, et ceux d’hier, Dusty Springfield, Bobbie Gentry ou le Velvet Underground. Enfin, juste avant de prendre congé, elle ne peut s’empêcher d’évoquer ses chansons favorites. I Believe In You de Neil Young, Who Loves The Sun du Velvet, The Look Of Love chantée par Dusty… Si un jour je compose un morceau comme celui-ci, je crois que je pourrai arrêter, non ?” Non.


Consciouslogy par Dot Allison est disponible sur le label Sonic Cathedral Recordings.

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