Il y a quelques semaines (autant dire dans une autre vie – c’était au mois de mai je crois), j’ai déjà écrit toute ma fascination pour l’Américain Matt Fishbeck, un esthète comme on n’en croise plus aucun dans l’univers de la musique pop, taillé dans l’étoffe d’un héros d’un film de Pasolini – si tant est qu’il y ait des héros dans les films de Pasolini, mais c’est une autre histoire. Une fascination qu’est venue nourrir ce matin, presque au réveil (Matt Fishbeck est de ceux qui font attention au décalage horaire, une qualité assez rare pour être soulignée), la réception d’une reprise via un lien YouTube. Mais reprise n’est sans doute pas le mot le plus juste. Il s’agit plutôt d’une relecture.
Quelques jours à peine avant la sortie de Beyond The Pale, le nouvel album de son projet JARV IS…, nous avons décidé de revenir sur un moment important de sa carrière, le début de ses aventures en solo. Estelle Chardac et Christophe Basterra l’avaient rencontré en 2006. Et comme souvent avec lui, ses propos sont particulièrement savoureux.
On se souvient forcément de la première fois. Surtout de la première fois où on a écouté une production Italians Do It Better. 20 rue du Sentier, dernier étage, un bureau en face de l’entrée, un bureau qui donne sur un balcon. Une personne de confiance qui tend un CD et affirme : “Je crois que ça peut te plaire”. Une boucle, une guitare, une voix et le fantasme qui devient réalité – The Cure aurait enfin découvert le XXIe siècle et embrigadé une femme… À partir de ce moment-là, on a surveillé de près toutes les productions du label américain – et ça continue aujourd’hui. En 2009, on avait pu se procurer ce maxi. On ne savait rien ou pas grand chose. On a écrit ça, vite, parce qu’on n’a pas envie de réfléchir quand c’est un coup de foudre. On fonce, on verra après quoi. Dans le texte qui suit, il y a des erreurs. Des erreurs factuelles – le type s’appelle Richard Durham, Johnny Jewel n’est en fait pas loin (et pour la petite histoire, Twisted Wires a ensuite réalisé un deuxième maxi sept ans plus tard et les deux disques sont compilés sur le CD Half Lives, paru en 2017). Mais pour l’émotionnel, je ne changerais pas une seule virgule. Continuer la lecture de « Twisted Wires, One Night At The Raw Deal (Italians Do It Better, 2009) »
C’est le premier – ex-aequo avec Robert Smith (ça doit se jouer à quelques semaines). C’est l’année 1982, le premier magazine acheté, un numéro de Best – j’en suis à peu près sûr. Il est question de The Who, il est question de The Jam, il est question des mods. Je ne comprends pas tout – et même peut-être rien. Mais le jeune homme filiforme, cheveux très courts, pantalon cigarette, veste en cuir noir et sourire aux lèvres impressionne. Il s’appelle Paul Weller. Il a à peine 22 ans et ne va pas tarder à saborder The Jam, dont la carrière discographique météorique (1977 – 1982) marque d’une empreinte indélébile l’inconscient collectif britannique – je me souviens encore d’un mariage outre-Manche, en juin 2004, où le témoin du marié avait émaillé son discours d’avant-repas de citations extraites de paroles de The Jam. Alors, j’ai vécu en direct la fin du groupe – l’annonce dans la presse anglaise, la sortie de la compilation live Dig The New Breed (un achat New Rose) – et j’ai suivi les spéculations qui s’ensuivirent sur l’avenir de Weller, “le porte-parole d’une génération” – le premier retour sur scène après le split lors d’un concert d’Everything But The Girl, puis l’union avec Mick Talbot (ex- Merton Parkas, ex- Dexys, ex- The Bureau et déjà croisé aux côtés de Weller lors de la reprise du classique Heatwave sur l’album Setting Sons, en 1979) sous la bannière The Style Council. Continuer la lecture de « Le club du samedi soir # 3 : The Style Council »
Je crois que c’est aussi pour ça que je me suis passionné pour la musique. Pour la musique pop – dans le sens le plus large possible. Parce qu’au-delà des chansons, il y avait celles et ceux qui les composaient, il y avait leurs interviews, leurs postures, leurs fringues, leurs attitudes. Il y avait ce monde auquel nous n’avions pas accès, si ce n’est par procuration. Il y avait dans les journaux, dans les magazines, sur les pochettes – extérieures ou intérieures, recto ou verso – ces photos qui prouvaient qu’ils étaient différents. D’ailleurs, je me souviens très bien à quel point j’avais trouvé terrifiant un article paru dans le NME ou le Melody Maker au moment de la sortie du premier album de The House Of Love où le journaliste résumait la situation par une sorte de « c’est cool, ils sont comme tout le monde ». Bah non. Justement. Ce n’était pas cool du tout. Et je crois que cette image a fait que j’ai décidé de me désintéresser du groupe de Guy Chadwick – je sauve tout de même la première version de Shine On, sans doute parce qu’à l’époque de sa première écoute, je ne savais pas encore pour la normalité…
Aujourd’hui, pour les quelques raisons évoquées plus haut (les chansons ET LE RESTE), s’il y a bien une pop star, c’est Matt Fishbeck. Depuis la Côte Ouest des États-Unis, il cultive le mystère, sort des disques au compte-gouttes, porte des fringues comme personne ne sait les porter, prend des photos qui ressemblent à des tableaux et peint des tableaux qui ressemblent à des photos, écrit des chansons que lui seul peut chanter et enregistre des mixtapes d’une beauté bouleversante. Dans quelques semaines, le label Mexican Summer va rééditer (pour la première fois en vinyle) le premier album de Holy Shit – son groupe dans lequel sont passés Ariel Pink et Christopher Owens –, Stranded At Two Harbors (2006). Pour cette occasion, Matt Fishbeck m’a demandé d’écrire quelques mots – des notes de pochettes comme on dit dans le jargon. J’ai bien sûr accepté, en essayant de ne pas trop laisser paraitre à quel point j’étais fier et impressionné – oui, fier ET impressionné, et d’autant plus qu’elles ont été traduites de français en anglais par Winston Tong, l’éternel interprète de In A Manner Of Speaking. Je me suis exécuté et je crois que le résultat a plu. Le disque sortira cet été. Ou peut-être à la rentrée. Mais avant cela, Matt Fishbeck a souhaité me remercier – et rien ne l’y obligeait, je vais être payé pour ce travail (oui, il parait que c’est un travail). Alors, hier, il m’a envoyé cette chanson. C’est une reprise. Une reprise magnifique. Solennelle. Personnelle. Mais comme les plus beaux cadeaux sont ceux qu’on finit toujours par partager, la voici…
C’est à se demander pourquoi nos routes ne se sont pas croisées plus tôt. Sans doute par la faute de mon manque de curiosité. Parce qu’en plus de porter comme nom mon prénom en version castillane et d’habiter non loin du berceau familial, Jaime Cristóbal a le profil des auteurs, compositeurs, musiciens, arrangeurs et / ou producteurs que j’aime plutôt bien – comprendre j’adore. Non content d’écrire de belles chansons, il aime écouter celles des autres et en parle plutôt bien (c’est à ce moment-là que je me dis que son nom d’artiste, il ne l’a pas choisi juste pour le jeu de mots). Il est, à l’image d’un Bob Stanley de Navarre, un mélomane compulsif dont on sait déjà que la curiosité de sera jamais rassasiée et qui prend à cœur son rôle de passeur… Continuer la lecture de « Selectorama : J’Aime »
Aujourd’hui, la conscience professionnelle me guide à donner tort à mon ministre (et à ses conseillers à la noix) et à travailler un peu plus que de coutume – ça me dérange pas, j’ai un emploi du temps fait pour ça. Hier, cette même conscience professionnelle pouvait être synonyme de frustration : pour cause de bouclage, elle me faisait rater des rencontres avec des gens qui avaient bercé une partie de mon adolescence – ce qui était d’ailleurs un peu con vu que, de toute façon, on bouclait toujours en retard). Pour cette raison, je n’ai donc pas rencontré Jacno en cette après-midi de 1998 pour discuter de la sortie de son nouvel album d’alors, La Part Des Anges. Mais avec Nicolas Plommée, missionné pour mener à bien cette histoire, on avait préparé un blind test sur mesure pour que l’homme revienne sur cette vie plutôt ahurissante. Parce qu’au-delà des disques, des chansons, Jacno reste pour moi l’un des musiciens les plus fascinants de la musique moderne et sans doute pour cela, l’acteur de l’une de mes interviews favorites, parue dans le mensuel Best au début des années 1980 – oui, à l’heure des listes à tout va (les dix meilleurs disques, les dix meilleurs livres, les dix meilleurs, films, les dix baisers parfaits, les dix plus drôles décisions de Blanquer), je pourrai dresser la liste de mes dix interviews / articles préférés, responsables, peut-être autant que les chansons, de mon désir d’écrire un jour sur la musique –, dans laquelle il détaillait ses passions (The Who, les grands crus de Bordeaux, le végétarisme, les scooters…). Ce blind-test a paru à l’origine dans le numéro 28 de la RPM, puis republié dix ans plus tard, agrémenté de la longue intro qui suit, au moment de la disparition de Jacno. En 2020, ses réponses restent toujours aussi drôles. Et passionnantes. Continuer la lecture de « Blind Test : Jacno »