En principe, il n’y a pas, dans le rock, grand-chose de plus vain, ennuyeux et déprimant que l’idée d’un album de reprises. Bien sûr, il existe quelques exceptions, des disques très réussis comme le Nilsson Sings Newman (1970) de Harry Nilsson, le Cover Magazine (2002) de Giant Sand ou le très beau To Willie (2009) de Phosphorescent, mais, dans l’ensemble, l’exercice semble plutôt réservé à des artistes souffrant d’un manque criant de créativité. Et le fait que Will Oldham en soit déjà à son septième opus du genre (en comptant les disques de réinterprétations de ses propres chansons) depuis 2004 en dit malheureusement assez long sur le lent déclin de son œuvre depuis qu’il a adopté le pseudo de Bonnie “Prince” Billy. Pourtant, Will Oldham est également l’un des rares à maîtriser l’exercice. Certains de ses disques du genre, Greatest Palace Music (2004), The Brave and the Bold (2006), enregistré avec Tortoise, ou l’excellent EP Ask Forgiveness (2007), figurent même parmi ses plus belles réussites depuis vingt ans. Continuer la lecture de « Bill Callahan & Bonnie « Prince » Billy, Blind Date Party (Drag City) »
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Jean-Hervé Peron (Faust) : « Nous étions autodestructeurs »

Cinquante années après la sortie de son premier album, Faust reste un groupe dont beaucoup connaissent le nom, mais peu connaissent la musique. Polydor, leur premier label, pensait pourtant signer les Beatles Allemands. Si le parallèle fonctionne au niveau de l’innovation technologique, des expérimentations et d’une influence pour les artistes des décennies à venir, dans sa première incarnation, les membres de Faust ont, à l’opposé, donné le meilleur d’eux-mêmes pour s’assurer un suicide commercial constant. Tensions internes, refus de tout compromis, concerts chaotiques, tout était réuni pour créer un cocktail explosif et une musique hors norme et exceptionnelle. Le coffret 1971-1974 récemment sorti chez Bureau B permet de mesurer à quel point leurs idées ont été empruntées par The Fall, Sonic Youth, Joy Division, PIL et tant d’autres. C’est à l’occasion d’un étonnant concert Faust IV donné fin novembre au festival BBMix de Boulogne-Billancourt que Jean-Hervé Péron, membre fondateur de Faust, nous a accordé une interview rétrospective dont les détails et les anecdotes permettent de réaliser à quel point ce groupe a été et restera hors norme. Continuer la lecture de « Jean-Hervé Peron (Faust) : « Nous étions autodestructeurs » »
Catégories chronique nouveauté
Hand Habits, Fun House (Saddle Creek)
On appelle tel disque, dans l’embarrassant jargon de la critique francophone, un grower.
Un disque qui grandit.
Et qui nous grandit.
Et tel il est, ou mieux encore, un disque casse-pied, un formidable disque, un disque qui enseigne, qui ne se range pas en trois minutes comme une agréable paire de chaussons prête à être dégainée. Les choses bougent. Elles passent. Sans place.
En cherchant trois mots à placer en entrée de chronique – ça donne du cœur à l’ouvrage – ça sort de la zone de confort – je suis tombé nez à nez avec un mujo seppo de Shundo Aoyama à la conclusion inévitable : “Seul l’être humain se plaint de la nature transitoire de toute chose.” Qu’il vaut mieux glisser discrètement dans le ventre des choses. Continuer la lecture de « Hand Habits, Fun House (Saddle Creek) »
Catégories selectorama
Selectorama : Bobby Would

En janvier dernier, les lecteurs de Section 26 avaient pu se délecter – en avant-première -, de deux excellents titres extraits du deuxième album de Bobby Would, World Wide World (sorti sur le label Low Company). Il ne fait désormais aucun doute que ce disque captivant restera parmi les plus réussis de l’année 2021. Avec son atmosphère hypnotique et étrange, aux accents parfois presque orientaux, ses guitares carillonnantes et lumineuses se mélangeant à des mélopées sépulcrales envoûtantes, ses nappes de synthétiseurs aux sonorités old school, World Wide World nous plonge dans un monde parallèle. Exigeante et audacieuse mais sans jamais verser dans l’autisme de certaines productions expérimentales, la musique de Bobby Would parvient à faire cohabiter élégamment exploration sonore et lisibilité mélodique.
Catégories chronique nouveauté
Mo Troper, Dilettante (Bobo Integral)
Dilettante. Le mot est lâché. Comme un paradoxe, si on entend par là l’incapacité d’accomplir, par défaut de volonté ou de ténacité, le travail artistique jusqu’à son terme. Quatre albums – et même un peu plus – en cinq ans : Mo Troper n’est manifestement pas de ceux qui rechignent à l’effort. Généralement adepte de la basse fidélité, le musicien de Portland s’était même risqué pour son précédent album – Natural Beauty (2020) – à gommer quelques aspérités sonores et à peigner quelques-unes des mèches rebelles de ses chansons ébouriffées. Le résultat était en tout point remarquable – du Jellyfish en cure d’austérité budgétaire, pour résumer – mais était passé à peu près totalement inaperçu en plein printemps confiné. Déçu et sans doute un tantinet frustré, Troper s’en est retourné à ses premières passions bricolées. En Dilettante, donc, au sens le plus noble du terme, puisqu’il s’agit ici de vivre plusieurs vies pour composer plusieurs albums à la fois. S’engager dans l’impulsion du moment, accompagner en amateur la sensation isolée ou l’impression éphémère qui s’élèvent au rang d’expérience artistique. Et ce vingt-huit fois de suite. Vingt-huit, c’est bien le nombre de morceaux enregistrés à domicile en moins d’une semaine qui composent donc ce kaléidoscope musical touffu et fascinant. Continuer la lecture de « Mo Troper, Dilettante (Bobo Integral) »
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The Prodigy, The Fat of the Land (XL Recordings, 1997)
Décrié par les puristes, le big beat fut un choc esthétique pour beaucoup d’adolescents à la fin des années 90. Si certains groupes frisent la blague potache, d’autres ont démontré que le genre en avait sous la semelle. Parmi eux les Chemical Brothers, Fatboy Slim et The Prodigy auront toujours une place particulière dans notre chair. The Fat of the Land (1997), de ces derniers, fut un pain dans la gueule de ceux qui l’écoutèrent, à la fin des années quatre-vingt-dix. La sainte trinité qu’il forme avec Dig Your Own Hole (1997) et You’ve Come a Long Way, Baby (1998) fut une machine à convertir les teenagers à la musique électronique. Omniprésents dans les bandes originales de jeux vidéos comme Wipeout 2097 (1996) ou Fifa 99 (1998) et de films comme Spawn (1997) ou Matrix (1999), les morceaux de ces groupes ont amené les machines des clubs jusqu’aux chambres des adolescents. Continuer la lecture de « The Prodigy, The Fat of the Land (XL Recordings, 1997) »
Catégories borne d'écoute
Borne d’écoute : « Portrait de l’artiste en pop star », le clip de Bière Noire
Catégories chronique nouveauté
Nicolas Paugam, Padre Padrone (autoproduction)
« Il est temps de dresser des temples
aux ouvriers où les pyramides sont nées,
le chantier patenté exige révérence,
à la lueur des bougies d’Esope
et de Manufrance, en France, en France »
Parce que Nicolas Paugam a approché deux fortes têtes des affaires de la musique, Vincent Chauvier et son label Lithium quand il officiait avec son frère dans l’entreprise familiale Da Capo ou plus tard Bertrand Burgalat qui le mit à l’honneur de sa très scrutée chronique de Rock’n’Folk, on se dit qu’il en est lui-même une : une tête de pioche, un empêcheur de tourner en rond, un original. Pas grave s’il n’ira pas (pour le moment) imposer le tricot orange et le chapeau de paille dans les armoires impeccables (tendance costume de velours et synthétiques pastel) du label Tricatel, la collusion eut eût du chien. Continuer la lecture de « Nicolas Paugam, Padre Padrone (autoproduction) »