Climats #4 : Molly Nilsson, Christophe Manon, Monica Vitti

This could be the saddest dusk ever seen
You turn to a miracle high-alive
Michael Stipe

Peut-on écouter Vauxhall and I de Morrissey sous le franc soleil de juillet ? Et un Antônio Carlos Jobim empêtré dans un crachin de février, c’est toujours du Antônio Carlos Jobim ? Climats met en avant les sorties disques et livres selon la météo.

Brume épaisse

Il commençait comme ça, à ne plus rêver et puis boire. Cela aux heures froides des bouts de nuit. Dans chaque verre, il y avait une histoire. Des histoires à oublier, cela vous pose une ivresse. Il commençait comme ça toutes ses journées, éteint, presque gelé dans sa tristesse. Parfois, il avait le courage de rester à la fenêtre et de voir le soleil se lever. C’était un moment précieux, ce moment où la nuit fuit dans la lumière. C’est une joie qui surgit. Je lui dirais : calme ta douleur avec de la musique et regarde l’aurore. Écoute la ville endormie et observe le rose chiffonné du jour qui vient. C’est cela, le disque de Molly Nilsson. Extrême. Un album comme une tristesse lourde qui danse, qui va accrocher la gaité autour de son cou, qui rechigne au noir profond – une musique qui entend l’orage et attend l’éclair. L’amertume des rythmes et la délicatesse des synthétiseurs forment comme une union sacrée. On ne se résigne jamais chez Molly Nilsson. On tient debout, un peu comme une danse lascive et triste donnée à l’aube dans un club, sans spectateurs ni musique. Juste le bruit sourd des vêtements provoqué par divers gestes, cela dans une salle ordinaire. Peut-être entendrait-on le son des larmes ? Qui sait… C’est un disque d’une colère rentrée où la musique se fait surprenante. Une rage se montrant délicate et insaisissable. Nilsson propose un son unifié et une certaine couture pour ces multiples brasiers electro-pop.

Rares averses

Il y avait cette grande bibliothèque qui avait cédé. Tous les livres étaient au sol et cela ressemblait à une fleur oubliée sur le parquet. Il marchait pieds nus entre les ouvrages, jusqu’à ce qu’il trouve la lecture décisive. Il commençait comme ça, dans la pénombre, un bouquin. Il n’arrivait pas trop à se concentrer, il butait sur de merveilleuses pages. Il ne les comprenait pas, il les devinait. Parfois, avec la fatigue de l’alcool, certains livres devenaient dangereux. Il fallait alors les refermer. Il repartait vers cette drôle de fleur oubliée pour piocher un autre texte. C’était de grands moments de solitude où il devait s’affronter avec les mots des autres. Un duel en imagination, un ennui. Je lui dirais : pour calmer ta tristesse, lis Provisoires de Christophe Manon. Lis ces poèmes aux cornes aiguisées qui font crever les métaphores pour les faire pleuvoir dans ton petit cœur. « Et nous rêvons /  espérant pouvoir apaiser / ce qui ne peut être apaisé / notre soif inextinguible / la joie / d’aimer de vivre / et de mourir / dans la pleine lumière / du jour. »

Pleine Lune

Il avait dans sa chambre une immense affiche. Rouge terriblement. On voyait surtout ce regard de tracé brun. Une candeur presque menaçante. En grand, juste au-dessus de son lit – l’affiche du Désert Rouge. Monica Vitti s’apprêtant à partir dans l’embrasure d’une porte. Pour lui, avant que le sommeil ne vienne, il pensait à ce regard de tracé brun. Il rêvait de ce châtain en flammes. Elle semblait toujours partir, il finissait par s’endormir. Et puis, il se levait avant l’aube avec la boule au ventre. Il commençait comme ça, à ne plus rêver et puis boire. Je lui conseillerais de revoir en plein jour, volets ouverts, La Notte. Monica lui dirait de bien regarder l’ennui, en face à face. De ne jamais l’éteindre, ne jamais le sous-estimer. Elle lui dirait, je ne suis pas partie. Et il cesserait ainsi de voir des histoires dans les verres et regarderait la lune et le soleil – droit dans les yeux. Il commencerait comme ça, à rêver et ne plus boire.


Extrême par Molly Nilsson est disponible chez Night School Records.

Allez plutôt revoir Monica sur grand écran pour soutenir vos salles indépendantes, les amis.

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