Les convictions politiques les plus profondément ancrées ont ceci de commun avec les sentiments amoureux qu’elles se partagent difficilement en chanson. Les certitudes, si intenses soient-elles, ne se transposent pas aisément lorsque l’esthétisation risque de les affadir. En matière de folk ou de protest-songs, la sincérité ne fait pas tout. Pour survivre au contexte, il faut quelque chose de plus. Un surcroît incarné, presque une possession. Défenseur militant de la cause amérindienne dont il fit la matière principale d’une œuvre aussi confidentielle que magistrale, Willie Dunn s’est presque entièrement confondu, tout au long de son existence, avec ses chansons. L’une des multiples anecdotes éclairantes relatée dans le livret qui accompagne cette première rétrospective amplement méritée – 22 titres choisis parmi les quatre albums enregistrés entre 1971 et 1984 – en témoigne : alors que, quelques mois avant sa mort en 2013, on le sollicitait pour réinterpréter l’une de ses meilleures compositions – Charlie, une dénonciation des mauvais traitements infligés aux descendants de son peuple par le système quasi-carcéral des pensionnats canadiens et racontant la fugue puis le décès d’un jeune homme de douze ans – il préféra décliner l’invitation promotionnelle sous le plus simple des prétextes : » C’est vraiment trop triste. » Continuer la lecture de « Willie Dunn, Creation Never Sleeps, Creation Never Dies – The Willie Dunn Anthology (Light In The Attic) »
Auteur : Matthieu Grunfeld
Catégories interview, sunday archive
Low qui dort
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Quelques jours à peine après la révélation du nouveau single du groupe, Days Like This, en prélude à leur nouvel album HEY WHAT dont la sortie est annoncée pour le 19 septembre sur Sub Pop avec toujours BJ Burton à la production comme sur l’immense Double Negative (2018), nous avons eu envie de revenir sur le parcours de ce groupe fascinant avec une interview donnée en 2004. Ceux que l’on qualifiait de slowcore venaient de sortir un album charnière, The Great Destroyer.
Mais quelle mouche a donc piqué Low ? Le groupe qui célèbre cette année ces 10 ans de carrière et que l’on croyait définitivement atteint par la maladie du sommeil s’éveille au son des guitares déchaînées du bien nommé The Great Destroyer. Explications et éclaircissements rétrospectifs en compagnie des deux éléments masculins du trio de Duluth, amputés de leur batteuse restée pouponner au pays. Un seul être vous manque…
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Catégories sous surveillance
Sous Surveillance : Benjamin Belinska
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Qui ?
Un quasi-inconnu, sans doute. Un débutant, pas tout à fait. Si ses premiers souvenirs musicaux remontent à l’enfance, du côté de Stoke-On-Trent – la guitare acoustique un peu cassée de sa grand-mère qu’il posait sur ses genoux pour en jouer comme d’un dulcimer – c’est à partir de quinze ans qu’il a commencé à écrire ses propres morceaux. Un peu plus tard, l’ego en retrait, il s’est aussi brièvement essayé à la library music et il a également composé pour des jeux vidéo et des documentaires. Au milieu des années 2010, sa rencontre parisienne avec Elodie Roy a donné naissance au duo Paris, Texas. Continuer la lecture de « Sous Surveillance : Benjamin Belinska »
Catégories borne d'écoute
The Reed Conservation Society, Gold, Gun and God (Microcultures/Kuroneko)
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Tout n’est pas parti à vau l’eau au cours de l’année écoulée, heureusement. Pour The Reed Conservation Society, une première boucle s’achève avec le troisième volet de ce triptyque introductif, initié il y a deux ans. Une autre semble déjà prête à s’amorcer, alors que Stéphane Auzenet et Mathieu Blanc bénéficient désormais des excellents offices vocaux de quelques collaboratrices – dont Claire Oneglia, désormais membre à part entière du groupe – qui apportent une coloration mixte et des harmonies encore plus nuancées aux sept nouveaux titres qui composent cet Ep3, une démarche parfaitement cohérente avec la propension déjà soulignée du groupe à s’inspirer de figures féminines dans ses paroles et ses pochettes. Tous ensemble, ils prolongent leur mission commune, toujours fidèles à la cause d’une pop délicate, mélancolique et subtilement rehaussée de cordes et de cuivres. En témoigne ce premier extrait, Gold, Gun And God, ballade onirique et sans ancrage fixe au beau milieu de paysages contrastés, où les accents musicaux empruntés au terroir américain côtoient sans anicroche le classicisme de l’Ancien Monde.
Catégories chronique nouveauté
Micky Dolenz, Dolenz sings Nesmith (7A Records)
Il n’y a jamais eu énormément de solutions musicales envisageables à la question délicate et cruciale du vieillissement. Quelle figure acceptable peut-on continuer à présenter de soi-même lorsqu’il s’agit de conclure, bientôt, et de surcroît dans un registre – celui de la pop – particulièrement attaché aux sources de ses mythologies adolescentes fondatrices ? Avec le temps, un modèle de référence semble parfois avoir fini par émerger pour demeurer tout en renonçant. Celui élaboré entre 1994 et 2003 au travers des collaborations successives entre Johnny Cash et Rick Rubin s’est ainsi largement imposé depuis presque trois décennies. Continuer la lecture de « Micky Dolenz, Dolenz sings Nesmith (7A Records) »
Catégories mardi oldie
Ollie Halsall, Lovers Leaping (1979, Think Like A Key Records)
S’évanouir pour mieux revenir. C’est curieux comme les fantômes qui nous hantent le plus intensément sont ceux qui pratiquaient déjà, lors de leur passage terrestre, une forme d’effacement préliminaire. La disparition progressive avant la mort, comme pour ménager une phase de transition aux vivants, mieux les préparer à être hantés sur le long terme. « Barrett, Walker, Drake« énumérait autrefois Martin Phillips de The Chills – Song For Randy Newman (1992). Chacun poursuivra l’inventaire comme il lui convient. Lorsque Ollie Halsall est mort à Madrid, le 29 mai 1992, il n’avait évidemment laissé derrière lui aucun testament musical qui lui permette de prétendre accéder à la dimension mythologique des figures susmentionnées. A quarante-trois ans, il est sans doute déjà trop tard pour abandonner aux embaumeurs de légende un cadavre vraiment présentable. Et pourtant, il subsiste dans les jalons hétéroclites de la non-carrière de ce guitariste anglais sous-estimé – cité en référence à la fois par Rick Nielsen de Cheap Trick ET par Andy Partridge de XTC : voilà qui vous pose une momie, et pas qu’un peu – suffisamment de matière pour entretenir bien davantage que les souvenirs nostalgiques ou les regrets rétrospectifs d’une poignée d’érudits. C’est ce que confirment en ce début d’année deux rééditions simultanées et bienvenues. Continuer la lecture de « Ollie Halsall, Lovers Leaping (1979, Think Like A Key Records) »
Catégories interview
Queen Of The Meadow – Couple princier
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Il est parfois compliqué de poser des mots adéquats sur l’évidence. La beauté radieuse du troisième album de Queen Of The Meadow se révèle plus facilement qu’elle ne se décrit. Les compositions d’Helen Ferguson nourrissent, au fil des écoutes, trop d’impressions contrastées pour que l’on parvienne à en fixer la substance dans une synthèse fixe et bien formulée, un peu à l’image de cette pochette où les postures différentes se superposent. Survival Of The Unfittest apparaît donc comme un album en mouvement, insaisissable. Bien loin, en tous cas, de cette étiquette pop-folk réductrice qui tend pourtant à coller aux basques du duo depuis ses débuts en 2016. Des chansons à la fois limpides et complexes, très intimes et parfaitement pudiques, au diapason de ces arrangements, riches et discrets à la fois, confectionnés par Julien Pras, et qui rehaussent les chansons d’Helen sans les envahir. L’enthousiasme mêlé de perplexité appelait donc un échange avec les principaux intéressés, seuls en mesure d’apporter leurs éclaircissements. Continuer la lecture de « Queen Of The Meadow – Couple princier »
Catégories chronique nouveauté
Quivers, Golden Doubt (Bobo Integral/Ba Da Bing !)
Ce n’est pas tous les jours qu’on se reconnecte à soi au détour d’un disque. Même si l’on a pris l’habitude de vivre avec les versions successives de soi-même, la superposition reste, la plupart du temps, un peu cloisonnée. Comme pour tout le monde, l’adolescence a façonné nos goûts de façon déterminante mais trop de choses ont changé pour que la continuité demeure autrement que sous la forme résiduelle de la nostalgie attendrie. Réécouter les albums qui ont nourri ces premières passions, procure généralement la même impression que la contemplation des photos d’enfance : les traits sont les mêmes, bien sûr, mais le temps a laissé des traces et de l’usure, y compris dans ces chansons favorites que l’on aurait aimé préserver pour toujours. On peut les retrouver, les apprécier parfois, mais combien de fois avec une fraction significative de l’enthousiasme initiale, sincèrement ? Le souvenir des premières découvertes est quasiment devenu plus précieux que le support musical lui-même, dont la fréquentation s’avère même cruelle, de temps en temps. Et quand quelques jalons se révèlent, en apparence, inaltérables, c’est qu’ils sont devenus, au fils des ans, les compagnons et les support d’interprétations nouvelles et différentes : ce sont les mêmes œuvres, évidemment, mais dont le temps a transformé l’écoute et le sens que l’on en retire, rendant la continuité largement illusoire. Continuer la lecture de « Quivers, Golden Doubt (Bobo Integral/Ba Da Bing !) »