Le nom d’Infinite Bisous circule entre initiés, et tel un mot de passe, il ouvre sur un univers inconnu aux limites pas encore éprouvées. Embrasser la musique de Rory McCarthy, le jeune homme derrière ce projet, est presque en soi déjà une forme de victoire tant le Britannique installé à Paris refuse le jeu de la promotion pour offrir sa musique à ceux qui la désirent sincèrement et feront l’effort de la chercher plutôt que de la recevoir. À l’inverse de la passivité d’écouter une playlist créé par quelques algorithmes fort avisés, Infinite Bisous, dans un geste romantique, lance une bouteille à la mer et met en téléchargement libre sur le site du label/collectif Tasty Morsels ses albums. Sans renoncer à la modernité (ses albums sont disponibles sur les principales plateformes également), il infuse de poésie ce processus devenu parfois quasi-automatique de la découverte. Il s’agit de retrouver l’émoi et le désir pour cette chose souvent maltraitée qu’est la musique. Il le fait à merveille. Ses disques sont des petits trésors d’une beauté fragile dont nous devons nous saisir délicatement pour éviter qu’ils ne s’éteignent dans l’obscurité d’un coin d’internet. Sorti il y a deux ans, quelques jours avant le printemps, W/Love marqua notre été de sa langueur et sa mélancolie diffuse. Nous ne savions pas grand chose de Rory McCarthy mais sa musique dégageait douceur et grâce. Elle se saisissait de nous et agissait comme un pansement sur l’âme. Entre temps, nous en avons su plus sur le parcours du musicien : il a accompagné pas mal de gens attachants (Connan Mockasin, Mac DeMarco entre autres). Mais le deuil s’est mêlé trop tôt de sa vie personnelle. Quand bien même nous retrouverions un peu de cela de ses chansons, il n’est pas utile d’insister plus dessus ; la musique se suffit à elle-même. En plus d’être son propre véhicule, elle offre un support à l’imaginaire, à nous de l’associer à notre vie et la matérialiser dans notre intimité. Period a la lourde tâche de lui succéder, il sait néanmoins éveiller en nous ces mêmes sensations douces-amères, cotonneuses, apaisantes sans chercher à tout résoudre. Sur le fil, telles des esquisses au crayon gommées, les chansons se dévoilent écoute après écoute et s’immiscent en nous. Il est toujours question de funk feutré et vaporeux, traité avec délicatesse et pudeur. Des sons électroniques de boîtes à rythmes accompagnent de délicates mélodies de guitares jazzy au son limpide (les magnifiques Brain, Importance, Charnwood). Le traitement original des voix contribue au climat irréel de period (Period, Julija). Les dix chansons prolongent les rêves éthérés et les dissolvent en une myriade de particules insaisissables (Sex Dream; Marine, The Dishes). L’apparente torpeur cache une création profondément sensible et humaine. Chacun aura ses chansons préférées, celles qui résonneront le plus avec son existence, et pourtant elles sont toutes à chérir.
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