Charlene Darling, La porte (Disciples)

« Des regards tout mous de demi hommes, d’enfants de 30 ans, de demi hommes, pas comme les hommes d’avant, ceux dont on parlait dans les films »

Là où il semblait que son précédent effort Saint Guidon, paru en 2019, cherchait à arrondir les angles en trouvant une hypothétique et fantasmée voie de sortie vers une sorte de variété apaisée, La porte s’ouvre vers un territoire moins balisé et pas moins intéressant. Clairement défini par son introduction comme un disque de rupture amoureuse, il permet une catharsis âpre à son auteure qui – on s’en doutait – n’est pas là pour jouer les demoiselles en détresse.

Charlène Darling
Charlène Darling

Une fois passé ce choc introductif, Charlène Darling tourne les pages de son journal quotidien, pas super glamour, le journal des lendemains qui déchantent. Chansons d’ennui, de solitude, chansons d’errance (en elle, dans son appartement, dans une ville), elle dilue son abandon dans des textes dépourvus de bons sentiments. La musique est au diapason : sens de la dissonance, de l’acidité (les guitares excitées d’Au fleuve ou des Gros Chevaux), de la disparition (l’atonie glaciale d’Encore un soir)… L’ensemble propose surtout une unité, spéciale, brute, s’appuyant moins sur des artifices de production que sur un groupe au service de Charlotte Kouklia, tout au long de l’album. Discrets, ces musiciens (dont le fameux Régis Turner à la basse) assurent sur disque et en concert (on vient de les pécho au Diamant d’or, hier soir) les soubassements rythmiques qui enrobent sans jamais ensevelir le songwriting instinctif et l’immédiate présence de la chanteuse.

Après son escapade au sein de Rose Mercie l’année dernière, on connaissait le goût de la chanteuse pour des cadres d’expression pliés en quatre et ouverts à tous les vents. Il s’agit de liberté, et de rappeler combien la chanson peut être un terrain d’expérimentation bien plus vaste qu’on ne le croit. Si on est là pour un refrain catchy ou une blagounette en forme de clin d’œil, on peut passer son chemin, c’est sûr. Sans non plus se prendre la tête, sans frime – la déprime n’est pas portée ici en médaille de champ de bataille, mais plutôt garante d’une atmosphère intemporelle (on se croirait parfois en plein cérémonial psyché et médiévale, en pleine ripaille de chanson de marin du XIXe ou en recueillement face à une très vieille chanteuse de blues) – La porte nous laisse dériver en sa compagnie, comme un copain ou une copine de galère qui dégage au final une belle énergie noire, de survie, de vie, de renaissance.


La porte par Charlene Darling est sorti sur le label Disciples.

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