Ed Harcourt est le dernier grand romantique. On le savait déjà, mais il nous le confirme avec ce nouvel album au titre évocateur, El Magnifico. Enregistré dans sa maison et dans une église, ce disque nous ramène à la grande époque de cet éternel jeune premier. Alors que le monde s’enflammait pour les Strokes (à juste titre) et pour le premier disque des Libertines (ce qui se discute), Ed Harcourt campait sur ses positions en s’enfermant avec un Death In Vegas et Gil Norton pour faire se rencontrer les disques de Radiohead et les débuts d’Elton John sur son premier album. Continuer la lecture de « Ed Harcourt, El Magnifico (Deathless Recordings) »
Catégorie : chroniques
Catégories livres
Jean-Louis Murat – Les Jours Du Jaguar, par Pierre Andrieu (Le Boulon)
Je me souviens très bien de cet instant-là. Quelques semaines à peine après m’être installé à une dizaine de kilomètres de Clermont-Ferrand, attablé à la terrasse d’un bistrot de la capitale arverne, mon ami Hervé – un gars vraiment du coin – m’a dit à peu près ces mots-là : “Tu verras, tu n’écoutes pas Murat de la même façon quand tu roules sur les routes auvergnates un jour d’automne… Il faut avoir vécu ça”. Quelques semaines plus tard, je crois qu’il m’avait dit à peu près la même chose au sujet du Steve McQueen de Prefab Sprout… Mais surtout, il avait raison – d’autant plus raison que Murat fut je crois très fan dudit Steve McQueen (l’album, pour l’acteur je ne sais pas), à tel point qu’il était allé jusqu’à louer les services du batteur Neil Conti, qui joue sur ce chef d’œuvre de 1985. Mais Hervé avait tort aussi : parce qu’il ne m’avait pas dit alors (alors, c’était vers 2011) qu’on n’écoutait pas non plus Murat de la même façon sur les routes auvergnates un jour de printemps. Parce qu’il ne m’avait pas dit l’effet que pouvait produire au hasard Le Lien Défait avec la chaine des puys comme ligne d’horizon dans un crépuscule naissant. C’est un effet dingue. Et un effet d’autant plus dingue quand on a appris quelques heures plus tôt, au détour d’un coup de téléphone à la fin d’une réunion, sa subite disparition… Continuer la lecture de « Jean-Louis Murat – Les Jours Du Jaguar, par Pierre Andrieu (Le Boulon) »
Catégories chronique nouveauté
Wesley Fuller, All Fuller No Filler (Cheersquad Records & Tapes)
Tout avait plutôt bien commencé pour Wesley Fuller. Quelques armes musicales collectivement fourbies, dans la première moitié des années 2010, sur la scène de Perth au sein de Hurricane Fighter Plane, le temps d’un single ou deux – incidemment, on envie tous ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de jeter une oreille ravie sur I Can’t Win (2012), premier coup de génie power-pop, et sur son solo final à la Byrds. De quoi, en tous cas, attirer l’attention de James Endeacott – le directeur artistique de The Libertines et The Strokes – qui, sur la foi de ces fulgurances confidentielles, lui propose un contrat sur son label, 1965 Records pour y publier, coup sur coup, un premier Ep – Melvista (2016) – et un album – Inner City Dream (2017) suivis d’une longue tournée de près de deux ans. Jusqu’ici tout va bien, comme dirait l’autre : un jeune musicien hyperdoué enchaîne les étapes habituelles du parcours vers un succès mérité. Et puis ? Continuer la lecture de « Wesley Fuller, All Fuller No Filler (Cheersquad Records & Tapes) »
Catégories Chronique en léger différé, livres
Close Up Daniel Darc par Marc Dufaud (Le Boulon)
Close Up Daniel Darc n’est pas qu’un livre de Marc Dufaud sur Daniel Darc, c’est un livre sur Daniel Darc et sur le cinéma et sur l’amitié.
En 1990, quand il a écrit le synopsis du film le Garçon Sauvage, au lendemain d’un concert au Gibus, Marc Dufaud a décidé de poser sa caméra – son regard – et de laisser la vie – celle de Daniel Darc, la sienne – se dérouler devant ses yeux. Il y aura, entre 1993 et 2004, quatre films – Le Garçon sauvage, White Trash, Les Enfants de la Blank, Rêve Coeur – puis en 2019, Pieces Of My Life, celui qui, pour reprendre l’expression de Marc Dufaud, les encapsule tous les quatre. Ces films, c’est une certaine idée du cinéma – poser sa caméra et regarder la vie – qui n’existe plus. Le cinéma aujourd’hui, à quelques exceptions près, n’est plus la vie – et la vie, quant à elle, c’est quoi ? – et c’est comme ça. Continuer la lecture de « Close Up Daniel Darc par Marc Dufaud (Le Boulon) »
Catégories livres
Théo Lessour, Chaosphonies (Le mot et le reste)
S’intéresser à l’usage et à la fonction du désordre pour écrire un essai philosophique consacré aux musiques des contre-cultures n’est pas tout à fait dans l’ordre des choses et ce n’est pas moi que ça viendra déranger.
Rock indus, dub, noise, électro, blues et jazz ont toujours fait partie de mes paysages musicaux et ont peu à peu mis à jour les strates sédimentées d’une éducation musicale passive forgée au rythme des sons de la nature, aux volutes du free jazz paternel et aux vastes espaces psychédéliques du Floyd du grand frère, strates auxquelles s’ajoutaient les bluettes américaines et les tubes des Beatles propres au versant féminin de la famille. Sur ce compost, il fallut évacuer la frustration de ne pouvoir utiliser le tambourin de l’école comme bon me semblait, à savoir un chaos répétitif, bruyant et agité, résister à l’ennui soporifique du strident pipeau des années collège et retenir une voix sauvage, enjouée et pleine d’allégresse qui finit par se taire. Dans ce brouhaha éclectique et indompté, un chemin de K7 pirates se dessina embarquant tout le punk rock new wave des 80’s et ses suites électro compactes. Bref, un joyeux foutoir… Continuer la lecture de « Théo Lessour, Chaosphonies (Le mot et le reste) »
Catégories chronique nouveauté
Pan American & Kramer, Reverberations Of Traffic on Redding Road (Shimmy-Disc)
La plaie infestée du monde récent grouille de vers immondes. La saloperie la plus vile s’immisce partout, ça fait longtemps. Mais elle se cache de moins en moins. Avant les barricades, la nausée ultime ou plus vraisemblablement un suicide collectif, un sursaut illusoire, un peu de recul.
Le silence. Solution / Négation.
Les deux individus qui sévissent ici en sont grandement coutumiers. Gloire à eux, au plus haut des cieux. D’un côté Mark Nelson, sylphidre ambassadeur d’une contusion neigeuse chez Labradford, puis plus exotique en solitaire sous bannière Pan American. Puis récemment Anjou, vin de Loire qui a ses qualités. De l’autre Kramer, qui en dehors d’un CV de butor agrégeant les saintes écritures de notre grand monde parallèle en tant que producteur, restera aussi et surtout comme l’homme, qui, l’air de rien ou presque, amena un groupe de pop perverse qui s’ignorait encore (Galaxie 500, pour ne pas les nommer) vers un Everest de l’espace dans la dilution sonique. Continuer la lecture de « Pan American & Kramer, Reverberations Of Traffic on Redding Road (Shimmy-Disc) »
Catégories chronique nouveauté, mardi oldie
Pete Astor, Tall Stories & New Religions (Tapete Records)
Quarante ans d’activité musicale, voilà qui n’est pas rien. Le flux des années s’accélère inexorablement et il est sans doute logique, peut-être inévitable, que les dernières œuvres de Pete Astor en portent la marque. Qu’il s’agisse d’évoquer avec une pointe de résignation sereine ce qui reste encore à créer à l’approche de l’échéance – Time On Earth (2022) – ou bien encore, comme ici, de se retourner quelques instants, le temps de contempler avec un regard différent quelques-uns des fragments impérissables de ce qui demeurera après la fin. Une œuvre, des chansons – douze en l’occurrence – souvent extraites des jalons les moins balisés de son répertoire et qui, rassemblées, semblent former un autre récit. Avec un sens intact de l’élégance et de la précision juste, Astor laisse ainsi le présent recolorer le passé. Continuer la lecture de « Pete Astor, Tall Stories & New Religions (Tapete Records) »
Catégories chronique nouveauté
Marie Klock, Damien Est Vivant (Pingipung)
« Qui est cette femme à l’étrange aura
qui n’achète rien d’autre
qu’une boule de mozzarella ? »
De son propre aveu (un temps d’échange avec l’artiste était organisé via une célèbre plateforme le 26 mars au soir), ces enregistrements étaient pour Marie Klock une façon de composer avec le deuil, la perte et le chagrin. Après la mort au printemps 2022 de Damien Schultz, poète, musicien et proche ami avec qui elle avait prévu d’enregistrer un disque, la jeune femme s’est isolée pour composer ce court album – 30 minutes – avec ce qu’elle avait sous la main : ses souvenirs, des textes, poèmes, textes de chansons de Damien, qu’elle avait collectionnés – celui-ci semant avec largesse sur les réseaux – et les instruments qu’elle avait sous la main. Habituée à la forme classique des chansons (on a bien dit la forme, parce que Marie Klock bousculait déjà le fond disons très libre de ces chansons, cf. son précédent et fondateur album éponyme paru chez les Disques de la Face Cachée), elle a dû forcément s’adapter à la forme des textes de son ami, délaissant le couplet-refrain pour des boucles, permettant aux mots de se déployer dans leur grande crudité, leur pornographie, leur intensité, leur humour aussi. Continuer la lecture de « Marie Klock, Damien Est Vivant (Pingipung) »