Manset, L’algue bleue (Parlophone)

 » Quand le printemps revient, on a raté sa vie. »

Derrière une pochette qu’on dirait volée à une relance de Métal Hurlant (par exemple à un numéro spécial cyber romantisme, ce genre), il y a un nouveau disque de Manset (si tu n’as pas perdu ton prénom après 60 ans…) : au fond, il vient de là, de cette période année 1970 où s’est figé le fonds de son style, unique, une vision de la variété rock posée sur des guitares électriques ou acoustiques, des pianos, une voix toujours au bord de la rupture, poussée, ne cherchant jamais à faire joli, ni à plaire et des textes charriant des histoires de rapport aux autres, de géographies réelles ou mentales, avec une poésie parfois absconse, parfois lumineuse. Comme la face sombre et torturée post 1968, un cauchemar du Big Bazar en somme, même si, sans exagérer, on pourrait mélanger la chronologie de la sortie des albums de Manset, personne n’y verrait que du feu. Que je vous dise que ce disque est sorti en 1993 ou en 1987, peu d’indices vous diraient le contraire, OK, le son et la qualité des enregistrements, peut-être, me diront les spécialistes ORL.

Manset
Manset / Photo : Marc Charuel

C’est un peu l’avantage avec cet artiste, seul, isolé, qui vit en autarcie dans son univers parallèle, sans réelle prise sur la réalité, sans que l’actualité n’ait d’influences sur son œuvre, il l’a dit à France Info récemment : « Je suis très hermétique à tout ça, parce que ça empiéterait trop sur mon univers imaginaire, qui a besoin de respirer, qui a besoin, comme l’enfant dont on parlait tout à l’heure, d’être seul. Et cette bulle parallèle à lui qu’il traîne partout, ce ballon d’oxygène qu’est l’imaginaire, évidemment, que tout ce qui peut empiéter dessus, comme les réseaux, comme les téléphones portables et comme tout ce qui est Internet aujourd’hui, c’est non. » Si on s’est fait un jour ou l’autre à sa façon de faire, sa voix, sa façon de balancer entre éclairs de génie, absences éparses ou coupables perditions, il y a des chances pour qu’on soit heureux de la sortie d’un nouveau disque de Manset.

C’est le cas ici, et même si je suis loin d’être un spécialiste du bonhomme, d’en avoir exploré la moitié de ses disques, des chansons de Gérard savent me bouleverser au fur et à mesure que je les croise sur mon chemin, parfois par hasard, au détour d’un film par exemple (Revivre dans Holy Motors, d’une reprise surprenante (Vies monotones par de jeunes choristes) parfois par recommandation (merci Etienne G., pour  Que deviens-tu ?,  merci Alexandre P. pour Rien à raconter, qui m’a conduit à Ailleurs que j’écoute en boucle, là ), parfois en parcourant la littérature le concernant (notamment ce garçon qui dialoguait intensément avec l’œuvre de Manset, à travers son blog, en essayant de démêler les versions successives que l’artiste tripatouillait pour Mansetlandia à partir de ses albums originaux, c’était passionnant), parfois en refaisant le chemin grâce aux raccourcis d’une compilation parfaite, Platinum Collection en 3 CD (2007, EMI) : j’y ai découvert C’est un parc qui a été un déclic. Bref, le revoilà, et on peut s’engager sans crainte dans une écoute distraite, en attente de se faire hameçonner comme on l’a toujours fait avec lui. Et si ça n’est pas le cas, aucun stress, au détour d’un lien, au hasard d’une rencontre, une chanson pourrait très bien renaître et se faire reconnaître, dans 1 jour, 6 mois, 10 ans. Rien ne presse.

Au cœur d’un album un peu éclaté (d’une intro au saxophone qui rappelle celui de Je marche seul de Jean-Jacques Goldman à un voyage sur la Lune et un hommage à Méliès), loin d’anciens albums resserrés, deux, trois ballades reposent les fondements d’un style sur le fil de la désespérance finale et du sursaut d’orgueil, Le paradis perduRater sa vie, et Nous nous cacherons ensemble. Il y a aussi ce Monsieur, duo étrange interminable (8 minutes) qui le voit dialoguer jusqu’au tournis avec une interlocutrice évanescente. Et on chérira cette belle chanson comme on aime chez lui, La mélancolie, celle qu’on remettra à la fin de l’écoute, et en boucle pour le reste de la fin des temps. Simplement.


L’algue bleue par Manset est sorti chez Parlophone.

Pour Jacques Meckert 🖤

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *