Quand Mike Sniper a monté Captured tracks, il a vendu une partie de sa collection de disques rares de powerpop. Aujourd’hui, le label new-yorkais publie l’un des meilleurs disques dans le genre de ces dix dernières années. Après trois albums chez 4AD, les Lemon Twigs rejoignent le label nord-américain et publient Everything Harmony. Depuis leurs explosions médiatiques en 2016, nous savions les frères Brian et Michael D’Addario particulièrement doués. Pourtant, il leur manquait parfois un soupçon de simplicité, ou simplement de savoir un peu mieux gérer leur énergie. Ces certitudes volent désormais en éclat.
Everything Harmony ne prend pas de détours inutiles : les Lemon Twigs y déroulent quelques-unes des plus belles chansons pop entendues depuis longtemps. Si la pochette évoque furieusement les années soixante-dix, l’expérience se prolonge dans les sillons du vinyle. Le groupe a mobilisé son amour pour la décennie et celle qui la précédait à travers ces treize morceaux. Plus qu’un pastiche, les Lemon Twigs composent une lettre d’amour à une certaine idée de la pop, sophistiquée sans être snob. Cela fait tellement de bien d’entendre des chansons écrites d’une manière aussi élégante et intemporelle. Les frangins sortent le grand jeu : des ponts, des modulations, et plus encore. Mieux, tout cela sonne merveilleusement et ne semble pas être là pour épater la galerie et faire dans la pyrotechnie. Comme le premier album de Big Star, Everything Harmony se partage entre explorations folk feutrées en guitare-voix et morceaux plus rythmés. Dans la seconde catégorie, comment ne pas tomber amoureux, dès la première écoute, de la fabuleuse What You Were Doing ? Le souffle d’Alex Chilton et Chris Bell parcourt la chanson. Elle aurait tout autant eu sa place à la radio quelque part au début des années 90, entre Teenage Fanclub et Matthew Sweet.
Avec Any Time of The Day les Lemon Twigs s’éprennent de soft rock. Branchés sur les fréquences AM, ils invoquent Todd Rundgren ou Flo & Eddie. Le morceau donne l’impression de gravir de plus en plus haut jusqu’au refrain. Les quelques mesures du pont nous chamboulent par leur virtuosité. À vrai dire, il y a presque quelque chose de Stevie Wonder qui se joue ici tant la mélodie des Lemon Twigs se balade dans une suite d’accords complètement folle. In My Head est un autre moment de grâce totale. Les frères y convoquent les Cleaners from Venus, les Byrds ou les Beatles et c’est d’un ravissement rare. Everything Harmony s’illustre, cependant, particulièrement par sa sérénité. Brian et Michael d’Addario ont en effet composé une partie de l’album pendant la crise du COVID-19. Cette pause dans nos existences a conduit la fratrie à abandonner (en partie) l’électricité en faveur d’une guitare sèche et de leurs voix. Celles-ci s’enchevêtrent et s’imbriquent très naturellement. Nous pensons ainsi à Simon and Garfunkel mais aussi les Beach Boys.
Les voix célestes de New To Me se hissent très haut tandis que Corner of My Eye s’entiche d’une charmante nostalgie aux tons pastels. I don’t Belong to Me saisit par la délicatesse de sa composition et de ses arrangements. Every Day Is the Worst Day of my Life s’illumine en quelques instants : d’une ballade cafardeuse, les Lemon Twigs montent une cathédrale d’harmonies vocales. What Happens to Hearts a l’élégance des Zombies. En treize morceaux, Everything Harmony offre ainsi le plus bel hommage aux années soixante/soixante dix entendu de récente date. Inspirés des plus grands, ils ne les parodient pas. Ils en prolongent l’art. Everything Harmony est un grand disque, d’une rare beauté.