Papivole #10, mon histoire avec la presse musicale, 1978-2018 : le fanzine Ductus Pop

Ductus Pop
Le fanzine Ductus Pop

Un fanzine A5, un label de cassettes… Entre Strasbourg et Toulouse, l’effet miroir avec ma petite entreprise (Langue Pendue : un fanzine A5 et ses cassettes) est étonnant. En découvrant Ductus Pop (numéro 25 déjà !) et le label Hidden Bay (plus de trente références !) par l’entremise de mes amis de Section26, mon cœur a battu la chamade, évidemment. J’y ai lu ce qui fait l’essence d’un fanzine : un mélange subtil d’auto-fiction, d’improvisations graphiques, de constat politique à la première personne, d’interventions d’amis et de proches, et de passion évidente pour les petites choses pop (souvent anglo-saxonnes mais pas que) qui constellent la toile. Manon, dont la boussole interne s’affole parfois vers le sud (l’Espagne, notamment) commente les premiers efforts de jeunes groupes balbutiants, qu’elle recrute parfois dans un même geste pour son propre label. J’avais envie d’en savoir plus sur ses goûts, ses méthodes et son expérience du présent. Rencontre.

Qu’est-ce qui t’a poussée vers le papier à notre époque de blogs et de webzines ?

Manon : J’ai grandi avec les blogs et j’en tenais moi-même plusieurs. Ça commençait à prendre forme (du moins, j’y consacrais beaucoup de temps et j’essayais d’étoffer les articles) mais le problème est qu’il y traînait beaucoup de MP3 à télécharger, et il a été fermé du jour au lendemain. Je n’avais bien sûr rien archivé. Je me suis dit, quitte à tout reprendre de zéro, autant commencer un fanzine papier. À l’époque, j’étais aux Beaux-arts, je commençais à avoir des bases d’InDesign, quelques notions d’impression et je développais une pratique du collage, tout ça m’a aidée. Et puis j’avais déménagé à Toulouse quelques temps auparavant, il y avait beaucoup de concerts à raconter et sûrement une envie chez moi de m’insérer dans la scène musicale, en quelque sorte.

Ductus Pop
Collage de Winca Itina pour Ductus Pop

Comment s’articule ton tumblr et la version papier de Ductus ?

Idéalement, le tumblr devait être un complément à la version papier, avec des compilations de pochettes d’album que je trouvais belles sans pouvoir les imprimer en couleurs dans le fanzine, mais aussi des compilations et des interviews supplémentaires. Malheureusement, je manque un peu de temps et il n’est plus très vivant. Je suis davantage active sur Twitter, où j’essaye de relayer autant que possible les sorties qui m’intéressent.

Avais-tu des références en têtes, des modèles pour Ductus ?

J’achète ou j’échange tout le temps des fanzines. Le moindre petit truc A6 mal agrafé qui explique quoi faire quand on se fait pincer en manifestation – et que je garde précieusement – me donne envie de faire un nouveau fanzine. Je ne me rappelle pas vraiment des modèles que j’avais en tête en lançant Ductus pop mais j’ai été marquée par l’esthétique de Sarah Records, les fanzines Temporal, Candy Twist et les journaux pas chers et à caractère plus politiques comme Article 11 ou Strike! Magazine. Au fil du temps, j’en ai profité pour glisser mes collages, habituellement peu visibles, et modeler une identité que j’espère un peu singulière.

Le fanzine Temporal
Le fanzine Temporal

Qu’est-ce qui détermine tes choix de groupes et quelles sont tes façons de t’informer sur l’actualité musicale ?

Je passe beaucoup, beaucoup d’heures par semaine à écouter de la musique, des trucs fraîchement postés sur Bandcamp notamment. C’est là que je découvre la plupart des groupes dont je parle ou que j’interviewe dans mon fanzine. Je lis aussi régulièrement Various Small Flames, Cloudberry Cake Proselytism ou encore Austin Town Hall et j’écoute quelques émissions de radio (S.A.V, Basement Scene, Indie 500). Côté papier, je suis impressionnée par la belle transition réalisée par Gold Flake Paint ! J’ai du mal à lire sur écran, donc avoir entre les mains un magazine généreux, avec du papier qui sent bon (et même si je ne connais pas la moitié des artistes présentés), est un régal. Je vois aussi passer beaucoup de sorties sur Twitter, parce que je suis tout simplement l’actualité de certains labels. Quand je découvre un bon groupe, j’envoie quelques questions. C’est souvent des groupes qui débutent et dont je me dis qu’ils peuvent être intéressés par une interview dans un fanzine français obscur. Et puis c’est parfois pour moi une première approche, ça m’est arrivé de glisser par la suite que j’ai un label (Hidden Bay Records) et que j’aimerais beaucoup sortir une cassette avec eux. Quand ça se passe comme ça, je me dis que tout ça sert à quelque chose.

 Comment considères-tu les autres médias actuels sur la musique? 

J’ai l’impression que beaucoup de blogs musicaux qui tenaient la route (ou même des gros sites comme Tiny Mix Tapes) s’arrêtent, ça m’attriste. Il y a aussi l’exemple de blogs que je lisais par le passé et dont, en un seul coup d’œil, tu peux déceler qu’ils ne chroniquent plus que de la musique proposée via Submithub (Une sorte de base de données / site de rencontres qui réunit labels, groupes, blogs… ndlr). Comme je fais moi-même de la musique et que je tiens un label, mes regards sont complémentaires. Par exemple, je trouve que ça devient très difficile d’obtenir une chronique, mais en voyant le nombre de mails promo que je reçois sur ma boîte mail (alors même que je n’ai pas vraiment de présence en ligne et que le tirage de Ductus pop est insignifiant), je comprends que ça devient ingérable. Peut-être qu’il y a de nouvelles choses à inventer, pourquoi pas revenir aux fanzines papier, à un truc plus local… Ce qui m’a récemment intéressée, c’est le développement de la partie éditoriale de Bandcamp. J’accorde de l’importance à la presse ou plutôt à l’écrit musical, qu’il soit le fruit d’un travail journalistique ou amateur. Une playlist combinée avec des algorithmes sur une grosse plate-forme de streaming, à l’inverse, ça m’excite pas du tout. 

Ductus Pop
Ductus Pop

Ductus semble très ouvert géographiquement (l’Espagne, le Maghreb…), quel est l’ouverture de l’éventail de tes goûts ?

C’est vrai que l’éventail s’ouvre un peu plus chaque jour – et tant mieux. Mon terreau de base, c’est la pop à guitare, mais parfois je ressens tout simplement le besoin d’écouter quelque chose de radicalement différent. Ces derniers temps par exemple, et c’est peut-être lié au climat social ambiant, mes oreilles se tournent davantage vers des groupes au son plus « lourd » : Nothing, Cultdreams, Holly Fawn, Diät ou même le dernier album de DIIV. Je crois que la proximité géographique avec l’Espagne fait que je m’intéresse à ce qui se passe là-bas, notamment au niveau des labels (Meritorio, Bobo Integral, Caballito, Mondo Canapé, Pretty Olivia). Tout dépend des nouvelles amitiés, des voyages aussi. Comme je le racontais dans le dernier Ductus pop, j’étais avec ma sœur à Oran et on se demandait bien où étaient passés les milliards de cassettes éditées là-bas. En rentrant, on a acheté un gros lot de cassettes d’occasion de raï & chaâbi sur Le Bon Coin. Ces sons-là ont vraiment rythmé mes derniers mois.

Ductus Pop Ductus Raï
Ductus Raï

As-tu une idée de qui sont tes lecteurs ? 

Au début quelques personnes me commandaient régulièrement les numéros via mon tumblr ou proposaient des échanges. Je ne sais pas pour quelle raison, c’est devenu assez rare maintenant (dommage parce que les derniers numéros sont bien mieux que les premiers !) et je me contente parfois de les déposer chez des disquaires, gratos, ou de les donner directement à des gens que je suppose intéressés. J’ai parfois pris le temps d’écrire et imprimer une version anglaise, pour en déposer ici et là en Angleterre et proposer des échanges à des zines anglophones. Ça m’a redonné un peu d’énergie à une période où justement le manque de retours avait créé chez moi une sensation d’essoufflement. Pour l’anecdote, j’ai osé donner en main propre un exemplaire de Ductus pop à Clare Wadd (la fondatrice du label Sarah Records bien sûr, ndlr) qui dans la foulée m’a envoyé un petit mail pour me dire qu’elle avait aimé le fanzine. J’aurais peut-être dû m’arrêter après ce retour suprême ! Mais je dirais que ce fanzine a toujours été avant tout un moyen de créer des liens avec des gens, des groupes et des labels.

 

Tu participes à d’autres publications…

J’ai co-fondé La Perche carrée en 2016 : c’est une mini maison d’édition. On édite des fanzines de balades urbaines (dans une tentative désespérée d’archiver les bouleversements urbains toulousains), des récits de voyage, de la photographie, du dessin… Je participe parfois à des projets collectifs quand des ami·es m’invitent (la revue La Baie des machines, Approches de Acédie 58, etc). Et puis je tiens une petite chronique musicale dans chaque numéro de Kiblind !

Tu écoutes quoi en ce moment ?

Voici quelques bonnes trouvailles, en vrac…

1. Greg Mendez, Bike

Cherry Hell by Greg Mendez
Prochaine sortie de Devil Town Tapes, un label de Bournemouth que je suis d’assez près.

2. Girlatones, Get to the End

Petite ballade extraite de l’album Horn If You’re Honky qui sort le 20 mars chez Meritorio et Lost and Lonesome !

3. Oro Swimming Hour, FOMO

Lossy by Oro Swimming Hour

Un groupe de Bristol qui passe un peu trop sous les radars. Ce titre est sur leur deuxième album sorti en novembre dernier chez Deertone Records.

4. Big Baby, It’s Funny

Fizzy Cola by Big Baby

On vient de sortir le nouvel EP de Big Baby en cassette sur mon label et je trouve que l’année commence fort bien.

5. Dead Painters, Inclined

Doused by Dead Painters

Extrait du très bel album  Doused, sorti dans la quasi indifférence en décembre dernier chez Rue Défense.

6. Deeper, This Heat

Auto-Pain by Deeper

Sec et bien senti. L’album Auto-Pain sort le 27 mars chez Fire Talk.

7. Shopping, For Your Pleasure

Super groupe à voir en concert. Je crois que sort le mois prochain leur – déjà – quatrième album (FatCat Records).

8. Cultdreams, Flowers On Their Graves

Things That Hurt by Cultdreams

Leur album Things That Hurt est un de mes coups de cœur de l’année passée. Guitares lourdes et chant rageur à souhait.

9. Peel Dream Magazine, Pill

Nouveau single étonnamment shoegaze de ce groupe que j’aime beaucoup. Ça sort chez Slumberland et Tough Love, et ça, c’est déjà un gage de qualité. (Un morceau qu’on retrouve aussi dans la playlist de news de janvier sur Section26, ndlr)

10. Porridge Radio, Don’t Ask Me Twice

Don’t Ask Me Twice by Porridge Radio

Gros coup de cœur de ces dernières années… et en plein dans l’actualité : leur album Every Bad sort le 13 mars via Secretly Canadian.

11. Chiaroscuro, Une autre histoire

EP – S///T by Chiaroscuro

Mon dernier échange de cassettes (Chiaroscuro contre HININ) proposé par Cyril de Dirty Slap, merci à lui.

 

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