Vaughan Oliver par ceux qui l’ont aimé #2

Une célébration du travail de l’immense graphiste pour le label 4AD

Vaughan Oliver
Vaughan Oliver

En complément de l’hommage à Vaughan Oliver déjà publié, nous vous proposons trois témoignages inédits. Reçus plus tardivement, il nous est évidemment apparu indispensable de les partager, car chacun offre un éclairage supplémentaire et intime sur l’œuvre de cet artiste hors normes. Tout d’abord, celui de Simon Larbalestier, photographe, collaborateur de longue date de Vaughan (les pochettes des Pixies c’est lui). Pour cette occasion, il nous offre quelques photos de ses archives personnelles. Terry Dowling, le professeur, tuteur et ami de Vaughan revient avec émotion sur cet élève génialement rebelle qui est venu chercher conseil et approbation auprès de lui jusqu’à la fin de sa vie. Enfin, Ian Masters des Pale Saints parle de sa collaboration avec Vaughan pour la pochette de In Ribbons (1992).

Simon Larbalestier, photographe

J’ai rencontré Vaughan pour la première fois à Londres, pendant l’hiver 1985. J’étais un jeune diplômé en Graphic Design de l’école polytechnique de Newcastle-upon-Tyne. J’avais découvert son travail l’été précédent. Ian Ross, un étudiant de ma promotion, avait effectué son stage d’été chez 23 Envelope, la société de design de Vaughan et du remarquable photographe Nigel Grierson. Ian avait accroché une série de posters sur les murs de son studio à la faculté. De mémoire, les groupes étaient This Mortal Coil, His Name is Alive et Wolfgang Press. J’ai immédiatement été frappé par les textures, l’imagerie éthérée. Après quelques recherches, j’ai découvert que Vaughan avait également été étudiant dans ma faculté et que nous étions tous les deux sous le tutorat de Terry Dowling.

En tant qu’étudiant, j’ai passé la majeure partie d’une année académique à créer d’énormes collages photos de hangars industriels tombant en ruines du Quayside. Situé sur les docks de Newcastle, ce quartier était à l’abandon. Je rencontrais régulièrement Terry pour lui parler du projet. J’en ai profité pour lui parler de Vaughan. M’apprêtant à déménager à Londres pour un Master en Arts au Royal College of Art, il m’a conseillé de l’appeler dès mon arrivée. C’est ce que j’ai fait. Il m’a donné rendez-vous dans les bureaux de 4AD sur Alma Road, Wandsworth. C’était en janvier 1985. Au regard des designs qu’il avait punaisés sur les murs, j’ai immédiatement réalisé que mes images de hangars seraient inadéquates au monde de la musique et plus particulièrement aux pochettes de disques. Étonnamment, Vaughan s’est vraiment montré intéressé par mon travail. Nous avons parlé des méthodes d’enseignement particulières de Terry, du fait qu’il nous avait tous les deux encouragés à trouver notre propre chemin. Au moment de partir, Vaughan m’a demandé de l’inviter à la remise de mon diplôme au Royal College of Art.

Deux ans plus tard, à l’été 1987, mon exposition de fin d’études est affichée sur les murs du RCA. Un après-midi, alors que je me promenais parmi mes œuvres, j’ai remarqué une personne de grande taille, habillée en noir et le crâne rasé. Elle regardait mon travail dans les moindres détails. Avant qu’elle ne se retourne et commence à parler avec un léger accent Geordie, je n’avais aucune idée de qui cela pouvait être. Il m’a demandé des informations sur deux photographies. L’une représentait un homme hirsute, l’autre une plante sortant d’un estomac. Au fil de la conversation, il m’a appris que 4AD venait de signer un nouveau groupe, les Pixies. Il m’a demandé s’il pouvait envoyer une copie de ces deux photos à leur leader, Black Francis (Charles Thompson). J’en suis resté sans voix. Cet instant précis a cimenté une collaboration et le début d’une amitié qui allait durer presque 35 ans.

Le mois suivant j’étais à nouveau dans les bureaux de 4AD, dans un minuscule studio de design qui s’appelait désormais v23 et non plus 23 Envelope. S’y trouvaient deux bureaux : l’un appartenait à Vaughan, l’autre à Chris Bigg qui était l’autre moitié de v23. Les lettres et polices de caractères dessinées à la main de Chris ont marqué à vif le style créatif de 4AD. Avec du recul, j’ai tendance à penser que l’énorme contribution de Chris a été en partie sous-estimée. Il est important de souligner que les projets complexes de design prennent vie grâce à des collaborations. L’histoire du design a tendance à négliger cet aspect.

Une très rare épreuve de la pochette intérieure du premier EP des Pixies, « Come on Pilgrim » (4AD Records, 1987) / Photo : Simon Larbalestier

Plusieurs légendes urbaines ont fait surface au fil des années sur notre manière de travailler ensemble et nos motivations. Beaucoup de questions ont été posées sur l’identité de l’homme hirsute et de la danseuse de flamenco. Je pense qu’aucun de nous deux n’aurait pu imaginer l’importance de notre première rencontre et comment, trente-cinq ans plus tard, les designs de Vaughan pour les Pixies et d’autres groupes de chez 4AD allaient révolutionner le design contemporain. Mes photographies sont devenues iconiques car les designs de Vaughan incarnaient les images. La relation entre ses designs et mes photos est devenue inséparable au fil des ans. Nous avions confiance en nos visions créatives respectives. Vaughan (et Chris) font partie des rares personnes ne m’ayant jamais demandé de refaire une session photo ou un tirage. A titre d’exemple, pour la pochette de Doolittle des Pixies (1989), je n’ai utilisé qu’une seule pellicule de douze photos par image. Elles ont été sélectionnées sur une seule planche de contact.

Au fil des années, beaucoup de choses ont été écrites sur nos collaborations. Elles comprenaient également les premières pochettes des Red House Painters (Down Colorful Hill, 1992, Bridge, 1993 et Shock Me EP, 1993), une pochette de Heidi Berry (Heidi Berry, 1993), Michael Brook (Cobalt Blue, 1992) et quelques projets commerciaux sans rapport avec 4AD. On peut facilement glaner des informations sur le web. Nous partagions également une fascination pour le cinéma et la photographie. Vaughan était la seule personne que je connaisse à avoir le Nimrod’s Son (l’homme hirsute de Come on Pilgrim) accroché sur le même mur que des Joel-Peter Witkin. Ce qui me donne envie de revenir ici sur quatre moments importants et mémorables qui résument le mieux nos collaborations.

Pour commencer, parlons de la session photo de Surfer Rosa qui s’est déroulée en une journée à l’étage du pub situé en face des bureaux de 4AD sur Alma Road. Si l’on oublie le fait qu’il était à deux pas de notre local, nous avons choisi cet endroit car il y avait une petite scène surélevée à l’angle d’une grande salle. Des groupes s’y produisaient le soir. J’avais besoin d’un espace suffisamment grand pour prendre de la distance avec mon sujet (la danseuse de flamenco) et inclure un arrière-plan. Vaughan, Chris et moi-même avons créé ce dernier à la main avec des panneaux de fibre à densité moyenne sur lesquels nous avons recréé des murs en décrépitude censés ressembler à ceux d’un vieux bar au Mexique. C’était une idée de Charles (Black Francis). Chris avait ramené un gros cabillaud du marché au poisson. Nous l’avons accroché au mur, bien en évidence. Je me souviens encore être dans ma chambre noire à développer les photos. Je fais particulièrement attention à ce que le cabillaud soit visible.

J’ai pour habitude de travailler seul, sans aucun assistant. Dans ce cas précis, la scène était complexe et à grande échelle. Vaughan voulait un lien visuel évident entre la pochette de Come on Pilgrim et ce deuxième album (dont le titre n’avait pas encore été confirmé au moment du shooting). J’ai donc décidé d’utiliser le même film Polaroid Type 55 qui dévoile un contour distinctif lorsque l’on sépare le négatif de la photo. On nous avait également demandé à ce que le modèle soit seins nus (une autre requête de Charles, j’imagine). Chris, Vaughan et moi étions trop timides pour lui demander de s’exécuter. La matinée s’est écoulée à prendre un polaroid à la fois. Le résultat de cette session est connu sous le nom de Surfer Rosa #1. Une fois ces plans d’ensemble réussis, nous avons commencé les prises rapprochées. Je n’ai pris que quatre photos avec un angle aux trois quarts. L’une d’elle figure à l’arrière de la pochette. Il s’agit de Surfer Rosa #3. Ce fut une journée frénétique. Nous en avons tous gardé de bons souvenirs. Nous n’avons produit que vingt-six polaroids, mais nous savions que nous avions obtenu ce qu’il nous fallait. J’ai pris une seule photo de Vaughan dansant sur la scène pour pouvoir configurer la composition exacte, avant de commencer à travailler avec le modèle.

Vaughan testant la hauteur du plateau avant que nous commencions les prises de vue, Polaroid Type 55 original issu de la séance pour « Surfer Rosa », Wandsworth, Londres, 1988 / Photo : Simon Larbalestier
Une paire de Polaroids Type 55 originaux issus de la séance pour « Surfer Rosa », Londres, 1988 / Photo : Simon Larbalestier

La deuxième expérience explique comment ma photo d’un bull terrier anglais nommé Spike s’est retrouvée en couverture du single des Pixies, Here Comes Your Man (1989). J’avais invité Vaughan au vernissage d’une exposition à Londres, dans le quartier très à la mode de Kensington Park Road. Le thème de l’exposition était les animaux. Le seul critère était de proposer un travail personnel non commissionné. Quand il a vu ma photo, Vaughan m’a immédiatement demandé s’il pouvait en envoyer une copie à Charles, car 4AD s’apprêtait à réaliser un nouveau single du groupe. J’avais laissé une planche de contact à la galerie. Il l’a glissée dans son sac en disant quelque chose du style “ça produira l’effet voulu”. C’est tout. Vaughan avait repéré le potentiel d’une photo que j’avais délibérément choisi de lui cacher pour qu’elle soit exposée et il a appelé les Pixies le jour même pour qu’ils approuvent son idée.

Spike, tel qu’il figurera sur la pochette des Pixies, « Here Comes your Man » (4AD Records/1989) / Photo : Simon Larbalestier

Le troisième souvenir est lié au package Minotaur, un projet commissionné par Geoff Anderson de chez A+R / Artists in Residence pendant l’été 2008. Sa sortie était planifiée pour l’automne 2009. À cette époque, j’avais quitté Londres depuis un moment pour m’installer en Asie du Sud-Est. Je travaillais entre la Thaïlande et le Cambodge. En apprenant la nouvelle de ce projet, j’ai décidé de prendre toutes mes photos en dehors du Royaume-Uni et d’expérimenter avec une paire d’appareils photo numériques compacts Ricoh GR2. C’était un choix délibéré de m’éloigner des formalités rigides des gros appareils photo. La foi implicite qu’avait Vaughan en moi a joué un rôle dans cet énorme projet.

Pixies, « Minotaur » Limited Edition Box Set (2009) / Photo : Simon Larbalestier
Une page du Minotaur Limited Edition Book (2009) / Photo : Simon Larbalestier

J’ai pris toutes mes photos en l’espace de quatre mois. Début 2009, j’ai rendu visite à Vaughan dans sa maison en Angleterre. J’avais amené un disque dur remplis de fichiers digitaux. Je lui révélais petit à petit ce que j’avais pris en photo en Asie du sud-est. Il était enchanté du résultat. Nous avons imprimé une sélection de photos que nous avons étalées sur des tables et le sol. J’ai ensuite travaillé toutes les photos pour leur apporter une sensation granuleuse fidèle à ce que j’avais en tête. Cela allait être le début d’un long et difficile apprentissage des logiciels Adobe’s Lightroom 2 et Phase One’s Capture One 5.

A l’été 2009, Vaughan et moi avons retrouvé notre ami et mentor Terry à Epsom. Lui aussi collaborait au projet Minotaur. C’est l’une des expériences créatives les plus formidables dont je me souvienne. Tous les trois travaillons sur le même projet. Nous étions nerveux à l’idée de présenter nos projets à Terry après toutes ces années qu’il avait passées à nous coacher. Terry était élogieux. Deux jours plus tard, nous nous sommes retrouvés à nouveau à l’occasion d’un concert privé des Pixies au Village Underground de Londres. Nous avons passé tout un après-midi à disposer d’énormes posters sur le sol afin de décider lesquels afficher pour le show. Cette journée est d’autant plus mémorable que mes enfants (Jack et Lucy) ont grandi en écoutant la musique des Pixies. Ils ont pu les rencontrer, ainsi que Vaughan et Terry dans l’intimité d’un soundcheck. Ce jour-là, la boucle des Pixies était bouclée, en réunissant tout le monde.

Terry Dowling et Vaughan parlant de « Minotaur » à Epsom, le 13 juin 2009 / Photo : Simon Larbalestier
Terry et Vaughan en pleine conversation à propos de l’accrochage de notre travail au mur du Village Underground, à Londres, le 15 juin 2009 / Photo : Simon Larbalestier
Charles et Vaughan évoquant les possibilités de reformation des Pixies, au Village Underground, à Londres, le 15 juin 2009 / Photo : Simon Larbalestier
Vaughan, Kim Deal, Terry, Lucy Larbalestier, Jack Larbalestier et Charles Thompson au Village Underground à Londres le 15 juin 2009 / Photo : Simon Larbalestier

Faisons un bond en avant. Nous sommes le 10 avril 2019. J’ouvre ma boîte e-mail. Surgi de nul part, dix ans après notre dernière collaboration, voici ce que je lis :

“Salut Simon, je travaille actuellement sur un nouvel artwork pour les Pixies. Souhaites-tu que je leur propose une de tes images de Cornucopiacae ?
Je pense qu’elles se marient parfaitement avec l’approche plus sombre de leurs nouveaux morceaux. Tu trouveras en pièce-jointe les paroles de Catfish Kate qui est pour moi le titre le plus fort de l’album.
Je l’imagine bien illustrée par Pleurotus IV.
Voudrais-tu te remettre en selle ?
v”

J’ai parcouru mes archives et réexaminé une série de photographies appelée Pleurotus Cornucopiae contenant des images de Pleurotes Ostreatus que j’avais fait pousser au nord-est de la Thaïlande en 2014. C’était typique de Vaughan. Ça m’a fait sourire de penser qu’une fois de plus le cercle se refermait. Il avait perçu quelque chose dans l’une de mes images, Pleutorus IV qu’il avait ensuite identifiée à une chanson des Pixies, Catfish Kate. C’est toute la beauté du fonctionnement de l’esprit de Vaughan. Et de comment nous nous connections intuitivement. C’est de cette façon que nous travaillions.

Le 23 avril, nous avons obtenu le feu vert, mais le plus important était que cela nous permettait de travailler à nouveau ensemble sur les pochettes des Pixies.

“Oh oui Simon, tous tes jpegs sont fantastiques. Vraiment inspirants. Je te tiens informé de l’avancement.
Merci infiniment. Tu m’as donné le coup de fouet dont j’avais besoin ce matin.
Bien à toi,
v”

Pleurotus IV (2014), de la série Pleurotus Cornucopiae, 2016 / Photo : Simon Larbalestier
Pochette de l’édition limitée du livret du DVD « Beneath the Eyrie » des Pixies (2019) / Photo : Simon Larbalestier
Détail du livret intérieur de l’édition limitée du DVD « Beneath the Eyrie » des Pixies (2019) / Photo : Simon Larbalestier
Détail de la cassette audio, « Beneath the Eyrie » des Pixies (2019) / Photo : Simon Larbalestier

Et puis tragiquement, le 29 décembre à 13h30, alors que j’étais assis avec Terry (qui habite toujours à Newcastle-Upon-Tyne), la femme de Vaughan m’a appris qu’il s’était éteint en paix à l’hôpital. Nous savions tous les deux que son état était devenu critique la veille. Le choc a pourtant été catastrophique.

En regardant les rares photos que j’ai prises de Vaughan au fil des années, on remarque immédiatement à quel point il parlait avec ses mains. Elles faisaient écho à l’enthousiasme qu’il avait pour son travail. Il était si profondément passionné par la musique. Son influence dans le milieu de design est incommensurable et incomparable. Il m’est difficile d’être impartial. J’étais son ami.

Il paraît judicieux de clore cette nécrologie par ce que je considère comme deux photos clés. La première est une rare photo de Chris et Vaughan au Village Underground le 15 juin 2009. La deuxième a été prise deux jours avant, chez lui à Epsom. Il s’agit de sa paire de boots en daim bien usée. Elles contrastaient fortement avec les Doc Martens coquées que je portais à l’époque.

Il est difficile d’écrire quelque chose avec plus de sens à ce stade, sinon que sa disparition a laissé un vide béant qu’il est difficile de comprendre et impossible à remplir. Il nous a légué un héritage créatif qui va continuer à vivre de nombreuses années. Lui succéder ne sera pas une mince affaire.

Tu nous manques Vaughan (RIP) et tu nous manqueras toujours.

Simon Larbalestier, 15 janvier 2020.

Chris Bigg et Vaughan au Village Underground à Londres, le 16 juin 2009 / Photo : Simon Larbalestier
Les chaussures de Vaughan, Epsom, le 13 juin 2009 / Photo : Simon Larbalestier

Terry Dowling, professeur de Vaughan Olivier

Voilà le Vaughan que je connaissais et estimais par-dessus tout : il vous faisait réfléchir, vous questionner et réfléchir à nouveau. C’est ce que je fais actuellement. Je pense et je médite à l’héritage que Vaughan nous a laissé. Il va profondément me manquer. Son sens de l’humour torve mais subtil, si typique du comté de Durham où il avait grandi. Sa carapace de dur à cuire cachait la douce sensibilité qu’il avait au fond de lui. Un aparté avec Vaughan suffisait à tout comprendre. Sa personnalité était comme son travail : directe, belle, concise mais aussi superbe, artistique et provocante. Le choix de ses couleurs, le trait minutieux, la juxtaposition surréaliste d’images. Vaughan, il vous faisait réfléchir, vous surprenait, vous ravissait. Un véritable créatif qui va énormément me manquer. Et à d’autres aussi.
Vaughan Oliver était mon étudiant. Vaughan était aussi mon collègue et mon collaborateur. Il me soutenait et me passait des commandes. Ce que j’appréciais et respectais. Vaughan était mon ami. Je l’admirais et le conseillais. J’étais émerveillé et stupéfié par son travail. Il m’a étonné pendant plus de trente ans. Il était un designer remarquable, unique et particulier. Vaughan était un ami généreux, loyal et bon. Il va terriblement me manquer.

J’ai enseigné le graphisme à Vaughan au Newcastle Polytechnic. C’était un étudiant génialement rebelle. J’adorais ça. Original, opiniâtre, surdoué, il surprenait et vous choquait souvent avec son travail. Il avait un œil incroyable. Il réclamait incessamment mes conseils et remettait en cause mes lignes directrices. C’est quelque chose que j’appréciais. J’aimais les étudiants comme lui. Ambitieux, mais réceptifs et créatifs. À ce moment des années 80, j’ai enseigné et formé une cohorte d’étudiants exceptionnels. Vaughan, Simon Larbalestier et Nigel Grierson en faisaient partie. Il a d’ailleurs travaillé avec ces derniers par la suite. Vaughan se décrivait toujours comme un graphiste. C’était pourtant un directeur artistique remarquable. Il choisissait avec sagacité ses collaborateurs, qu’ils soient photographes, illustrateurs ou designers. Il provoquait leurs rencontres. C’est ce qui donnait la force de ses projets. C’était le reflet de sa nature généreuse. Il savait comment tirer le meilleur des artistes avec lesquels il travaillait. Il avait un regard critique. Travailler avec Vaughan relevait du challenge, mais c’était toujours un plaisir de travailler pour ou avec lui.
Vaughan me postait souvent des copies de son travail. J’attendais toujours avec impatience l’arrivée de ces colis dans la boîte aux lettres. Il savait à quel point j’attachais de l’importance à son travail. Il savait également que j’allais apprécier la musique qui l’accompagnait. Il a utilisé mes illustrations pour des pochettes de Clan of Xymox ou des Pixies, surtout pour le coffret en édition limitée pour lequel j’ai produit une sérigraphie. C’était un concept original et imaginatif qui avait pour unique but de célébrer les Pixies. C’était typiquement du Vaughan. Il respectait ces artistes. Il tolérait leurs caprices. Sa direction artistique était subtile, légère. C’est pour cette raison que son travail survivra à l’épreuve du temps.
Je suis gravement malade depuis quelques temps. Je souffre d’une maladie de Parkinson à un stade très avancé. Vaughan avait été commissionné pour réaliser des posters devant faire prendre conscience de l’existence de cette maladie dégénérative et cruellement invalidante. J’ai été ému qu’il me demande ce que je ressentais et quelles étaient mes souffrances. Il a retranscrit mes descriptions avec sensibilité dans un artwork original et captivant pour la campagne en question. La tête brisée, le personnage flou, les corps déformés et tordus résument parfaitement cette infâme maladie. Il n’y a aucun moyen d’illustrer ou représenter Parkinson de façon évidente. Vaughan a pourtant réussi à nous faire réfléchir, nous questionner puis réfléchir à nouveau.

Ian Masters (Pale Saints)

« The Comforts Of Madness » des Pale Saints (4AD, 1990).

Les évènements se sont passés il y a longtemps, dans un pays lointain. À tel point que mes souvenirs sont vagues. Il me semble que tous les membres des Pale Saints aimaient le travail de Vaughan, qu’il était une véritable tête de mule. Il préférait qu’on le laisse seul avec la musique du groupe et quelques idées que l’on pouvait lui suggérer dans le meilleur des cas. Il détestait qu’on se mêle de son travail en cours.  La pochette de notre premier album, The Comforts Of Madness, était jolie à regarder, mais je n’ai jamais ressenti de réelle connexion avec le résultat final.

« In Ribbons » des Pale Saints (4AD, 1992)

Quand il a commencé à travailler sur l’image principale d’In Ribbons, j’ai commencé à faire quelques recherches. Je me suis rappelé que la mère d’un ami londonien travaillait dans le secteur médical. Elle m’avait donné un lot de diapositives vraiment étranges. Toutes concernaient des patients de l’hôpital. L’intérieur des patients pour être plus précis…. Dès que je les ai regardées pour la première fois, j’avais dit à mon ami qu’elles finiraient sur une pochette de disque. Ça l’avait fait rigoler.

Une fois l’enregistrement d’In Ribbons terminé, j’ai envoyé les diapositives à Vaughan. Quelques semaines plus tard, lors d’un déplacement à Londres, nous avons eu l’opportunité de voir l’artwork de l’album. C’était incroyable. Vaughan avait gravé le nom du groupe et des chansons sur des grands morceaux de verre. Il avait demandé à Kevin Westenberg de les prendre en photo avec des jeux d’ombres. Le dos de la pochette était aussi beau que le devant, ce qui est plutôt rare. Je me demande si Vaughan n’avait pas suggéré que l’on inverse les deux. Cela n’aura pas été surprenant venant de lui.

Ce qui l’excitait le plus était l’intérieur de la pochette. Il avait construit une table et y avait ajouté nos portraits. Il nous avait frankensteinisé, nous reconstruisant par fragments. Il y avait aussi une étoile de mer, rappelant le poulet dans Eraserhead, qui affichait clairement ce qui pouvait ressembler à un pénis de l’autre côté de la pochette intérieure. Vaughan ne se donnait pas à moitié. Il t’offrait la beauté, l’espièglerie, l’humour grossier mais hilarant et du pur Dada. Cela résume vraiment la personne qu’il était.

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