Objets du délit #1 TrrrNctrn, Exodus Sexus vs Blason, Tina Thorner

Des objets musicaux comme s’il en pleuvait dans ma boîte aux lettres…

Photos : Renaud Sachet / Montage : Thomas Schwoerer
Photos : Renaud Sachet / Montage : Thomas Schwoerer

A l’heure de la démat’ généralisée et des intérieurs feng-shui bois cramé, béton lisse, du plastique-ça-n’est-plus-trop-fantastique, c’est un peu la grosse shame de continuer d’entasser des trucs qui serviront, en gros, à prendre la poussière sur les étagères de nos souvenirs. Collectionner est même devenu un gros mot, on s’en défendrait. Et pourtant, dans l’échange à micro-échelle de ces petits fétiches, se joue quelque chose de la constitution de notre mémoire vive qui peut échapper encore un temps à l’archivage méthodique d’une intelligence plus artificielle. Se joue aussi le rapport à l’autre, la preuve de l’intérêt, l’envie d’échanger, la musique, son support, puis la parole, l’écrit qui va avec, le commerce. Et l’autre, derrière tout ça.

Et puis qui a envie d’avoir tout sous la main, tout le temps ? Je ne sais pas, c’est une question. Dans tous les salons, derrière la pomme lumineuse, la bibliothèque d’Alexandrie contemporaine : tous les films, tous les disques du monde, en un clic. Pourquoi pas ? J’aime ça, j’avoue, je pratique plus que de raison (au point de recevoir des méls d’avertissement, mince) et en même temps, en parallèle, en parallaxe, je continue à garnir ma bibliothèque en bois du BHV (celle que feu mon père avait reçue pour ses 18 ans), à construire ma tour Eiffel en allumettes. C’est l’objet de la rubrique objets (du délit) que j’espère régulière.

Je ne vais pas vous ressortir le plan foireux sur le circuit court, le panier de la ménagère à base de produits locaux, du coup, ça serait indécent. Il s’agit toujours et avant tout de plastoque. On n’est pas là pour boire de l’eau de source ni manger une bonne salade. Je ne pourrai jamais comparer ça. Ni même évoquer l’artisanat, des gens qui se coupent les doigts avec un rabot  – de la même façon que je rejette toujours les étiquettes « résistance », « activiste » à mes occupations musicales – faut pas pousser mémé et pépé (qui eux l’ont vécu) dans les orties. Alors quoi ? Eh bien, ces choses dites et posées, je vais vous parler d’une cassette achetée tout près de chez moi à TrrrNctrn (si vous ajoutez des voyelles, vous voyez l’idée ?). Peran André, c’est son nom, officie derrière le quatre-pistes d’un des groupes les plus sympa de Strasbourg, Récréation. Il y balance des boucles qu’il crée sur des cassettes qu’il manie en direct. Il a aussi son jardin secret, sous forme de cassettes aussi, à petit tirage, où il rassemble des morceaux vaporeux et flippants. Cette cassette s’appelle Sous la nuit, il y a un mini poster et une petite phrase sur papier calque, qui dit en substance qu’on va écouter une sorte de journal intime qui permet à son auteur de sortir des choses et de se soigner. C’est mieux écrit. Mais je vous laisse découvrir. Pour l’anecdote, quand j’ai échangé avec Peran à une soirée la semaine dernière, je me suis aperçu que la cassette que je lui avais achetée était en fait une cassette recyclée de mon label Langue Pendue. Parce que les ventes ne sont pas toujours à la hauteur de ce que je pensais, j’en ai vendu quelques stocks, et une partie de ce stock est tombée entre les mains de Peran. Il s’en sert aussi pour les cassettes qu’il utilise en concert. Je trouve que c’est marrant cette idée, le cycle des cassettes, c’est un bel objet pour ça, réutilisable, qui passe de main en main. Bref, Sous la nuit et super beau, avec ces voix noyées dans la reverb et ces rythmes lourds et sourds. C’est à la fois très inquiétant et enveloppant, shoegaze + trip hop un peu abstrakt, si vous aimez les étiquettes.. Particulièrement le morceau Tous ceux qui errent dehors, avec cette vibration à la Joy Division et ces collages qui soufflent. TrrrNctrn,  autre DJ de l’ombre (vous l’avez?).

Quand ma fille a entendu ce que j’écoutais, elle m’a dit que c’était une musique qui faisait peur. Là, ce n’était plus TrrrNctrn, mais le vinyle d’Exodus Sexus VS Blason sorti par le label ScumYrEarth, plus habitué au support cassette. Là, ils ont tellement aimé que c’est sorti en vinyle. Enfin, j’ai pas compris grand chose au projet, il faut lire les textes de Michel Wisniewski, le copropriétaire des lieux et ex-Supermalprodelica, sur leur bandcamp. La musique, c’est deux faces, deux plages, avec des bouts de riffs démantibulés et répétitifs. C’est assez envoûtant, ça hypnotise, et ça arrive à dégager des sentiments : j’ai ressenti de la mélancolie, parce que ça reste assez abordable et pas trop abstrait. Le son est super beau, précis, comme un CD qui sauterait de façon souple. Je sais pas qui prend le dessus entre Blason et Exodus Sexus, mais on reconnaît un peu la magie du très beau disque, france chorus, sorti l’année dernière par les jumeaux de Blason (qui ont fait la couverture de Groupie n°10). Le disque est présenté dans une pochette blanche, avec rond central apparent, je crois que ça a à voir avec les disques que les gars achetaient dans les années 90 dans les magasins de techno/house, ça leur rappelle des trucs, sûrement.

Alors, un autre objet reçu par la Poste cette semaine, c’est le CDR de Tina Thorner. Elle fait un peu parler d’elle, de Gonzai à Radio Campus Bruxelles (merci David Menneissier, c’est chez toi que j’ai entendu Tina pour la première fois), parce qu’elle joue une musique a priori horrifique – cette fois pour de vrai – pour tous les amateurs de bon goût : de l’accordéon musette mélangé avec de la techno de cassos (vous voyez, je n’échappe pas à mes biais dégueulasses), surtout pour cette chanson en descente du dimanche matin (ça tourne) des valses un peu dép’, en général, on cache ça sous le mouchoir blanc maculé de nos masturbations cultivées. Mais là, ça passe easy, sans doute aussi, ça tombe la semaine de la mort de Tina Turner, avec ce nom (ça me rappelle les Archi Cheap ou Com Truise), mais pas que. Il y a une fraicheur évidente, une absence de calcul et un soin art brutiste au CDR qui emporte l’adhésion : un bel emballage en accordéon, un petit cahier de chant relié, un autocollant, des cartes de visites, 1 ticket pour je ne sais quoi. C’est en rose fluo. Et puis il y a 13 chansons quand même, qui feraient tourner en bourrique n’importe quel derviche :  chanson à moitié drôle, à moitié super investi, c’est puissant, et Tina éclate tout, comme une Yvette déchirée, sous 8.6, en habits Jean-Paul Gaultier chinés sur Vinted. Succès assuré en jeu d’écoute à l’aveugle. Bravo Tina. On a un faible pour des chansons pas catholiques, avec de la répartie féministe bien envoyée : « à tous ceux qui rêvent de cul dans la réalité, vous vous branlerez pour l’éternité ». A bon entendeur.

Ma fille a conclu, inspirée : « Elle prend des paroles aléatoires, wesh ? « 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *