Musical Écran 2022 : « Le Son de Cologne » de Kristina Schippling

Comme le titre du premier documentaire réalisé par Kristina Schippling et écrit par Sarah Schygulla l’indique, il y aurait, sinon un son de Cologne, tout sauf évident à définir, tout au moins une filiation musicale depuis l’après-guerre dans la quatrième ville allemande derrière Berlin, Munich et Hambourg. Son nom germanique évoque ici au mieux en musique un album “live” enregistré et sorti en 1975, référence de l’histoire du jazz, The Köln Concert du pianiste Keith Jarrett.

Karlheinz Stockhausen
Karlheinz Stockhausen

Au début des 98 minutes du documentaire, il est d’abord question du premier studio d’enregistrement de musique électronique construit en 1951 dans les locaux de la radio publique NWDR (Nordwestdeutscher Rundfunk) devenue quatre ans plus tard WDR (Westdeutsche Rundfunk). Le musicien et musicologue Herbert Eimert, informé du travail d’Olivier Messiaen à Paris, va initier une dynamique prolongée par l’enfant (prodige) du pays Karlheinz Stockhausen. De retour d’un séjour parisien, il trouve à Cologne, ville de naissance de Konrad Adenauer, premier dirigeant de la République Fédérale Allemande, avec pour capitale administrative Bonn, à une demie-heure de voiture, un cadre propice pour développer son art entre deux visites de son ancien condisciple parisien Pierre Boulez.

Histoire d’eau (de Cologne)
Can
Can

Stockhausen compte parmi ses élèves Irmin Schmidt, né en 1937, et Holger Czukay, en 1938, deux des membres du groupe Can, et épouse en secondes noces Mary Bauermeister, artiste musicienne pluri-disciplinaire, qui reçoit chez elle des figures de l’avant-garde new-yorkaise comme John Cage. Si ceux qui auront aussi vu Can & Moi (en l’occurence le Moi est Irmin Schmidt, filmé dans son environnement provençal actuel) de Tessa Knapp et Michael P. Aust, également au programme de l’édition 2022 du festival bordelais Musical Écran, pourront avoir une impression de redite, c’est normal. Aust est ici le producteur avec la société Televisor Troika à la manœuvre pour l’un et l’autre film, sans pour autant proposer les mêmes images. L’histoire de Can, racontée plus en détails en 1999 dans Can : The Documentary de Rudi Dolezal et Hannes Rossacher, est même paradoxalement mieux résumée dans Le Son de Cologne que dans Can & Moi. Surtout, Le Son de Cologne défend l’option d’un Can à l’origine des musiques électroniques à danser, avec sa section rythmique autour d’Holger Czukay à la basse et de Jaki Liebezeit, lui aussi né en 1938, à la batterie.

Michael Mayer / Kompakt
Michael Mayer / Kompakt

À la fin des années 1980, au cours desquelles Spex, né à Cologne, devient le magazine musical allemand de référence, house puis techno trouvent un écho si puissant sur les bords du Rhin que la ville, tout comme Francfort, dont le champion s’appelle Sven Väth, prétend au titre de capitale allemande des musiques électroniques face à Berlin nouvelle capitale de l’Allemagne réunifiée. Malgré un article dans le magazine musical mensuel londonien The Wire en mai 1997 autour du minuscule bar Liquid Sky, le développement depuis 1993 du festival c/o Pop puis l’essor fulgurant du label Kompakt, champion d’un certain son minimal électronique, Cologne et son million d’habitants reste moins attractive face à une population berlinoise de près de quatre millions et surtout beaucoup plus jeune. Michael Mayer et ses copains Jürgen Paape et Wolfgang Voigt ont commencé en 1993 par tenir la boutique locale d’une franchise régionale de magasins de disques, Delirium, font DJ de plus plus loin et initient une myriade de labels aux noms divers. Delirium n’est alors pas le seul disquaire : il y a aussi Groove Attack, Formic et A-Musik, temple des musiques “différentes”. En 1998 halte aux sketches : Kompakt, avec ses maxis vinyle au design simplissime, va faire école en matière de son et ne pas se limiter à l’activité de label pour s’étendre à celle de distributeur de 70 labels européens au niveau national comme de booking avec une quarantaine d’artistes.

Ich bin ein Kölner

Dans Le Son de Cologne, Michael Mayer, qui connaît la musique, s’empresse de réfuter l’idée d’un soi-disant “son de Cologne”. Sans doute troublée, la réalisatrice Kristina Schippling, résidente berlinoise, donne la parole à un peu trop de hipsters déjà fatigués de la vie, à Cologne ou ailleurs, et aurait gagné à resserrer la seconde moitié post-Kompakt de son documentaire. Sans aucun plan filmé du Thalys en gare de Cologne, il a le mérite d’éviter toute propagande touristique jusqu’à critiquer des autorités locales a priori pas assez dynamiques, et responsables de l’effondrement d’un immeuble où étaient stockées des archives parmi lesquelles des manuscrits des compositeurs français Jacques Offenbach, né à Cologne, et Richard Wagner, mais aussi de l’auteur Heinrich Böll, autre natif de la ville. Dommage alors de faire l’impasse sur d’autres labels hors Kompakt comme Karaoke Kalk relocalisé depuis 2005 à Berlin ou bien une Jennifer Cardini, qui a vécu de 2008 à 2014 à Cologne avant de partir… devinez où ?

Festival de Can

A contrario, Mouse On Mars, entité hybride passée par Cologne après ses débuts à Düsseldorf (Kraftwerk et Neu! ou bien Can pourquoi choisir ?) a beau avoir rejoint Berlin (soupir…), Jan St. Werner et Andi Toma ont droit de cité pour évoquer l’atmosphère si particulière de Cologne, comparée par un des interviewés à San Francisco. Autre artiste un temps signée par Sonig, label local, revenue ensuite chez Tomlab, initié à Cologne mais devenu berlinois, la musicienne électro d’origine vénézuélienne Niobe, avec ses faux-airs de Laetitia Sadier, fait figure de grand témoin. Yvonne Cornelius, née à Francfort, vit en effet depuis 1994 à Cologne.
Comme pour boucler la boucle, le jeune compositeur classique Gregor Schwellenbach, colonais d’adoption, a enregistré de nouvelles versions orchestrées des meilleurs titres du catalogue Kompakt avant de faire de même pour une série de concerts avec le répertoire de Can en collaboration avec Irmin Schmidt, pianiste de formation classique et chef d’orchestre, seul musicien survivant avec les chanteurs successifs, Malcolm Mooney l’Américain et Damo Suzuki le Japonais (le guitariste Michael Karoli, pourtant le plus jeune instrumentiste de la bande, est mort dès 2001). Côté clubs, l’ancien Studio672 a rouvert en 2019, après des années d’inactivité, sous le nom de Jaki, en hommage au batteur de Can, mort deux ans plus tôt comme son complice à la basse Holger Czukay. La leçon soufflée par Le Son de Cologne ? Pourvu qu’ils n’en soient pas partis trop rapidement pour Berlin, comme une certaine Christa Päffgen, future Nico, la ville n’oublie pas ses enfants les plus talentueux : de là à imaginer une boîte de nuit appelée Stockhausen…


Le Son de Cologne de Kristina Schippling est projeté au festival Musical Écran à Bordeaux le samedi 12 Novembre au Théâtre Molière à 17h30

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