Musical Écran 2022 : 3 documentaires autour de Stockhausen, Delia Derbyshire et COUM / Throbbing Gristle

Delia Derbyshire, Karlheinz Stochkausen et Genesis P. Orridge
Delia Derbyshire, Karlheinz Stochkausen et Genesis P. Orridge

LICHT, œuvre testamentaire de Karlheinz Stochkausen à l’ambition démentielle (un cycle de 7 opéras correspondant aux jours de la semaine pour une durée totale de 29 heures), incarne de manière particulièrement idéal-typique un certain esprit moderniste, tel qu’il a pu caractériser les grandes entreprises sérielles et post-sérielles de l’apres-1945 : une radicalité formaliste et une sophistication inégalée, l’utopisme avant-gardiste porté à son point d’achèvement en quelque sorte. Et c’est précisément l’objet du film de la hollandaise Oeke Hoogendijk, LICHT Stockhausen’s Legacy, que d’évoquer la figure du compositeur allemand comme archétype du créateur génial et iconoclaste, par le récit de la première production de ce cycle d’opéras par l’Opéra National des Pays-Bas en 2019. Une odyssée évidemment heurtée, passionnante par ce qu’elle peut nous dire d’une œuvre pivot de la musique du XXème siècle. Mais c’est aussi en regard de deux autres films programmés à l’occasion de cette édition 2022 du festival Musical Écran que LICHT Stockhausen’s Legacy est susceptible de prendre toute sa signification. Comme évocation d’un devenir possible des musiques électroniques et expérimentales, dans la mesure où il en représenterait le versant le plus « orthodoxe » du point de vue d’une certaine idée de l’avant-garde. Rapporté aux deux autres figures que sont Delia Derbyshire et le collectif COUM Transmissions/Throbbing Gristle – qui font chacune l’objet d’un film –, il s’agit en effet de prendre la mesure d’une voie singulière tracée depuis une idée canonisée de la recherche formelle.

Ce qui est moins évident avec Delia Derbyshire, représentante majeure du BBC Radiophonic Workshop et pionnière de la musique électronique et concrète au Royaume-Uni. Elle incarne à la perfection cette façon si particulière qu’on pu avoir certaines compositrices à emprunter des chemins de traverses : bande originale de film, illustration sonore, ou encore recherches radiophoniques. Avec Delia Derbyshire : The Myths and the Legendary Tapes, c’est à un portrait sensible et ambitieux formellement que nous convie Caroline Catz, la réalisatrice du film. Prenant pour point de départ la découverte après la mort de la compositrice en 2001 de 267 enregistrements inédits sur bandes, il s’agit d’évoquer une figure centrale de l’early electronic, aux côtés de Peter Zinovieff ou de Daphne Oram. Mais surtout, c’est bien cette question de la difficulté pour une compositrice de s’imposer dans un monde qui lui aura été à de nombreuses reprises hostile qui est évoquée. Ceci rapporté à l’importance qu’elle aura pu acquérir rétrospectivement – œuvre aujourd’hui consacrée, de l’ambient à la techno, en passant par les expérimentation post-industrielles et post-concrètes-, évoquée notamment dans le film par l’intermédiaire de Cosey Fanni Tutti, qui y apparaît et signe la BOF à partir du matériau contenu dans les tapes retrouvées. L’œuvre se révèle fascinante d’un point de vue esthétique, sorte de délire formel néo-psyché véritablement impressionnant.

Cosey, qui nous permet d’ailleurs d’évoquer un dernier film au sein de cette programmation remarquable : Other, Like Me : The Oral History Of COUM Transmissions and Throbbing Gristle de Marcus Werner Hed et Dan Fox. C’est ici le collectif pluridisciplinaire fondateur de la musique industrielle et représentant de tout premier plan d’une esthétique post-Fluxus (notamment pour ce qui concerne la performance et l’anti-art plus globalement) qui est à l’honneur. Ainsi, c’est le versant pleinement contre-culturel de ses musiques qui est abordé, par une entité qui s’est imposée comme le centre de gravité d’un underground britannique qui aura pu donner naissance à diverses formations et artistes aussi importantes et importants que Cabaret Voltaire, Coil, en allant jusqu’à Factory Floor ou Russel Haswell par exemple. Une filiation fondamentale pour ce qui concerne une certaine actualité des musiques électroniques aventureuses, des expérimentations planantes néo-ambient au jusqu’au boutisme noise, en passant par une post-techno caractéristique du continuum post-rave britannique.
Trois parcours donc, qui sont autant de propositions pour une histoire des musiques électroniques telles qu’elles ont pu se développer avant les explosions House et Techno. Et surtout, telles qu’elles permettent de fournir un point de jonction entre des œuvres emblématiques du répertoire contemporain et d’autres participant de contre-histoires plus souterraines, mais néanmoins décisives.


LICHT, Stockhausen’s Legacy de Oeke Hoogendijk est projeté au festival Musical Écran 2022 à Bordeaux le vendredi 11 Novembre au Théâtre Molière à 20h15 et dimanche 13 Novembre au Théâtre L’Inox à 13h45

Delia Derbyshire : The Myths and The Legendary Tapes de Caroline Catz est projeté au festival Musical Écran 2022 à Bordeaux le samedi 12 Novembre au Théâtre Molière à 13h45

Other, Like Me : The Oral History of COUM Transmissions and Throbbing Gristle de Marcus Werner Hed et Dan Fox est projeté au festival Musical Écran 2022 à Bordeaux le mercredi 9 Novembre au Théâtre L’Inox à 22h30 et le Vendredi 11 Novembre au Théâtre L’Inox à 16h30

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