Retour sur l’album « …Well? » de Swell avec une interview de David Freel en 1992.
Je ne me souviens plus exactement comment le deuxième album de Swell – dont nous pensions tous que c’était le premier – est arrivé jusqu’à nous. Mais je me souviens que c’était une époque où l’on aimait les disques en noir et blanc – ce n’était pas forcément une nouveauté d’ailleurs, car il me semble que nous étions pas mal de l’équipe hétéroclite du fanzine magic mushroom à nous retrouver autour de Faith… Ainsi, au tout début des années 1990, nous avions fait duSpiderland de Slint et du Frigid Stars de Codeine deux de nos albums de chevet – la lenteur comme exutoire, le silence comme revendication, la mélancolie comme art de vivre. … Well de Swell tombait plutôt bien pour compléter la trilogie imaginaire – nous étions une génération qui aimait bien les trilogies. Continuer la lecture de « Citizen… well ? »
David Freel vient de quitter ce monde qui l’angoissait tant. Cette angoisse, il la soignait dans ses compositions. C’est au début des années 1990 que l’homme arrête sa carrière professionnelle et commence ce pourquoi il est fait : écrire des chansons. Loin des élucubrations soniques de Seattle, il rencontre le batteur Sean Kirkpatrick et fait de la Californie, avec ses disques, une terre grise. Dès le début de Get High, premier morceau de Swell (Psycho-Specific Records, 1990), on ressent et comprend surtout que la personne qui a écrit ce titre-là sait écrire et a un don pour tisser des ambiances ni ensoleillées ni pluvieuses… Mais maussades – ce que confirmera le splendide … Well (1991). Continuer la lecture de « Get High »
La fabuleuse Ronnie Spector nous a quitté avant-hier soir à l’âge de 78 ans, emportant avec elle un monde de mascara, de minijupes et de folie qu’elle aura réchauffé de sa voix éraillée pendant 65 ans d’une carrière en rose et noir.
Retour en arrière. En 1961, Veronica et Estelle Bennett, avec leur cousine Nedra Tally se rendent dans un club de la 45ème rue : le Peppermint Lounge, alors « le seul endroit rock’n’roll de New-York ». À 15, 17 et 19 ans (dans l’ordre, Nedra, Ronnie et Estelle), elles viennent d’enregistrer leurs premiers morceaux, mais lassées d’attendre depuis déjà quatre ans à l’ombre du Brill Building qui les ignore, elles décident d’abandonner les sucreries infantiles des harmonies tubesques pour le rythme du rock’n’roll. Continuer la lecture de « Bye-Bye, Ronnie. »
J’ai toujours gardé à distance le Jazzbutcher, je ne sais pas trop pourquoi. Il était pourtant l’auteur d’un de mes premiers achats du label Creation, son LP appelé Fishcotheque (1988). En le réécoutant ce matin, j’ai bien aimé ce premier morceau, Next Move Sideways, sur lequel il joue avec cette section rythmique de rêve Morgan–Goulding, celle qui faisait le bonheur de Peter Astor dans les Weather Prophets. J’ai réécouté aussi Looking For Lot 49 qui faisait écho au livre de Pynchon, Vente à la criée du lot 49 qui trainait dans la bibliothèque de mon père et que du coup, j’avais dévoré (le livre, pas mon père), sans rien y comprendre, fin des années 80. J’avais suivi de loin la carrière de Pat Fish en fait, parce que Lawrence, Peter Astor, Dan Treacy ou Stephen Duffy me dessinaient sans doute une plus flamboyante famille anglaise. Je m’étais arrêté après Bicycle Kid, le dernier morceau qui m’avait accroché l’oreille sur le bien nommé Big Planet, Scarey Planet (1989), on ne peut donc pas dire que je suis un spécialiste ou un fan absolu, vous l’êtes tous, lecteurs, sans doute plus que moi. Continuer la lecture de « Pat Fish (1957-2021) »
Plus de dix ans ont passé déjà depuis ce terrible 14 janvier 2011 et Trish Keenan nous manque toujours autant. Il est fascinant de constater à quel point, à chaque chanson, que son compagnon James Cargill a l’émouvante attention de nous adresser, à elle et à nous, par les voies de l’internet, pour ses anniversaires, révèle un peu mieux la dimension ésotérique de l’œuvre de la poétesse de Birmingham. Distant Call, Where Are You ?, Tunnel View apparaissent comme autant de psalmodies médiumniques où Trish vivante semble communiquer, inconsciemment, avec son elle-même dans l’au-delà. Comme si des voix lui commandaient d’écrire ces chansons. Cette version demo de la magnifique Distant Call, enregistrée sur bande, chantée et jouée à la guitare sèche par Trish paraît surgir de la nuit des temps. Et c’est bien ce que semble avoir toujours recherché Broadcast : jouer une musique alchimique et intemporelle, spirite et fantomatique, comme jouée par des esprits ayant pris possession des corps de simples mortels. Et l’ironie morbide du sort semble avoir rendue grâce à ce projet dont on se demande parfois dans quelle mesure il relevait sérieusement du domaine de l’occulte ou si c’était un ensemble de hasards enchevêtrés, liés aux inspirations artistiques qui donnent à cette œuvre son caractère si durablement intriguant. Trish Keenan et James Cargill ont baigné dans les séries fantastiques anglaises, les films de la Hammer et The Wicker Man, de Robin Hardy, les livres de Poe, de Lewis Carroll ou de Vítězslav Nezval, et il est singulier que des influences aussi équivoques aient marqué la musique d’un groupe, leur faisant dépasser le simple statut de groupe pop. Broadcast nous a apporté plus que d’élégantes chansons, par eux notre regard sur les choses et les œuvres a changé, à travers leurs disques, leurs mixtapes ou leurs vidéos, ils nous auront fait découvrir des musiques de films tchèques oubliés signées Luboš Fišer, Zdeněk Liška ou Alexeï Rybnikov, aimer autant Bernard Parmegiani que United States of America, Ennio Morricone et The Springfield Rifle… Peu de groupes pop vous cultivent. Les relations entre le hasard, la magie noire, et les sources culturelles dans lesquelles baignaient Trish et ses camarades des West Midlands et du Worcestershire nous intrigueront encore longtemps.
Lee “Scratch” Perry est mort le 29 août. Ce dimanche y perdit sa saveur spécieuse de pré-rentrée (et en attendant le premier match de Messi au PSG). Son nom sonne à la fois excessivement familier à de nombreuses oreilles, de ces références qui tout le monde possède à l’heure des plateformes et des playlists YouTube, et qui sonnent étrangement creux dès qu’il s’agit de sortir des banalités de comptoir. Il s’agit pourtant d’un des rares dieux de la musique jamaïcaine qui a réussi à se faire une place dans le panthéon des petits cercles de la pop ou du rock en France. Continuer la lecture de « Lee Scratch Perry : Le jamaïcain qui a donné un son à la folie »
C’est mon amie Aurore qui me l’a rappelé. « C’est parce que ce sont les dix ans de sa mort, je pense beaucoup à lui en ce moment. » Moi, je n’avais pas pensé à lui depuis quelques temps. Pourtant, j’avais demandé (pour une éventuelle playlist) aux copains de Section26 des idées de chansons illustrant les mots de Chris Marker qui affirmait justement que l’humour est « la politesse du désespoir ». Continuer la lecture de « Jean-Luc Le Ténia par Aurore Bagarry »
On était très fiers, il y a deux ans, de proposer ce qui restera certainement la mixtape la plus dingue de notre collection, où nous demandons à des artistes de nous donner la clé de leur jardin secret. Stereo Total, ou un amour inconditionnel pour leur pop franco-allemande lofi, électro et punk, leur esprit barré et leur folie constante. Je ne sais pas si la disparition de quelqu’un pouvait me faire plus de peine que celle de Françoise Cactus. Elle était la bonne copine cinglée qui joue de la batterie et braille au micro d’un groupe rock de proximité, dans le sens de la petite formation punk qui vieillit bien, celle qu’on aime retrouver en concert dans de petits endroits improbables tous les deux-trois ans. Celle qui, comme une amitié de lycée indéfectible, ne s’arrête jamais. Il nous reste désormais leurs disques, témoignage indispensable d’une légèreté débridée qu’on ne connaitra peut-être plus comme avant, et cette mixtape en deux faces façon cassette oldschool, où Françoise herself joue au MC en introduisant chaque morceau d’une anecdote forcément piquante. Auf wiedersehen, mademoiselle Cactus, ich liebe dich.