Le temps file : vingt-sept ans depuis la première rencontre, cinq ans depuis les dernières retrouvailles. A chaque fois, on redécouvre David Scott très exactement à l’endroit où on l’avait quitté. Parfois, il n’en faut pas davantage pour procurer cette forme de réconfort bienfaisante en constatant qu’il est possible de maintenir une continuité de l’existence qui résiste à l’entropie et au chaos. Comme son titre l’indique sans détour, Making Tapes For Girls est un album nostalgique entièrement consacré à la passion musicale et à son omniprésence vitale pour tous ceux qui la partagent, à vingt ans comme à soixante. Non pas parce qu’elle constituerait un refuge érudit hors du monde mais, au contraire, parce qu’elle ne cesse d’imprégner les rencontres, les émotions les plus intimes et les souvenirs les plus précieux. On peut presque tout raconter d’une vie en la condensant quelques disques et autant d’engouements marquants et durables. Continuer la lecture de « The Pearlfishers, Making Tapes For Girls (Marina) »
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Myriam Gendron, Mayday (Feeding Tube Records / Thrill Jockey)
Ce qui fut : I – Le Magicien
« Je ne sais pas moi, j’improvise », me souffle-t-on dans l’oreille et à propos de tout autre chose.
Pas de plan mais une carte, les éléments et les suites au grand jour mais sans explication. Seulement de la magie, deux albums inattendus et pas tant inouïs que : actifs. Not So Deep as a Well, avec les mots rendus de Dorothy Parker, Ma délire – Songs of Love, Lost and Found, avec les siens de mots, Myriam Gendron, et d’autres. Deux disques qui retournent les cœurs les plus usés, leur inoculent une joie et une espérance, transmutent par une musique qui semble toujours avoir été là, cachée sous les yeux. Un chemin débroussaillé, catalogue des possibles, que nous habitons. Leçons et savoirs ancestraux, ça fouille, remue ; si folk veut dire quelque chose, ça veut dire cela, enregistré en chambre ou en compagnie, acoustique ou électrique, une idée du monde et de sa transmission. La Grande Prêtresse toque doucement à la porte, lever de lune, l’obscurité transperce après-midi comme matin. Continuer la lecture de « Myriam Gendron, Mayday (Feeding Tube Records / Thrill Jockey) »
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Ryan Davis & The Roadhouse Band, Dancing On The Edge (Sophomore Lounge / Tough Love Records)
Trois accords et la vérité. La formule brevetée il y a plus d’un demi-siècle par Harlan Howard pour caractériser l’essence de la country est devenue, au fil des décennies, un poncif si éculé qu’elle en a perdu, le plus souvent, une bonne partie de sa pertinence. On a trop entendu de ces histoires de beuveries déglinguées et de désastres amoureux pour vibrer au premier son de banjo ou de mandoline. Et puis, de temps en temps, on entend une voix singulière qui parvient à déchirer les trames trop bien cousues de trop gros fils des conventions génériques. Celle de Ryan Davis a surgi, il y a quelques mois, de Louisville – oui, comme Will Oldham et Slint en leur temps. C’est ainsi que l’un des meilleurs albums de 2024 a lentement enjambé les quelques mois qui le séparait de 2023. Publié une première fois, à l’automne dernier, de façon locale et confidentielle sur le label de son auteur, Sophomore Lounge, Dancing On The Edge bénéficie cette semaine d’une seconde chance bien méritée à l’occasion d’une tournée britannique en première partie des concerts de The Reds, Pinks & Purples. Continuer la lecture de « Ryan Davis & The Roadhouse Band, Dancing On The Edge (Sophomore Lounge / Tough Love Records) »
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Antonio Emmanuel, Danse avec les shlags (Entre-soi)
« Trop de ressentiment,
ça détruit les sentiments »
Dans le département documentation de Section 26, on commence à avoir des dossiers. En 2019, j’écrivais à propos d’un homme-orchestre aperçu et apprécié au Diamant d’or de Strasbourg, et de sa démo en CDR glanée à la fin de son concert : « C’est l’état que je préfère de notre chanson française, directe, un peu frime, un peu déprimée : avec quelques mélodies inoubliables, assez pour nous faire espérer une suite, que ce soit pour de vrai en studio, en concert aussi, où la belle présence de ce jeune homme à moustache (et au mulet naissant) apaise. » Je ne sais pas s’il porte encore la moustache et le mulet, mais Antonio Emmanuel, connu sous le nom Danse avec les Shlags (qui est entre-temps devenu le titre de ce disque, capito ?), et ex clavier du Villejuif Underground revient, et de belle manière. Continuer la lecture de « Antonio Emmanuel, Danse avec les shlags (Entre-soi) »
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The Lemon Twigs, A Dream Is All We Know (Captured Tracks)
À peine un an après la sortie du fabuleux Everything Harmony, les Lemon Twigs sont déjà de retour avec A Dream Is All We Know ! Plus que jamais, cette signature chez Captured Tracks semble avoir regonflé à bloc les frangins D’Addario. Les voici donc à enquiller douze nouvelles chansons, les précédentes à peine publiées. Il faut battre le fer tant qu’il est chaud, dit la maxime. Les Américains se l’approprient pleinement, peut-être au risque de se répéter ? Faisons taire les esprits chagrins : A Dream Is All We Know est une réussite manifeste. En moins de 35 minutes, le groupe offre un tir groupé de grandes chansons. Continuer la lecture de « The Lemon Twigs, A Dream Is All We Know (Captured Tracks) »
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Les Mercuriales, Les choses m’échappent (Hellzapoppin)
Ce n’est pas un hasard si le disque des Mercuriales commence par un tonitruant « LA MORT ! » éructé d’outre-tombe par la voix de Jacques Lacan : morts, nous le sommes déjà vivants. Pas seulement parce que ce qui nous a faits a disparu : décors de l’enfance, arrière-grands-parents qui nous tenaient sur leurs genoux au bord d’une table en formica dans une odeur de Clan ou d’Amsterdamer, mais aussi parce que la mort était déjà depuis longtemps au travail dans la sensibilité même du temps, celle de « l’homme sans immédiateté » qui est à jamais la nôtre, post-adolescents maladifs et fétichistes, fébriles et désorientés, et qu’on retrouve encore dans la voix tremblante de Maurice Ronet qui succède à celle de Lacan en ouverture de ce disque des Mercuriales donc, Les choses m’échappent. Continuer la lecture de « Les Mercuriales, Les choses m’échappent (Hellzapoppin) »
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Shellac, To All Trains (Touch And Go)
On pourrait faire comme si rien ne s’était passé et écouter ce nouvel album de Shellac avec les oreilles éperdues du fan en souffrance depuis la parution de Dude Incredible en 2014. Mais la souffrance, l’autre, celle du deuil compliqué est bien là. Steve Albini nous a quittés très brusquement il y a quelques jours. Alors l’expérience sera forcément perturbante. Et c’est là que la puissance du surnaturel prend décidément un tour exceptionnel. NON, Steve Albini n’est PAS mort, il joue de la guitare à côté de vous avec Todd Trainer et Bob Weston. Et To All Trains déchire comme à l’entraînement, celui de ce fight club, nihiliste mais joyeux dont on a rarement rechigné à payer la carte d’adhésion. Continuer la lecture de « Shellac, To All Trains (Touch And Go) »
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Cindy Lee, Diamond Jubilee (Realistik Studios)
Il est des engouements inattendus qui donnent le sourire. De fait, la musique du canadien Patrick Flegel, connu auparavant comme chanteur et guitariste du groupe Women et qui, depuis plus d’une dizaine d’années, traîne son spleen bricolo/bruitiste théâtral sous le pseudo queer Cindy Lee, ne respirait jusqu’à présent pas l’accessibilité et l’enthousiasme de masse. Trop étranges, trop bruitistes, trop intimes, les chansons à fleur de peau du canadien étaient continuellement traversées d’impulsions sonores lo-fi couplées à des mélodies façon girls group 60’s parfois sublimes mais masquées derrière des rideaux de larsens et autres éclats noisy. What’s Tonight To Eternity, formidable album de 2020 avait déjà laissé apercevoir un avenir plus pacifié, sur la forme toutefois. Continuer la lecture de « Cindy Lee, Diamond Jubilee (Realistik Studios) »