Dans une dimension parallèle où la pureté esthétique règnerait sans partage, Stuart Murdoch et sa bande auraient cessé toute activité musicale il y a bien longtemps pour n’abandonner à la postérité qu’un legs rendu incontestable par sa densité et sa brièveté. Belle And Sebastian y ferait sans doute l’objet d’un culte plus fervent et, dans les rangs clairsemés des adeptes, on ne débattrait plus alors que de la juste position du curseur historique, variable selon la hauteur fluctuante des exigences. « Rien d’essentiel après If You’re Feeling Sinister, 1996 » péroreraient les plus intègres ; « Il y avait tout de même de belles choses jusqu’à Dear Catastrophe Waitress, 2003 » répondraient les réformistes indulgents. « Tout cela ne vaut ni les Beatles ni les Smiths ! » finiraient par conclure, inévitablement, la frange maussade et radicalisée. Continuer la lecture de « Belle And Sebastian, Late Developers (Matador/Beggars) »
Catégorie : chroniques
Catégories livres
« Lee Hazlewood, l’homme qui faisait chanter les femmes » par Christophe Deniau (Le Boulon)
Avec la parution en octobre 2022 aux éditions Le Boulon de la seule et unique biographie française du monumental Lee Hazlewood, Christophe Deniau a réparé une injustice aberrante. Comment un musicien, chanteur, compositeur, parolier, producteur, arrangeur, patron de label d’une telle envergure n’avait-t-il pas encore inspiré un livre destiné aux lecteurs français ? Ce n’est pas comme si Lee Hazlewood était un artiste obscur, seulement connu d’une poignée de dévots s’adonnant à un culte ésotérique dans des catacombes ! Lee Hazlewood fait au contraire partie des ces musiciens de génie qui ont eu la chance de connaître à la fois un succès populaire massif – grâce à de légendaires duos avec Nancy Sinatra -, accumulant les disques d’or et les royalties, mais qui ont également – de manière plus souterraine -, acquis un véritable statut de mythe auprès des mélomanes les plus pointus comme les frères Reid (Jesus and Mary Chain), Stuart Staples (Tindersticks), Richard Hawley, Steve Shelley (Sonic Youth), Nick Cave ou encore Jarvis Cocker (Pulp), qui ont maintes fois crié sur les toits leur admiration pour les disques solos du Texan. Continuer la lecture de « « Lee Hazlewood, l’homme qui faisait chanter les femmes » par Christophe Deniau (Le Boulon) »
Catégories chronique réédition, mardi oldie
Les Bowlers, Id. (Cameleon, Mono-Tone)
À la fin des années 90 – début des années 2000, à l’intersection des compilations underground et des sites de partage de musique, nous fûmes nombreux à découvrir notre patrimoine rock hexagonal des années soixante. Parmi les sélections marquantes de l’époque figuraient en bonne place O Toi, Beatnik et Psychegaelic – French Freakbeat. Cette dernière en particulier, propose, du moins sur le papier, d’écouter des morceaux freakbeat en français. Le terme a de quoi faire briller les yeux des amateurs biberonnés aux Nuggets et autres Back From The Grave, comme une promesse de découvrir les aspirants français mods et garageux les plus sauvages et indomptables. Est-elle tenue ? Nous laissons chacun d’entre vous juger de la réponse. Cependant, force est de constater que la France a engendré quelques (très) bons groupes beat/garage/mod dans les sixties malgré des conditions d’existence aussi précaires que chaotiques. Continuer la lecture de « Les Bowlers, Id. (Cameleon, Mono-Tone) »
Catégories Chronique en léger différé
The Sadies, Colder Streams (Yep Roc Records)
Colder Streams est à n’en pas douter le meilleur disque des Sadies. Ce n’est pas nous qui l’écrivons, c’est le communiqué de presse du groupe. Et on le sait tous, les groupes sont les meilleurs juges de leurs disques. Tout devrait sonner faux. Sauf que tout est vrai. À cela, on rajoutera que Colder Streams est peut-être le dernier disque du groupe car Dallas Good, membre fondateur des Sadies avec son frère Travis, est mort de manière soudaine en février 2022. La même semaine, le rock perdait Mark Lanegan et donc Dallas Good. Continuer la lecture de « The Sadies, Colder Streams (Yep Roc Records) »
Catégories Chronique en léger différé
Young Gun Silver Fox, Ticket To Shangri-La / Mamas Gun, Cure The Jones (Légère Recordings)
En cette fin d’année, nous sommes ravis de retrouver Young Gun Silver Fox, le duo formé par le multi-instrumentiste étasunien Shawn Lee et le chanteur britannique Andy Platts. Nous les avions quittés, en très bon terme, en 2020 avec Canyons, ils ont publié, en octobre dernier, Ticket To Shangri-Las , leur quatrième album depuis 2015, toujours chez Légère Recordings. Ces derniers ont aussi accueilli, un peu plus tôt, toujours en 2022, Cure The Jones, septième album des Mamas Gun, un groupe dans lequel officie également Andy Platts. Un label, un chanteur, les deux albums partagent, en outre, un amour pour la musique organique soulful. Continuer la lecture de « Young Gun Silver Fox, Ticket To Shangri-La / Mamas Gun, Cure The Jones (Légère Recordings) »
Catégories livres
Simon Reynolds, Hardcore (Éditions Audimat)
L’underground dance électronique UK a toujours été marqué par un certain nombre de caractéristiques saillantes : science du breakbeat, usage des basses et infrabasses, importance du MC, influences dub et dancehall, pratique du rewind, etc. Le tout croisé avec le canon techno/house en provenance des USA, conférant à cette une scène une véritable insularité générique : des premiers productions bleeps aux formes les plus contemporaines de bass music, en passant bien évidemment par le hardcore UK, la jungle, le UK Garage, le grime ou le dubstep, une certaine logique de continuité peut en effet être repérée, par-delà les mutations inhérentes à la succession de ces différents courants ou sous-courants. C’est tout l’objet d’une série d’articles[1] rédigés en quasi- temps réel par Simon Reynolds pour Wire tout au long des années 1990, avec une conclusion en 2005 à propos des scènes grime et dubstep. L’occasion pour lui d’y forger une hypothèse théorique forte, celle d’un continuum hardcore qui lui permet précisément de saisir l’unité esthétique, matérielle, sociologique et géographique de tout un pan de la rave et post-rave UK. « (…) une généalogie musicale apparue à la fin des années 1980 qui, dans les années 1990 et 2000, a subi de rapides mutations et donné lieu à une
succession de genres de dance music (…) c’est aussi une subculture, une sorte de macroscène qui tire sa cohésion d’une infrastructure durable composée de radios pirates, de clubs, de promoteurs de raves et de disquaires spécialisés, mais aussi de rituels et de procédures (…) pour la plupart hérités de la culture des sound systems jamaïcains (…). » Continuer la lecture de « Simon Reynolds, Hardcore (Éditions Audimat) »
Catégories livres
« Tenement Kid » de Bobby Gillespie (White Rabbit)
La légende veut que dans un bar new-yorkais, au milieu des années 90, Martin Duffy était tellement fait qu’il n’avait même pas remarqué s’être pris un coup de surin. A l’heure triste où nous pleurons ce génie, cette anecdote à la fois sordide et du plus haut comique ne figure malheureusement pas au sommaire de l’autobiographie de Bobby Gillespie, puisqu’il a choisi de clore ce premier livre (on attendra sagement le second) le jour de la sortie de Screamadelica, le 23 Septembre 1991, le même jour que Nevermind de Nirvana. « Et pour pas mal de gens, les nineties ont commencé ce jour-là… ». Ce sont donc ses années de formation, d’enfance, d’adolescence qu’il livre avec son brio habituel. Au-delà des figures tutélaires qu’ont pu être
Malcolm McLaren ou Tony Wilson pour une génération forgée par le punk et sa suite, Gillespie a surtout hérité de l’esprit combatif de ses parents et notamment de son père, figure syndicale importante du monde de l’imprimerie britannique.
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Catégories livres
« Per Suede – Touring With Suede 1996-1997 » de Anthony Reynolds (auto-édité)
Pour en avoir vécu une infime portion dans les conditions du direct, on sait depuis bien longtemps que les souvenirs d’Anthony Reynolds constituent, pour peu qu’ils ne se soient pas totalement estompés dans les brumes des gueules de bois récurrentes, la matière première idéale pour des mémoires écrites, aussi hautes en couleur qu’en style. Plutôt que d’opter pour une somme englobante et indigeste – et, quand bien même aurait-il prétendu à l’exhaustivité de la reconstitution historique que, compte-tenu de la pente de sa dalle de l’époque, on ne l’aurait pas cru – l’ex-leader de Jack a ainsi l’intelligence et le bon goût de privilégier les réminiscences pointillistes et la juxtaposition des fragments. C’est plus précis et bien plus pertinent. Dernier volet d’un triptyque entamé l’an dernier avec The Promosexuals, 2021 – consacré aux activités promotionnelles consécutives à la sortie de son l’inusable Pioneer Soundtracks, 1996 – et The Momosexual, 2021 – sur l’enregistrement du premier album de Jacques, How To Make Love (Volume 1), 1997 et les rencontres avec Momus et Neil Hannon, Per Suede ajuste la focale mémorielle sur les quelques mois – fin 1996, début 1997 – pendant lesquels Jack répond favorablement à l’invitation lancée par les membres de Suede pour se produire en première partie de la tournée attenante à la sortie de Coming Up,
1996. Mat Osman s’est même fendu d’une préface tendrement confraternelle et, en un peu moins d’une centaine de pages illustrées, c’est une ère révolue qui ressuscite. En effet, on y trouve davantage qu’une collection d’anecdotes spinaltapiennes sur les coulisses de la pop britannique. Lucide, impitoyable mais jamais amer, Reynolds reconstitue au fil des péripéties sa propre version vécue de la théorie inepte du ruissellement à l’échelle de l’industrie musicale en pleine effervescence Britpop. Continuer la lecture de « « Per Suede – Touring With Suede 1996-1997 » de Anthony Reynolds (auto-édité) »