Chaque jour, réduire davantage le débit. Filtrer les images comme les prises de paroles sur les plateaux. Tenir les petits à distance de la brutalité des faits. Resserrer l’emprise sur les canaux des chaines d’infos en continu, pour que ça ne coule plus qu’au compte-gouttes. Et compter les morts – puisque même en établissant un sas de sécurité autour de la télé, on ne peut pas décemment tourner le dos aux chiffres, s’abstraire totalement des titres et des manchettes. Certains soirs, certains matins, l’entrain déraille, le moral s’en trouve tout chiffonné, et le bleu du ciel, cet indéfectible soutien quotidien, nous renvoie à des batailles qu’on peine alors à mener.
Parfois l’antidote surgit inopinément des boites. Celle-là, on lui a d’abord fait la moue. Elle nous a fait conjuguer de vilains verbes, dubiter, opiner du chef. Et puis who cares anyway, une ruade d’optimisme teenage et faussement béat ne se refuse pas, pas en ce moment. Continuer la lecture de « #15 : Les Ablettes, Tu verras (Réflexes, 1983) »
Auteur : Bertrand Loutte
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#14 : Les Zarjaz, One Charmyng Nyte (Creation, 1985)
Ce matin j’avais prévu de rassembler dès potron minet John Milton, Dante Alighieri, Robert Smith et Jean-Paul Sartre, puis de convoquer Jay Mascis pour qu’il nous napalme tout ça à grand renfort de Fender Jazzmaster. Finalement il n’en sera rien, et la faute en incombe à Xavier Mazure. Ce matin (pour ceux que les arrière-cuisines intéressent, j’essaie d’avoir un jour d’avance sur la mise en ligne et d’écrire de 6 à 8 heures. Ensuite les gamins déboulent et entament plein pot leur entreprise de déforestation de ma quiétude. Je me vois obligé de hausser le ton et bâcler la fin. Voilà, vous savez tout), ce mardi matin 31 mars à 5.55 donc, je prends connaissance du I Like To Stay Home #12 publié la veille. Le volume 1 de En Attendant La Reprise était déjà remarquable, que dire alors du 2, plus aventureux encore ?
Il est parsemé de balises solides (Big Black ou Saint Etienne), de curiosités tendrement perverses (Momus troussant Mylène Farmer), de all-time favourites (Yo La Tengo bottant le cul de Sun Ra ou – c’était une autre option, non retenue – polluant les rêves nocturnes de Stevie Nicks) et surtout de moult choses dont je ne soupçonnais même pas l’existence (Donovan dans la backroom de Patrick Cowley, j’ai hâte). Plus, coïncidence, les Zarjaz que j’avais envisagé de ressortir des cartons d’ici quelques jours ou semaines. Du coup, bouleversement hasardeux des priorités et pass coupe-file délivré à Ziro Baby, propulsé direct sur le haut de la pile – lui qui a le plus souvent navigué dans les basses eaux de l’indifférence. Continuer la lecture de « #14 : Les Zarjaz, One Charmyng Nyte (Creation, 1985) »
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#13 : Swanic Youth, Sonic Yoot / Swan Jovi (The Only Label In The World, 1987)
J’ai dû avoir la main lourde sur les paupiettes. Ou alors est-ce le boulghour du midi, son caractère inédit sur mon estomac. Je n’aurai l’impudence d’imputer cela au Gevrey-Chambertin, plus que correct. Encore moins à la fièvre qui, ouf, ne s’est toujours pas présentée. Toujours est-il que la nuit fut lardée de cauchemars rissolants, eux-mêmes peuplés de lapin chasseur et autre Daffy confît. Au canard déchainé succéda une créature bicéphale, sorte de Janus jaunâtre (les rêves ont ceci de bien qu’ils autorisent les pires allitérations) qui prenait alternativement les traits de Thurston Moore et de Michael Gira. Un duo good cop / bad cop à lui tout seul, l’un dégoulinant de coolitude, l’autre terrifiant sous son chapeau de cow-boy à larges bords. Continuer la lecture de « #13 : Swanic Youth, Sonic Yoot / Swan Jovi (The Only Label In The World, 1987) »
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#12 : Les Charlots, Paulette la reine des paupiettes (Vogue, 1967)
Dès les premières heures du confinement, Stéphane avait vu juste. Avec cette grandiloquence un brin bonhomme qui séduirait les pierres, il nous avait gratifié d’une de ses prédictions qui généralement s’avèrent exactes (il n’y a que sur le retour d’affection et les scores du PSG qu’il se plante allègrement). Ce confinement allait provoquer sur notre ligne déjà fortement écornée des dégâts autrement plus importants que ceux imputables à une double couvade. D’autant que pour corroborer ses dires, il s’était empressé de nous délivrer par Skype la recette de son Confiné de canard aux cèpes et pommes de terre. Et chacun de surenchérir, à coups de welsh rarebit par-ci (une spécialité de Jean-François Pauvros), de carbonnade flamande par-là, ou de reblochette aux lardons exagérément roborative partout ailleurs. La semaine n’était pas encore achevée que déjà on gisait sur le côté. Je n’osais m’aventurer trop près d’une balance, sentant bien que la malédiction du quintal avançait à grands pas (quand comme moi on plafonne à 1,73m, ça n’est pas du meilleur effet) et à la maison (where else ?!) la tension était montée d’un cran de ceinture. D’où, en forme de baroud d’honneur, cette Paulette, reine des paupiettes, dernière station en sauce avant la lente déliquescence que me réserve la diète méditerranéenne. Continuer la lecture de « #12 : Les Charlots, Paulette la reine des paupiettes (Vogue, 1967) »
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#11 : The Flying Lizards, Money (Virgin, 1979)
« The best things in life are free / But you can give them to the birds and bees ». Même quand il ne circule plus, il continue de faire tourner les têtes et le monde. Le flouze, le grisbi, la maille, le bif. Les bourses chutent, la récession pointe, le virus décime, mais prenons garde à ce qu’il n’ait pas la peau de l’économie. La BCE peut bien injecter 750 milliards d’argent frais pour que le manège continue de tourner, à mon micro niveau l’équation est simple, la loi du marché devient un jeu d’enfant. Confiné, je ne gagne plus grand chose, mais confiné je dépense guère davantage (et je pourrai facilement atteindre l’équilibre si je levais le pied sur le Bourgogne). Au bout du compte, je trouve ça plutôt ça sain. J’envisage même de me remettre au troc. Je connais près de Nemours un type (un soit-disant proche de « Pristine » Christine Lagarde) qui n’a pas d’oursins dans les poches et qui est prêt à me céder deux caisses d’Aloxe-Corton 2015 en échange de ma copie near mint du premier single Sarah des Sea Urchins (et je n’ose pas vous avouer ce qu’il consentirait lâcher pour le Strike Up Matches d’Episode Four). Evidemment, tout ça n’engage que moi et je vous autorise à me chercher des poux ou m’agonir (soyez originaux sur les noms d’oiseaux, je vous rappelle que j’ai un gamin qui veut devenir ornithologue), à condition de laisser ce cher Henri Calet en dehors de tout ça. Continuer la lecture de « #11 : The Flying Lizards, Money (Virgin, 1979) »
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#10 : Missing Scientists, Big City Bright Lights (Rough Trade, 1980)
A force depuis plus de dix jours de vivre ainsi les uns sur les autres du matin au soir (mais Dieu ou Marx merci, pas du soir au matin !), il fallait bien que les questions qui fâchent ressurgissent, malgré nos perspectives d’avenir émoussées.
« Anton, tu sais ce que tu veux faire plus tard ? – Je sais pas moi, genre ornithologue. – Tu veux dire le truc avec les oiseaux ? T’es sûr ? – Ou alors océanographe. Sinon, paléontologue c’est bien aussi, l’étude des fossiles et tout. – Tu ne veux pas plutôt faire prof de lettres ? Ou bibliothécaire, comme tonton Jeanphi et la Karen des Go-Betweens ? Bibliothécaire, mon grand, peut-être le plus beau des métiers du monde. – Non, ça c’est tout cramé. Une chose qui est certaine c’est que ça sera un métier scientifique, on voit bien qu’on en manque en ce moment, avec le virus et tout ». La conversation tenta de se prolonger en claudiquant, avant de s’embourber dans un fatras inextricable convoquant chloroquine, masques FFP2, vaccins et chercheurs manquants – ou en manque, je ne sais plus. Faute de crédibilité et de bagage (quel ascendant peut-on prendre sur un enfant de 14 ans quand on se targue d’avoir obtenu un Bac littéraire et quasi rien derrière ?), je n’eus bientôt plus voix au chapitre. Avant que tout – le désir, le vin, le temps, la mauvaise foi – ne vienne à manquer, je rapatriais l’unique 45 tours des Missing Scientists, considérant qu’il pouvait faire office d’honnête appendice au post de la veille. Continuer la lecture de « #10 : Missing Scientists, Big City Bright Lights (Rough Trade, 1980) »
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#9 : Teenage Filmstars, I Helped Patrick McGoohan Escape (Fab Listening, 1980)
Alors que je tendais mon Ausweis dûment coché à la case « courses » à Rémi, l’unique policier municipal de la commune, qui officiait à la sortie du village, je ne pus me retenir de lâcher un discret « Je ne suis pas un numéro. Je suis un homme libre ! ». Pas de réaction, pas l’esquisse d’un sourire, je crus même qu’il allait m’en coller une, de prune à 135 euros. Comme il n’y avait à la ronde pas non plus l’ombre d’un chat et encore moins celle d’un contrevenant, je tentais d’établir un semblant de dialogue, demandant à Rémi s’il voyait passer beaucoup de véhicules – Trop. -, s’il regardait Netflix – A fond ! -, s’il connaissait Le Prisonnier – Non, trop pas, c’est quoi ?. La conversation en restera là, n’oublions pas que j’avais un caddie à remplir. Continuer la lecture de « #9 : Teenage Filmstars, I Helped Patrick McGoohan Escape (Fab Listening, 1980) »
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#8 : Monopoly Queen, Monopoly Queen / Let’s Keep It Friendly (Sub Pop, 1994)
J’ai toujours haï les jeux de société, qui me le rendent bien. Mais j’aurai tout donné au UNO.
Dans le ventre mou des années 90, on s’enfermait à cinq, parfois à six, chaque dimanche dans l’appartement d’Uwe, au 6ème étage d’une tour de la ZUP de Dammarie-Les-Lys (77), et on jouait, de 15 heures jusqu’à tard. Je vivais à Paris alors, mais jamais je n’ai manqué une réunion. Je faisais l’aller-retour dans la journée, au volant de la Mitsubishi prune.
Accompagnés d’une bouteille de Berger blanc ou de verres de Cointreau juste cassés d’un glaçon, on jouait, et on jouait encore, pas encore confinés mais bien calfeutrés, de notre plein gré. Les règles avaient été quelque peu malmenées, et au fil des semaines une novlangue avait vu le jour. Un sabir incompréhensible aux oreilles des non initiés qui, quoi qu’il en soit, n’étaient pas invités. Continuer la lecture de « #8 : Monopoly Queen, Monopoly Queen / Let’s Keep It Friendly (Sub Pop, 1994) »