Patti Smith, La Poésie du Punk

Patti Smith
Patti Smith

C’est comme ça. Il y en a qui n’aiment pas Casillas, il y en a qui n’aiment pas Coppola, il y en a qui n’aiment pas Joy Division (et encore moins New Order), il y en a qui n’aiment pas Godard, il y en a qui n’aiment pas Camus, il y en a qui n’aiment pas Leiter, il y en a qui n’aiment pas Madame Bovary, il y en a qui n’aiment pas Huguenin… Moi, je n’aime pas Patti Smith. Ou plutôt, je n’aime pas ses disques, ses chansons. Ou plutôt, je n’aime pas la grande majorité de ses chansons – parce que comme souvent, il y a une exception, et cette exception est ici son plus grand hit – “le seul”, peut-on entendre au début du documentaire et je dirais que ce n’est pas tout à fait exact, en France en tout cas, tant je me souviens des passages en boucle de People Have The Power vers 1988 et exemple quand même assez parfait que le fond, aussi intéressant et pertinent soit-il, a (presque) toujours besoin de la forme. Son plus grand hit, donc ? Une histoire d’amour sur fond de piano entêtant, à la musique composée par Bruce Springsteen, qui en a aussi coécrit le refrain. Because The Night est une belle chanson, une chanson qui fédère, une chanson qui colle des frissons. Et pour moi, ça s’arrête un peu là.

Oui, mais. Au-delà des chansons, au-delà des disques, il y a l’histoire. L’histoire dans l’Histoire. Une histoire intimement liée à l’émergence de ce qui fut pendant quelques années – entre le mitan des années 1970 et le début des années 1980 – l’une des plus importantes révolutions musicales – allons plus loin, culturelle – du XXe siècle. Il y a au mitan des années 1970 l’émergence d’un mouvement – ou une agrégation de désirs partagés par plusieurs (plus ou moins) jeunes gens à cet instant T – où tout se mélange, poussé par un vent de liberté fiévreuse, une passion dévorante pour le rock and roll – celui du Velvet en premier lieu, celui de The Stooges aussi, celui des Stones et donc, des New York Dolls –, la lecture et l’écriture – allez savoir pourquoi, les Français Rimbaud et Verlaine en tête, et de façon plus prévisible, les écrivains beat en général –, l’art pictural et cinématographique – le pop art et les polaroids en particulier, avec la Factory comme lieu de rendez-vous fantasmé et les superstars warholiennes comme meilleurs copains et meilleures copines – et le sexe libre aussi. C’est ce que raconte très bien entre autres ce documentaire réalisé en 2021 par Sophie Peyrard et Anne Cutaia, porté par une foultitude d’images d’archives assez dingues (scènes de concert, scènes de théâtre, interviews télé, scènes de vie aussi…), par quelques animations dessinées et par une narration assez juste – qui ne tombe jamais (ou très rarement) dans le panégyrique.

Alors, tout commence en 1967 – ou presque – quand celle que l’état civil connait sous le nom de Patricia Lee Smith débarque à New York – après avoir confié son bébé à l’assistance publique –, “endroit de confusion et de crasse, dont elle va faire son paradis”. Un endroit où elle ne sait où dormir (si ce n’est dans la rue), où elle rencontre  Robert Mapplethorpe, un jeune photographe beau comme un Dieu grec dont elle devient l’aimée puis l’amie pour la vie – quand ce dernier épouse définitivement son homosexualité –, où elle fricote avec la cour warholienne, passant des soirées au Max Kansas’ City – endroit passé au panthéon du rock’n’roll pour avoir accueilli les derniers concerts du Velvet Underground avec Lou Reed (mais déjà sans John Cale et sans Moe Tucker) – et finissant par trouver refuge dans “la plus petite chambre du Chelsea Hotel, endroit bohème et culte où échouent poètes, écrivains, artistes en devenir et junkies sans avenir. Elle fait de ces lieux, de cette ville, le creuset qui va lui permettre d’assouvir toutes ses lubies. Dans le désordre, elle écrit des poèmes – qu’elle finit par publier –, dessine, photographie, devient comédienne, croise et tombe amoureuse du dramaturge Sam Shepard (qui s’évanouira dans la nature), rencontre le guitariste Lenny Kaye, compose ses premières chansons, détourne le Gloria de Them et s’approprie le My Generation de The Who. Féministe influencée essentiellement par des hommes (Keith Richards dont elle pique la coupe de cheveux époque Exile On Main Street, Rimbaud, Bob Dylan), elle devient l’égérie de ce mouvement dont le QG est un bouge (le CBGB, qui a ouvert ses portes en 1973) et dont les autres acteurs se nomment Television (mené par Tom… Verlaine), Richard Hell, Blondie, Ramones ou Talking Heads. Elle se métamorphose aussi en icône, en particulier par la grâce de la pochette du premier album du Patti Smith Group, où sa pose et son look androgyne sont superbement immortalisés par Mapplethorpe. Alors, on suit les travers du cirque rock’n’roll, le succès parfois trop facile, le retour de bâton du légendaire “difficile deuxième album” (Radio Ethiopia, 1976), du retour en grâce inattendu – par l’entremise du  fameux Because The Night et de l’album Easter (1978) —, qui consacre Patti Smith en star sur le Nouveau comme sur le Vieux Continent – une condition qu’elle n’est sans doute pas prête à assumer. “Comment rester fidèle à soi-même quand on devient un objet d’adoration ?” pose alors comme question définitive la voix off qui accompagne des images de concerts devant des fans hystériques – c’est une question dont on devrait faire un livre d’ailleurs, en la posant à nombre de musiciennes et musiciens ayant de près ou de loin connu le succès… Patti Smith, elle, choisit le seppuku, dissout le Group et disparaît pour se consacrer à son compagnon Fred “Sonic” Smith – ancien guitariste des légendaires MC5 – et une vie de famille normale, loin des feux des projecteurs… Avant que les choses de la vie ne la ramènent sur le devant des scènes.

Il est fort possible que ce documentaire n’apprenne rien à celles et ceux qui connaissent déjà sur le bout des doigts le parcours de cette femme pas tout à fait comme les autres, celles et ceux qui ont vu à Paris l’exposition Land 250 en 2008, lu Just Kids, acquis le récemment publié Un Livre De Jours. Mais à tous les autres – et même à ces autres qui n’ont pas forcément une fibre de mélomane alternative –, à tous ces autres qui ne sont pas tout à fait d’accord avec Marcel Proust (si tant est que j’ai bien compris sa phrase – “Il vaut mieux rêver sa vie que la vivre, encore que la vivre ce soit encore la rêver”), à celles et ceux-là qui croient qu’il est possible donc de vivre ses rêves, La Poésie du Punk est plus qu’un documentaire, il peut être une épiphanie, le passeport vers un autre monde. Et plus modestement, il est aussi une œuvre qui (me) donne envie de (ré)écouter les disques de Patti Smith. Ce qui n’est pas le moindre des exploits.


Patti Smith – La Poésie du Punk par Sophie Peyrard et Anne Cutaia, disponible sur arte.fr jusqu’au 8 mars 2024, ou dans le player ci-dessous.

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