The Strokes, Is This It (Rough Trade, 2001)

Il y a 20 ans jour pour jour sortait le premier album des new-yorkais.

Eté 2001, retour du classico Benicassim/Route du Rock pour rédiger un mémoire de DEA (MTV : Reflet ou création d’une jeunesse américaine ?) sur mon Imac turquoise, un an de travail délaissé pour la table du Pop In ou le dancefloor du Pulp à effectuer en trois semaines. Les affiches des deux festivals reflètent parfaitement l’époque, un mélange de passé et de présent, rarement de futur. Il y a des groupes « britpop » qui essaient coûte que coûte de se débarrasser de cette étiquette gênante, venus présenter sans enthousiasme « l’album de la maturité » (Pulp, The Divine Comedy), des routiers (Mogwai, Ash, James, Belle & Sebastian), des américains cultes (Big Star, Frank Black, Low, The Flaming Lips), des artistes « dépressifs » (Clinic, I Am Kloot pour les britanniques, Yann Tiersen et Françoiz Breut pour les bretons) et de sympathiques groupes électro-pop que les vingt dernières années auront presque effacé de la mémoire collective (Superheroes, Ladytron, Zoot Woman). L’excitation est plus à chercher du côté de la scène « électronique » (Basement Jaxx, The Avalanches, Freestylers) ou pour les amateurs du genre, des groupes rétro-pop espagnols qui ont le mérite de ne pas se prendre au sérieux et de s’habiller correctement. Les seuls non-ibères à cocher ces deux dernières cases sont les New-Yorkais d’Interpol, ravis d’être là alors qu’ils n’ont pas encore sorti d’album.

Cela fait belle lurette que le NME ne présente plus aucun intérêt en dehors des mots croisés, et à force de mettre Embrace ou Slipknot en couverture, l’excitation de ses journalistes sur The Strokes, un groupe new-yorkais présenté comme « les sauveurs du rock » dans des articles de plus en plus dithyrambiques ne peut que susciter la méfiance, voire le mépris pour ces jeunes blancs-becs pistonnés et trop cools pour être vrais. C’est donc avec un esprit de vieux con, coincé dans le corps d’une jeune femme de 22 ans, que je finis pas écouter la compilation The Soundtrack to the Summer, offerte avec l’hebdomadaire, qui traîne sur mon bureau depuis juin et dont la tracklist propulse dans ce dernier été pré-11 septembre, quand Beyoncé était encore une Destiny’s Child, qu’il fallait encore faxer ses demandes d’accréditation à cette époque pré-MySpace. Le titre, The Modern Age, ne m’emballe pas plus que ça, et à de nombreux égards sonne effectivement comme le Velvet, de manière trop appuyée pour être honnête. Je me range donc temporairement du côté de ceux qui, (encore aujourd’hui) s’arrêtent aux apparences et à l’implacable carcan du bon goût, toujours en recherche d’authenticité et de profondeur. Heureusement que j’ai des amis moins blasés et plus âgés, car c’est l’un d’eux qui me fait écouter Hard To Explain. Ma volonté de ne pas m’enflammer vacille, avant l’embrasement complet pour Last Nite et surtout Someday, qui encore aujourd’hui me donne invariablement envie de fumer une cigarette et de danser une pinte à la main, en souvenir du dernier groupe contemporain dont j’aurais été vraiment fan.

Ce qui fait de Is This It un classique, c’est qu’il aborde avec justesse le mélange d’euphorie et d’incertitude qu’est le début de la vingtaine, car finalement les morceaux qui sont aujourd’hui « intacts » sont Is This It, Alone Together et surtout Trying Your Luck. La chance d’être bien nés, mais dans des familles dysfonctionnelles, de sortir un premier album sur Rough Trade, mais d’y coller un morceau qui se fout des flics new-yorkais trois semaines après le 11 septembre (pour la sortie US), de vivre dans le tourbillon créatif de New-York à la fin des années 90*, mais d’en réaliser la vulnérabilité de la manière la plus traumatisante qui soit. Ce mélange de doute et d’arrogance, caractéristique du chant de Julian, mais également présent dans le face à face des guitares d’Albert confrontés aux solos parfois grandiloquents de Nick Valensi, cristallise non pas tant une époque, celle d’un monde pré-2001, qu’un âge qui contient sa propre sa nostalgie car bientôt il faudra devenir adulte, parler et agir en conséquence.

The Strokes
The Strokes

Depuis 20 ans, les Strokes sortent des disques, ensemble ou en solo, multiplient les projets artistiques avec plus ou moins de succès, jusqu’à The New Abnormal, l’année dernière, qui aura d’abord été étrillé par la critique avant d’être un succès commercial et de rapporter au groupe son premier Grammy. Les plus chanceux les auront vu sur scène une dernière fois, avant que le monde soit de nouveau bouleversé, cette fois par une mise sous cloche qui n’en finit pas. Julian continue d’évoquer les affres de son âge, le mien, du temps qui passe. The Adults Are Talking, certes, mais j’espère qu’il continuera longtemps. This Isn’t It.

*L’été n’étant pas terminé, il est encore possible de lire sur la plage Meet Me In the Bathroom de Lizzie Goodman, compilation de témoignages qui retrace l’histoire de la scène new-yorkaise entre 2001 et 2011, en accordant notamment une place de choix au label DFA, façon Please Kill Me en moins bien. Malgré les récits de certains proches, les membres des Strokes ont publiquement chambré ce pavé extrêmement amusant à lire à défaut d’être exact. 


Is This It des Strokes est sorti le 27 août 2001 sur Rough Trade en Europe, BMG dans le monde.

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