J’ai dû avoir la main lourde sur les paupiettes. Ou alors est-ce le boulghour du midi, son caractère inédit sur mon estomac. Je n’aurai l’impudence d’imputer cela au Gevrey-Chambertin, plus que correct. Encore moins à la fièvre qui, ouf, ne s’est toujours pas présentée. Toujours est-il que la nuit fut lardée de cauchemars rissolants, eux-mêmes peuplés de lapin chasseur et autre Daffy confît. Au canard déchainé succéda une créature bicéphale, sorte de Janus jaunâtre (les rêves ont ceci de bien qu’ils autorisent les pires allitérations) qui prenait alternativement les traits de Thurston Moore et de Michael Gira. Un duo good cop / bad cop à lui tout seul, l’un dégoulinant de coolitude, l’autre terrifiant sous son chapeau de cow-boy à larges bords. Continuer la lecture de « #13 : Swanic Youth, Sonic Yoot / Swan Jovi (The Only Label In The World, 1987) »
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#12 : Les Charlots, Paulette la reine des paupiettes (Vogue, 1967)
Dès les premières heures du confinement, Stéphane avait vu juste. Avec cette grandiloquence un brin bonhomme qui séduirait les pierres, il nous avait gratifié d’une de ses prédictions qui généralement s’avèrent exactes (il n’y a que sur le retour d’affection et les scores du PSG qu’il se plante allègrement). Ce confinement allait provoquer sur notre ligne déjà fortement écornée des dégâts autrement plus importants que ceux imputables à une double couvade. D’autant que pour corroborer ses dires, il s’était empressé de nous délivrer par Skype la recette de son Confiné de canard aux cèpes et pommes de terre. Et chacun de surenchérir, à coups de welsh rarebit par-ci (une spécialité de Jean-François Pauvros), de carbonnade flamande par-là, ou de reblochette aux lardons exagérément roborative partout ailleurs. La semaine n’était pas encore achevée que déjà on gisait sur le côté. Je n’osais m’aventurer trop près d’une balance, sentant bien que la malédiction du quintal avançait à grands pas (quand comme moi on plafonne à 1,73m, ça n’est pas du meilleur effet) et à la maison (where else ?!) la tension était montée d’un cran de ceinture. D’où, en forme de baroud d’honneur, cette Paulette, reine des paupiettes, dernière station en sauce avant la lente déliquescence que me réserve la diète méditerranéenne. Continuer la lecture de « #12 : Les Charlots, Paulette la reine des paupiettes (Vogue, 1967) »
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#10 : Missing Scientists, Big City Bright Lights (Rough Trade, 1980)
A force depuis plus de dix jours de vivre ainsi les uns sur les autres du matin au soir (mais Dieu ou Marx merci, pas du soir au matin !), il fallait bien que les questions qui fâchent ressurgissent, malgré nos perspectives d’avenir émoussées.
« Anton, tu sais ce que tu veux faire plus tard ? – Je sais pas moi, genre ornithologue. – Tu veux dire le truc avec les oiseaux ? T’es sûr ? – Ou alors océanographe. Sinon, paléontologue c’est bien aussi, l’étude des fossiles et tout. – Tu ne veux pas plutôt faire prof de lettres ? Ou bibliothécaire, comme tonton Jeanphi et la Karen des Go-Betweens ? Bibliothécaire, mon grand, peut-être le plus beau des métiers du monde. – Non, ça c’est tout cramé. Une chose qui est certaine c’est que ça sera un métier scientifique, on voit bien qu’on en manque en ce moment, avec le virus et tout ». La conversation tenta de se prolonger en claudiquant, avant de s’embourber dans un fatras inextricable convoquant chloroquine, masques FFP2, vaccins et chercheurs manquants – ou en manque, je ne sais plus. Faute de crédibilité et de bagage (quel ascendant peut-on prendre sur un enfant de 14 ans quand on se targue d’avoir obtenu un Bac littéraire et quasi rien derrière ?), je n’eus bientôt plus voix au chapitre. Avant que tout – le désir, le vin, le temps, la mauvaise foi – ne vienne à manquer, je rapatriais l’unique 45 tours des Missing Scientists, considérant qu’il pouvait faire office d’honnête appendice au post de la veille. Continuer la lecture de « #10 : Missing Scientists, Big City Bright Lights (Rough Trade, 1980) »
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#8 : Monopoly Queen, Monopoly Queen / Let’s Keep It Friendly (Sub Pop, 1994)
J’ai toujours haï les jeux de société, qui me le rendent bien. Mais j’aurai tout donné au UNO.
Dans le ventre mou des années 90, on s’enfermait à cinq, parfois à six, chaque dimanche dans l’appartement d’Uwe, au 6ème étage d’une tour de la ZUP de Dammarie-Les-Lys (77), et on jouait, de 15 heures jusqu’à tard. Je vivais à Paris alors, mais jamais je n’ai manqué une réunion. Je faisais l’aller-retour dans la journée, au volant de la Mitsubishi prune.
Accompagnés d’une bouteille de Berger blanc ou de verres de Cointreau juste cassés d’un glaçon, on jouait, et on jouait encore, pas encore confinés mais bien calfeutrés, de notre plein gré. Les règles avaient été quelque peu malmenées, et au fil des semaines une novlangue avait vu le jour. Un sabir incompréhensible aux oreilles des non initiés qui, quoi qu’il en soit, n’étaient pas invités. Continuer la lecture de « #8 : Monopoly Queen, Monopoly Queen / Let’s Keep It Friendly (Sub Pop, 1994) »
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#5 : Tindersticks, We Have All The Time in The World (Clawfist, 1993)
Si j’ai pris pour habitude de me lever tôt et dormir peu (et mal), j’ai toujours eu cette propension hautement revendiquée à la glande et à la procrastination. Vite lever le pied, remettre au surlendemain, rechigner devant l’effort et refuser l’obstacle sont des compétences qui n’ont plus de secret pour moi. Après avoir longtemps sinué en dilettante entre droit à la paresse (Paul Lafargue) et éloge de l’oisiveté (Bertrand Russell), j’avais à la fin du siècle dernier pensé trouver dans l’oblomovisme une voie à emprunter. A l’origine de ce néologisme, Oblomov, un roman de l’écrivain russe Ivan Gontcharov, publié en 1859, et adapté au cinéma (c’est par ce biais que j’en ai d’abord eu connaissance) par Nikita Mikhalkov en 1980, du temps où le cinéaste et son œuvre n’étaient pas encore devenus totalement infréquentables. L’oblomovisme, quand les écoles ont fermé et que le repli s’est opéré, a fait retour, grattant insidieusement à la porte du foyer. On s’imaginait aisément, débarrassé de toute obligation, de tout horaire, se lover dans la contemplation et l’abstinence de décision, avachi dans le canapé. C’était là un art de vivre des plus tentants, à cela près qu’il se pratique seul (et pas avec deux gamins dans les pattes), qu’il baigne dans une profonde mélancolie (ce n’est pas vraiment le moment opportun) et qu’il demande beaucoup, beaucoup trop d’attention pour être mené à bien. Et puis traîner toute la journée en savates et robe de chambre, très peu pour moi. Quitte à ne rien faire, autant le faire bien. Et avec un minimum d’élégance. Continuer la lecture de « #5 : Tindersticks, We Have All The Time in The World (Clawfist, 1993) »
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#4 : Gang of Four, At Home He’s a Tourist (EMI, 1979)
Cette histoire de gouttière toujours pas réparée (cf. #2) va finir par m’en coûter, je le crains. Ma femme télétravaille, les enfants ont des télécours et des télédevoirs, et moi, histoire de recoller au peloton, je clame que je suis au téléchômage. Dès lors m’incombe une large part des tâches ménagères, les courses, le bricolage, le jardinage, et que sais-je encore. Sauf qu’évidemment, fidèle à ma mauvaise réputation, j’en fiche pas une rame. Cumul des manquements plutôt que des mandats, et lourds cumulus nimbus qui s’agrègent au-dessus de ma tête. « Là, papa, ça commence à devenir tendu », ironisent les kids. Alors hier, quand ma femme m’a lancé, l’œil noir et des éclairs dans la voix, que je me comportais comme un touriste dans ma propre maison, ma réaction ne s’est pas fait attendre : je n’ai pu m’empêcher de lui sourire en retour et de la gratifier d’un tendre baiser. Pour mieux me précipiter ensuite dans ma grotte (car on est d’accord, Leroy Merlin et Bricomarché, c’est bien fermé ?), déterminé à retrouver ce single (leur deuxième, si je ne m’abuse) de Gang of Four qui se rappelait ainsi à mon bon souvenir. Continuer la lecture de « #4 : Gang of Four, At Home He’s a Tourist (EMI, 1979) »
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#3 : Robert Wyatt, At Last I Am Free (Rough Trade, 1980)
A l’instar d’un Syd Barrett (« I know where he lives and I visit him / In a little hut in Cambridge », chantaient en 1981 les Television Personalities), Robert Wyatt est passé maître dans l’art du confinement, à son corps défendant. Wyatt, batteur de Soft Machine, exclu par ses petits camarades après l’album Fourth (1971), puis fondateur de Matching Mole, traduction pataphysicienne du précédent. Wyatt, défenestré par l’éthylisme en juin 1973, Lazare un an plus tard par la grâce de Rock Bottom, un des plus beaux disques de non-rock au monde. Wyatt, en mobilité réduite depuis plus de 45 ans, paralysé des deux jambes. Continuer la lecture de « #3 : Robert Wyatt, At Last I Am Free (Rough Trade, 1980) »
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#2 : The Monochrome Set, Apocalypso (1980, Dindisc)
Rien ne presse. On ne va pas de sitôt vous inviter à danser la carmagnole sur les décombres. Ni à céder aux sirènes de la collapsologie ou prêter le flanc aux théoriciens de l’effondrement, Cassandre a la pensée moins complexe que nébuleuse. N’empêche que flotte dans l’air comme un parfum de fin, fin de règne plutôt que du monde, que, tout confiné qu’on est, on pourra au choix conjurer ou célébrer par de lascifs déhanchements sur nos dancefloors improvisés. Pour ce faire on avait d’abord extrait de la pile le Death Disco de Public Image Limited, vite remisé car décidément trop martial en cette période kaki marine (faudra quand même se faire à l’idée de naturellement dégainer un Ausweis dès qu’on sort du bois pour se réapprovisionner en spiritueux). Continuer la lecture de « #2 : The Monochrome Set, Apocalypso (1980, Dindisc) »