« Les Années New Wave » de JD Beauvallet (GM Editions)

Alors que les années 80 s’exposent au Musée des Arts Décoratifs de Paris, le livre de JD Beauvallet, Les années New Wave, publié aux éditions GM, vient archiver un âge d’or qui, définitivement, ne nous appartient plus, une époque qui regagne la sphère des récits collectifs. Ce livre album noir et blanc rendant hommage au mouvement musical New Wave, bande son encore vibrante de nos jeunes années, renforce le sentiment inexplicable provoqué par la muséographie d’une partie de notre collection de disques vinyles, des vidéo clips scrutés religieusement sur notre poste cathodique, des habits de Rei Kawakubo ou de Jean-Paul Gaultier dont les photos tapissaient les portes d’armoires de notre balbutiante conquête de style. Fade To Grey. Comment accepter que ce qui fut à l’origine de nos goûts affutés et servit de socle au palimpseste subtil de notre construction identitaire, ce qui se déployait dans l’intimité et au cœur d’un entre-soi averti, se retrouve désormais affiché aux yeux de tous, de tous ceux qui n’y étaient pas, ceux qui, sans n’y rien comprendre, ni en avoir fait l’intense expérience, s’approprient notre morceau de légende ?

JD Beauvallet
JD Beauvallet

Dans ce livre – bible – JD Beauvallet, scribe devant l’éternel de nos années Inrockuptibles, retrace la bande sonore d’une poignée d’années fondatrices faites de quêtes dominicales du NME, de débusquages de pressages rares, de pochettes de K7 religieusement écrites et collées d’images découpées. Est-ce ainsi que se meurent les années adolescentes ? En combien d’années se décomptent-elles ? Il faut se restreindre, souvent, à l’essentiel. Ce sera 1978-1983. Les années New Wave. Alea jacta est. Ainsi naissent les mythes. Au moment précis où les différentes manifestations et formes de l’imaginaire se retrouvent épinglées au mur telle la collection de papillons de Vladimir Nabokov, lorsque le temps se trouve arrêté sur une certaine perfection de fonctionnement systémique global, à la fois commencement et fin d’un scenario qui se suffit à lui-même.
Dans cette cartographie du tendre, JD Beauvallet nous embarque de New York à Londres en passant par Manchester, Liverpool et Bristol, et redessine les chemins de tous nos fantasmes adolescents, l’Angleterre n’est pas si loin.

Brassage, accélération, audace, les années New Wave vont remoder un paysage sonore qui a eu le temps d’exploser et a emporté dans son vortex une flopée de punks new-yorkais. Les anciens et les modernes. La déferlante New Wave ouvre en grand les autoroutes vers le futur, le nôtre. Celui qui transmet le récit, tout natif de province française soit-il, la mienne ou la tienne, fut le témoin direct de cette époque qui l’a traversée qui nous a traversée nous aussi, de manière plus ou moins anecdotique et délocalisée. Membre fondateur du magazine Les Inrockuptibles, il y dirige la partie musicale jusqu’en 2019 et part vivre à Manchester au début des années quatre-vingt, puis ce sera Liverpool, Brighton, Londres. Ses rencontres, concerts, interviews sont documentés dans ce recueil et témoignent de cette grande Histoire tandis que la nôtre se déroule en back office. Mon John Peel s’appelle Bernard Lenoir et mon Haçienda répond au nom de Dolce Vita, ville de Lausanne. Dans ce livre aussi personnel que collectif, JD Beauvallet se souvient des brumes hivernales et de Joy Division, des 400 coups avec The Clash, des nuits nihilistes avec The Cure, à moins que ce ne soit moi. Mais je m’égare. Pourtant, la pile des premiers numéros des Inrockuptibles constitue ma base de données, aussi précieuse que les rouleaux de la mer morte. Je n’y étais pas, mais ma réalité se berce des textes fondateurs, The Beatles and the stones et le visage de Guy Chadwick en plus que pleine page de couverture des Inrocks numéro 21 est si proche de moi que je peux le toucher.
Chaque mythe a ses bases qu’il faut sans cesse réinterroger, c’est l’œuvre au noir offerte par ce livre ; qui des néo-romantiques, qui de l’electropop, qui du punk new yorkais, qui du hip hop naissant allait impulser tout ce que compte la musique actuelle d’expérimentations sonores, de tatactatoum effrenés des free party, de jeune et brillante relève actuelle telle que Sinaïve ? Avant 1978, avant le cadre sans cesse dépassé de ces bornes datées, il y a 1977, l’année de sortie de Low, onzième album de David Bowie, souvent cité, toujours cité, par les protagonistes britanniques post pubères qui vont imaginer la musique d’après. Entre Londres et New York, il y a Berlin, point névralgique de la Mitteleuropa où se mêlent les cultures anglo-saxonnes et européennes et où sera enregistré cet album qui amorce le début de la trilogie dite berlinoise composée avec Brian Eno, comme si là, tout allait désormais s’hybrider : pop expérimentale, Krautrock, ambiant, musique contemporaine, tout s’agite dans ce bouillonnant creuset.

Chaque mythe a son héros, pour retrouver le chemin de nos adolescences dans cette somme hagiographique, il faut en retracer le parcours, une mécanique bien huilée, et retrouver les petits cailloux blancs, autant de repères soniques dans le sentier des épreuves. L’énergie rebelle du Punk est celle de l’adolescence, l’entrée en matière est explosive, sexuelle, exploratoire, beaucoup de X pour une innocence qui va vite devenir Orgasm addict dans sa recherche constante d’intensité (Times’ up, Buzzcocks, 1978). La toile de fond d’une amorce identitaire est pleine de basses fréquences, de guitares crasseuses qui ne craignent ni de se coucher tard, ni la bière au goulot qui finit par coller aux semelles, ni les cheveux rouges enfumés ou la veste de cuir vert sapin. Début du parcours d’errance, chargé de l’énergie erratique de la rue, perdu dans les supermarchés du vide et en substance dans les volutes des foules pogotantes. L’appel du London Calling (1979) et l’engagement militant de The Clash ou les soucoupes volantes hallucinées des B52’s vont sacrément élargir le territoire à explorer, 52 girls (1979), ça fait beaucoup d’amies pour aller aux concerts, beaucoup de pays à traverser ensemble, pour y rire, s’aimer, s’échanger des disques. La rébellion est collective mais bientôt la fête ne suffit plus à tromper le monde. Pas de New Wave sans citer Unknown Pleasures (Joy Division, 1979), axe fondateur de toute une génération qui sent bien que la cérémonie touche à sa fin, le Kaleidoscope (1980, Siouxsie and the Banshees) à travers lequel on scrute désormais les 80’s est un miroir aux alouettes qui brouille la vue et draine des solutions approximatives, la Happy house est un chouïa dissonante et la future réalité ne présage rien de très bon. Dans cette folle recherche identitaire qui se dilate jusqu’à parfois frôler la fragmentation, quelques tempêtes vont être porteuses de belles surprises et de découvertes qui agrandiront encore l’espace. I Dreamed I Dream (Sonic Youth, 1981) sonne l’heure d’un constat, le temps avance, jour après jour, et nous éloigne de l’enfance, il va falloir se mettre au travail pour accéder à l’âge adulte. On change d’ère, passage à l’industrie lourde avec Blixa Bargeld et son groupe Einstürzende Neubauten (Kollaps, 1981), la déconstruction et l’expérimentation sera désormais le Manifeste de notre vie, il n’y aura comme limites que celles qu’on se choisit. Face à cette pression tectonique, l’effondrement guette, trop d’infos, de fatigue, de descentes, trop de réalité aussi à laquelle il faut encore faire face avant de s’individualiser dans l’âge adulte. Une des solutions alternatives va consister en un ultime repli dans la solitude, léger ou profond passage à vide par la dépression, Robert Smith sera le compagnon de route idéal devant l’éternel pour cette traversée-là, What A Strange Day (The Cure, Pornography, 1982) qui porte malgré tout en lui tout l’espoir de la jeunesse et le rouge de ce qui coule dans nos veines jusqu’au dernier jour. L’Allemagne, à nouveau, achèvera d’être le terrain de jeu idéal pour cette ultime transformation, X mal Deutschland (Fetisch, 1983) fusionne rock gothique et pop tribale dans le texte, le label anglais 4AD ne s’y trompe pas en signant le groupe et le romantisme allemand dans sa force légendaire, celle de l’Aufklärung, enfantera de la nouvelle avant-garde des 90’s, tout restant toujours à relancer, nous revenant comme un boomerang.

A partir de là, et de là seulement, il sera temps de réécrire l’histoire, dans cette bande-son à choix multiples, et chacun s’emparera de sa mythologie personnelle et choisira ses divinités et ses parèdres, avant d’embrasser le serpent pour un Perfect Kiss porteur de renouveau. Il s’agira de faire sien un nouveau récit, ajusté à ses mesures comme une parfaite petite veste noire à la carrure ajustée, au tombé impeccable lesté par une chainette invisible planquée dans la doublure ; le temps de lire ou relire les interviews de Bernard Lenoir, John Peel, Morrissey, Kim Gordon et Thurston Moore ou de Peter Hook, de rejouer les playlists géographiques, de lire les chroniques des albums sélectionnés ou les focus historiques ciblant le contexte élargi (Margaret Thatcher) à un essentiel plus restreint mais ô combien essentiel, celui du producteur Martin Hannett (photo), autant de moments savamment compilés par Monsieur Beauvallet, il sera temps de rendre hommage au Passeur. A partir de là, il n’y aura rien de mieux pour se remettre à danser, pour raconter ses histoires préférées, celles qu’on s’écrit seul, affublé de ses Creepers et de son œil charbonneux des années New Wave.


Les Années New Wave par JD Beauvallet est disponible aux éditions GM, tout comme son autobiographie Passeur, sortie récemment en édition de poche.

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