Climats #41 : Sam Burton, Colm Tóibín

Grêle en pleine nuit

Peut-on écouter Tom Verlaine en imaginant nos prochaines longues journées d’été ? Et The Jam sans vouloir danser – c’est possible ?

Climats met en avant disques et livres selon les aléas de la météo.

Le premier matin du monde

Il dira, à l’aube, après une vaste nuit à éponger un mauvais vin chilien: « c’est le nouveau Dylan. » Elle aura ce regard amusé de fatigue et d’ironie, tant la comparaison est vaine. Il la regardera fumer une dernière clope, elle et son profil en courbure. Et sa fameuse coupe des yeux en amande – elle et sa beauté. Tu tiendras à ton fétiche Dylan pour parler du dernier Sam Burton. Tu insisteras mais, elle, elle s’en fout et te demande de remettre la chanson. L’aube arrive, vite. Maria résonne en douceur. Mélodie des premiers temps, ballade increvable tant on pense l’avoir mille fois entendue. Mais mille fois différemment, Maria. Rengaine sortie des trottoirs de Memphis, le fantôme de The Band semble prodigieusement présent dans chacune des notes alignées. Elle demande à réécouter, encore. Il faudrait que l’on arrive à s’en lasser propose-t-elle. Mais comment aller jusqu’à l’écœurement avec la beauté ? La chanson se répète. Et à travers Sam Burton, il y a Sad-Eyed Lady of the Lowlands. Et lui, de cette chanson, il s’en est jamais lassé. Mille fois entendue, mille fois aimée. Alors, il prend le pari avec elle – écoutons encore et encore Maria, ne faisons que cela aujourd’hui, ne faisons que cela et l’amour.

La grêle nocturne

Une semaine alité, qu’aura-il fait? Lire l’histoire de la famille Mann. Entre quelques disques de Kurt Weill et le Black Rider de Tom Waits, la grippe s’est faîte plus douce. Mais revenons au livre passionnant de Colm Tóibín, Le Magicien, qui fut sa seule lecture. Dans ce roman, le récit de la vie du romancier s’ouvre au monde, se fige dans le drame familial aussi. C’est la tension permanente entre les grands espaces et le huis clos qui fascine. L’indécis Thomas Mann aurait encore plus d’ennemis aujourd’hui. Car cet art du secret, de la pudeur et du non dévoilement chez Mann agace et inquiète souvent. Ne pas dire, se taire – étranges manifestations de l’âme pour nous, aujourd’hui, qui attendons trop souvent la plus implacable des transparences. Toibin décrit bien cette haute bourgeoisie paradoxale qu’ont été les Mann. Ce qui le fascine dans ce livre, c’est cette vie passée à porter un masque, à jouer une tragi-comédie – à être à côté de soi. L’auteur de Mort à Venise a donc été sa première victime. Car il a fini par croire à ses mensonges et ne jamais réellement se rencontrer….ou parfois si furtivement. Mais n’est-ce pas là le propre d’un écrivain ce rendez-vous manqué? Il grille quelques clopes en regardant la nuit monter. La grippe semble lointaine et ressemble à s’y méprendre à de la mélancolie. La vie est assez farceuse après tout se dit-il et cela lui convient.


Maria par Sam Burton est sorti chez Partisan Records et Le Magicien de Colm Tóibín  est disponible aux Editions Grasset

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