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Simon Joyner, Coyote Butterfly (BB*Island / Grapefruit)

Owen, le fils de Simon Joyner, est mort d’une overdose en août 2022 et cet album lui est, bien sûr, dédié. Pendant plus d’un an, le songwriter du Nebraska s’est tu, tiraillé par les injonctions contradictoires engendrées par l’insurmontable : tenter d’exprimer l’indicible tout en étant convaincu que, face à la page vierge, il sera de toute façon impossible de parler d’autre chose. Dans de telles circonstances, il semble n’exister que deux solutions. La première consiste à tenter de prolonger en un équivalent formel la rupture existentielle absolue : surligner le coup dur en brûlant ses propres vaisseaux musicaux, ne plus rien faire comme avant parce que rien n’est plus comme avant. Skeleton Tree (2016) de Nick Cave en l’occurrence, où ne paraissaient subsister que les cendres d’une discographie soudainement obsolète. La seconde, tout aussi respectable et à peine moins radicale, consiste à se réinstaller, tant bien que mal, dans la vie telle qu’elle demeure. Ici, le deuil n’est pas une étape qu’il s’agirait de ponctuer pour mieux la franchir. Il se niche au cœur des chansons aux apparences familières. Il accompagne le quotidien. Il surgit dans la vie normale, au détour d’un regret ou d’un souvenir. Continuer la lecture de « Simon Joyner, Coyote Butterfly (BB*Island / Grapefruit) »

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Xeno & Oaklander, Via Negativa (Dais Records)

minimal wave dais recordsLe duo nord-américain Xeno & Oaklander affiche vingt ans d’activisme pour la musique synthétique. L’Etatsunien Sean McBride (Martial Canterel) et la Norvégienne Liz Wendelbo publient régulièrement des albums depuis le milieu des années 2000. Vi/deo, leur dernier en date, remontait ainsi à 2021. Enregistré pendant la pandémie, il voyait le duo s’inspirer de leurs souvenirs sur les pistes de dance à l’ère de la distanciation sociale. Xeno & Oaklander revient ces jours-ci avec Via Negativa. Accompagné du même label (Dais Records) et du même producteur (Egan Frantz), le duo offre à nouveau un plongeon dans une synth-pop incisive et baroque. Continuer la lecture de « Xeno & Oaklander, Via Negativa (Dais Records) »

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Kim Deal, Nobody Loves You More (4AD)

Kim Deal est de ces bonnes et véritables amies qui laissent leur miroir de poche au vestiaire mais ne se séparent jamais de leur intégrité. Je l’ai rencontrée aux détours de sa guitare basse et de ses vocalises vaguement énervées chez les Pixies dès 1986, je l’ai adorée sur le premier et magnifique album de The Breeders, Pod, sorti en 1990 sur le label phare de l’époque 4AD et produit par Steve Albini. Là, Kim retrouvait Tanya Donelly (Throwing Muses et Belly), Josephine Wiggs ainsi que Kelley Deal, sa sœur jumelle. Continuer la lecture de « Kim Deal, Nobody Loves You More (4AD) »

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The Innocence Mission, Midwinter Swimmers (Therese Records / Bella Union)

Il faut toujours considérer sinon chérir un groupe quand il vous a été transmis par des lignes de François Gorin.

Il faut partir à sa rencontre comme à l’aventure, voyage garanti crucial, même si l’on se retrouve contre, ce sera toujours tout contre, au cœur. Et puis, comme je retarde, traîne dans les lacets, ne lis et n’écoute jamais à l’heure, j’ai reçu le choc de la découverte de The Innocence Mission bien après les batailles – des pique-niques pacifiques en réalité– 2020 et See You Tomorrow, et l’on n’avait pas fini de se voir en effet – et j’ai mis un nouveau Lancaster sur la carte, en Pennsylvanie, où vivent Karen Peris (les chansons, la voix, une montagne d’instruments), son mari Don (des guitares et des batteries), et leur ami Mike Bitts (la basse). Et j’ai chéri leurs chansons, leurs disques, surtout ceux de la manière la plus récente, la plus incroyable – chaque ligne de chaque chanson, comme chaque chanson de chaque album, fait son chemin dégagé des époques, avec en cadeau un peu d’air pour les heures les plus lourdes, intelligence subtile du fait d’être et de ressentir, finesse poétique et mélodique, arrangements invisibles – les meilleurs – les seuls. Continuer la lecture de « The Innocence Mission, Midwinter Swimmers (Therese Records / Bella Union) »

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Being Dead, EELS (Bayonet Records)

Le secret Being Dead m’a été révélé il y a cinq ans par un fellow Austinite, de la part duquel j’avais reçu l’un de leurs premiers singles – Hot Car – accompagné de cette phrase qui met toujours du baume au cœur : « Je pense que ça va te plaire ». L’esthétique surf rock lo-fi et l’entrain du duo m’avaient emballée, mais j’étais loin d’imaginer (tout comme cet ami, témoin de leur parcours dans la capitale texane) que quelques années plus tard, l’un de leurs albums se hisserait dans les tops de fin d’année de tous les médias musicaux indés ou presque, Paste et Pitchfork compris.

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Kevin Ayers, All This Crazy Gift Of Time, The Recordings 1969-1973 (Esoteric Recordings)

Toute la musique rassemblée ici a été enregistrée en cinq ans à peine – entre la fin calamiteuse de la tournée américaine de Soft Machine en compagnie de Jimi Hendrix et l’expiration du contrat avec Harvest, faute de succès concluant. Hasards de la numérologie sans doute, c’est à cinq ans que je l’ai découverte. D’abord avec un nom. Associé, comme beaucoup d’autres, à l’enfance et à ces pochettes de disques qui trainaient dans la chambre de ma sœur aînée – en l’occurrence, une réédition qui regroupait en double album Whatevershebringwesing (1971) et Bananamour (1973) dont la garde m’a été généreusement attribuée depuis. Une musique ensuite, bizarre – un peu trop pour mes oreilles mal accoutumées aux dissonances – différente, incertaine. La voix si grave n’était pas désagréable – sauf quand elle était monstrueusement déformée : je détestais Song From A Bottom Of A Well – mais c’était comme si ce compositeur paresseux ne s’était pas donné la peine de terminer proprement et sérieusement toutes ses chansons. Cette sensation de négligence improvisée me troublait et m’inquiétait un peu. J’entendais bien quelques morceaux qui me plaisaient déjà mais, petit garçon, je préférais que mes chanteurs se comportent en adultes responsables, au moins sur toute l’entièreté d’une face, et qu’ils s’en tiennent à de vrais couplets suivis de refrains que l’on pouvait fredonner aisément. Comme Cat Stevens ou les Beatles, par exemple. Continuer la lecture de « Kevin Ayers, All This Crazy Gift Of Time, The Recordings 1969-1973 (Esoteric Recordings) »

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Dottie Doppler, Dottie Doppler plays (Fréquences Critiques)

Il s’agit d’un phénomène bien connu : l’omniprésence d’une tendance musicale, la généralisation de ses gimmicks d’écriture ou de production, provoque quasi-systématiquement une forme de réaction ou de contrepied. Celle du laptop dans la musique expérimentale du début des années 2000 a logiquement contribué à ce que ce développe son contraire, à savoir la montée en puissance d’une esthétique de l’analogique, du matériel retro, de la circuiterie et du câblage. On ne pourrait comprendre la renouveau de la synthèse modulaire autrement, ou encore l’essor de labels comme  Da ! Heard It Records ou Tanzprocesz. Car cela fait maintenant une bonne quinzaine d’années que se développe une scène mutante aux contours en perpétuelle évolution, qui réinvestit différents genres allant de l’indus oldschool aux entreprises électroniques concrètes ou aux différentes formes de bruitisme DIY. Continuer la lecture de « Dottie Doppler, Dottie Doppler plays (Fréquences Critiques) »

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Kit Sebastian, New Internationale (Brainfeeder)

2024 pochette BrainfeederDepuis 2019, Kit Sebastian construit une délicate discographie. Melodi (2021) succéda à Mantra Moderne (2019). Le groupe londonien ajoute ces jours-ci un troisième joyau à leur couronne déjà bien garnie. Toujours composé du musicien anglais multi-instrumentiste Kit Martin et de l’artiste chanteuse turque Merve Erdem, Kit Sebastian change de label mais certainement pas son propos. D’abord domicilié chez les têtes chercheuses de Mr Bongo (SOYUZ, Project Gemini, Sven Wunder, Marxist Love Disco Ensemble), le duo est désormais hébergé chez Brainfeeder (Thundercat, Louis Cole, Mr. Oizo), le label californien créé par Flying Lotus qui travaille main dans la main avec les vétérans de Ninja TuneNew Internationale (2024) reprend ainsi l’histoire à l’endroit où ses prédécesseurs s’étaient arrêtés. Continuer la lecture de « Kit Sebastian, New Internationale (Brainfeeder) »