Un ciel bas, des vitres embuées. Le shoegaze c’est avoir la tête penchée. Maria Somerville est rentrée chez elle, dans le Connemara, là où les montagnes plongent dans l’Atlantique et où le lac Corrib réfléchit des ciels changeants — et Luster, son deuxième album paru chez 4AD, porte en lui toute la lumière diffuse de ce retour-là. Dans le petit studio de son salon, avec des comparses de l’île (Henry Earnest, Finn Carraher McDonald, Ian Lynch de Lankum à la cornemuse uilleann sur Violet), Somerville a filé 12 titres comme des petits tableaux sonores — le paysage irlandais vu à travers l’eau perlée d’une brume, comme J. M. W. Turner quand il vise le point d’abstraction atmosphérique (soit le train ou la guitare). Une musique comme un linge humide posé sur un front fiévreux : apaisement mais chute du linge au moment exact où nous penchons la tête justement. Continuer la lecture de « Maria Somerville, Luster (4AD) »
Étiquette : année : 2025
Catégories sous surveillance
Sous Surveillance : Païkan

Qui ?
Rémi aka Païkan est producteur de musique électronique, touche-à-tout talentueux qui navigue entre création, médiation, DJing, développement de projets associatifs, labels… mais qui trouve quand même le temps de jouer avec ses synthétiseurs.
Où ?
À Dijon, où il réside, au sein du studio uma, un indispensable lieu pluridisciplinaire dédié à l’audiovisuel où se fréquentent artistes et associations. Mais aussi dans d’autres lieux/résidences, selon les opportunités. L’album qu’il prépare pour 2026 a principalement été composé à la campagne à Collonges, pas loin de Tournus dans le 71, chez ses copaines du groupe Marie Madeleine dont il avait transformé la maison en studio de musique. Continuer la lecture de « Sous Surveillance : Païkan »
Catégories Chronique en léger différé
Brooke Combe, Dancing At The Edge Of The World (Modern Sky)
On ne l’a pas tout de suite su, mais c’était là dès le début. Dès l’achat de The Gift de The Jam (au printemps 1982, après le concert à Amsterdam diffusé dans l’émission Mégahertz d’Alain Maneval) et l’une des photos de la pochette intérieure – une photo bleutée où un type réalisait une sorte de figure acrobatique ; dès le premier album de Dexys Midnight Runners aussi, les hommages à Geno et bien sûr, la reprise – dont on a mis du temps à apprendre que c’était une reprise. Et ensuite, c’est revenu comme un ressac au fil des ans, des clins d’œil, des hommages, un titre, un nom, un état d’esprit. Paul Weller – que reprend d’ailleurs Brooke Combe avec brio – comme chef de file, à la tête du Style Council puis en solo. The Verve et son deuxième album qui portait un titre sans ambiguité. Le single incroyable de Contempo, U B Naughty, les samples de Spearmint, les clins d’œil de Pulp ; Doves et le nom du label où tout a commencé – Casino –, la réinvention de Texas – et la culture du bassiste Johnny McElhone, n’en déplaise à beaucoup –, les plaisirs simples de Tindersticks… Mais tout le reste aussi : Tainted Love de Soft Cell, le set DJ de Bob Stanley – je crois que c’était en 2002 – au Pop In (notre Casino à nous, justement), les coups de cœur de Birdie, l’une de mes toutes premières playlists pour Les Vinzelles – intitulée Hit The North(ern soul) – que j’avais d’ailleurs imaginée pour tenter d’impressionner l’une des deux patronnes… Continuer la lecture de « Brooke Combe, Dancing At The Edge Of The World (Modern Sky) »
Catégories chronique nouveauté
Oneohtrix Point Never, Tranquilizer (Warp)
La musique électronique, dans ses formes les plus modernistes et avant-gardistes, a toujours eu une dimension conceptuelle. Que l’on évoque, au hasard, Chiastic Slide d’Autechre (1997) ou Prototypes d’Alva Noto (2000), un rigorisme formel s’impose à l’auditeur.rice. On pense à ce qu’écrivait Jonas Mekas à propos du cinéma « structurel » (Michael Snow, Ken Jacobs) : la « manipulation consciente » (1) de formes. Un art qui se définit par un haut degré de réflexivité, par la place centrale qu’il accord au matériau – ici le medium électronique. Or c’est précisément depuis ce bord le plus souvent spéculatif, mais en empruntant une voie qui lui serait légèrement oblique, que Daniel Lopatin élabore depuis une grosse vingtaine d’années l’une des œuvres les plus importantes du répertoire contemporain – sous différent allias (Chuck Person, Ford & Lopatin, etc.) mais aussi et surtout avec Oneohtrix Point Never, son projet le plus célèbre et marquant. Continuer la lecture de « Oneohtrix Point Never, Tranquilizer (Warp) »
Catégories chronique nouveauté
Vanity Mirror, Super Fluff Forever (Factor)
Brent Randall fait partie de ces artistes pour lesquels la liberté créative semble d’autant plus précieuse qu’elle se conquiert au terme d’une lutte avec les contraintes auto-imposées. A l’instar de son précédent album – Puff (2023) – tout semble ici avoir été conçu pour tendre, autant que faire se peut, vers l’horizon de la perfection pop dans un cadre minimaliste au sein duquel les limites matérielles se métamorphosent en ressources inattendues pour déployer l’imagination. Un ordinateur portable, deux guitares et autant de micros, un piano à peine accordé récupéré sur l’équivalent local du Bon Coin : il ne lui en a pas fallu davantage pour donner vie à ces treize miniatures, enregistrées avec les moyens minuscules du tout petit bord entre Toronto – où il réside la plupart du temps avec sa compagne Madeline Doctor – et la Californie où habite le troisième membre permanent du groupe, le batteur Johnny Toomey. Dans l’OuChaPo (Ouvroir de chansons potentielles ?) de Vanity Mirror, chaque chanson semble pourtant se déployer jusqu’à déborder des frontières confinées du cadre naïf et artisanal dans lequel elles ont été initialement composées. Continuer la lecture de « Vanity Mirror, Super Fluff Forever (Factor) »
Catégories mardi oldie
The Flamin’ Groovies, Shake Some Action (Sire, 1976)
Des groupes américains ou anglais ont parfois trouvé davantage de résonance en France que dans leur pays d’origine. Des Real Kids en passant par les Inmates, nombreux furent ceux à trouver un public enthousiaste dans l’Hexagone. Les Flamin’ Groovies font indéniablement partie de cette formidable confrérie informelle d’esthètes et de dandies. Groupe poissard par excellence, les Californiens ne pouvaient que fasciner les Français. En effet, il y a chez ces groupes un truc qui colle parfaitement à l’éthos franchouillard : cette passion pour les perdants magnifiques. Nous avons d’ailleurs les nôtres avec les géniaux Dogs. Les amateurs de rugby ne nous contrediront pas, le french flair, l’esprit de combativité et tous ces honneurs sans médaille sont intrinsèques à un certain esprit français. Le parcours des Flamin’ Groovies présente ainsi quelques similitudes avec le XV de France : premier dans les cœurs, jamais sur le podium. Continuer la lecture de « The Flamin’ Groovies, Shake Some Action (Sire, 1976) »
Catégories chronique nouveauté
Onyon, Pale Horses (Mangel Records / Swish Swash)
Ceux qui comme moi s’étaient rendus à l’Hôtel des Vils (Clermont-Ferrand) en juin 2024 pour voir Nathan Roche en concert, avaient par la même occasion eu le bonheur de découvrir les Allemands d’Onyon sur scène. « Il faut vraiment que tu restes pour écouter mes potes de Leipzig, ce qu’ils font est super bien », m’avait averti l’Australien exilé en France. Et il avait mille fois raison ! Ce groupe mixte, mené de front par la guitariste /chanteuse Ilka Kellner et la claviériste /chanteuse Marie Untheim, accompagnées par le bassiste Florian Schmidt et le batteur Mario Pongratz, avait délivré un set intense et tendu qui avait marqué les esprits. A l’époque, le quatuor mixte venu de Saxe avait déjà publié chez Trouble In Mind deux albums plus que réjouissants – Onyon et Last Days on Earth, qui mêlaient des guitares aux effets dissonants typiquement egg punk, à des claviers minimalistes se posant impeccablement sur une basse / batterie dépouillée mais terriblement efficace. A ceci s’ajoutait un chant froid, sans chichi, mais captivant, qui donnait une grande partie de son charme à ce groupe. De ces deux premiers albums publiés en 2022 et 2024, on avait retenu les très enthousiasmants Kanal, Klick, Alien,Alien, Dogman ou encore O.U.T, avec une petite préférence pour les titres chantés en allemand. Continuer la lecture de « Onyon, Pale Horses (Mangel Records / Swish Swash) »
Catégories sunday archive
Edwyn Collins, l’adieu aux armes

Le 8 octobre dernier – vingt ans après les deux AVC qui l’ont rendu handicapé mais jamais à court d’idées –, il est monté pour la dernière fois sur scène dans sa Grande-Bretagne natale. En tout cas, aucun signal ne semble passer au vert pour une éventuelle venue sur le Vieux Continent, mais si tel était le cas, je crois qu’on serait quelques-unes et uns (au hasard, Pascal Blua et Ibon Errazkin en tête) bien décidés à parcourir plusieurs kilomètres pour le (re)voir. Edwyn Collins est pour certaines et certains d’entre nous l’un des acteurs essentiels de cette période où la musique s’est mise à prendre une part bien trop (?) importante dans nos vies – Michel Valente me prête une déclaration fracassante à ce sujet, dans laquelle il serait aussi sujet de foot et de filles, mais je crois qu’il affabule –, une période où il arrivait souvent que nous découvrions un groupe par ses photos, ses interviews ou les mots qu’écrivaient des journalistes britanniques à leur sujet – c’était souvent la course chez New Rose le samedi après-midi pour acheter le dernier exemplaire du Sounds, du NME ou du Melody Maker qui restait de l’arrivage du jeudi précédent (je crois que c’était le jeudi). Continuer la lecture de « Edwyn Collins, l’adieu aux armes »