Je n’ai pas osé tout lui dire. Ce n’est, de toute façon, pas possible. Comment lui avouer, en effet, ce qui relève indéniablement des travers un peu ridicules qu’engendre la passion musicale. Ce disque dur, que je conserve encore dans un état de marche pour le moins incertain et qui contient une soixantaine de bootlegs non officiels que je n’ai jamais écoutés, pour la plupart, mais dont la seule présence demeure curieusement réconfortante. La conviction totalement infondée que, sur l’enregistrement pirate de son concert au Café de la Danse du 6 février 2011, c’est moi que l’on entend crier un peu plus fort que les autres sur le refrain de Tear Stained Letter. Continuer la lecture de « Richard Thompson : « J’ai composé environ 450 chansons dans ma vie » »
Il n’y en a pas beaucoup. Peut-être n’y a-t-il que lui. Des artistes français capables de chanter : Rock’n’Roll sur un refrain – celui d’Enfant Terrible, le premier morceau de son nouvel album – sans susciter ni cette gêne incrédule ni ce malaise décalé qui accompagnent les tentatives pataudes pour s’approprier les reliques d’une forme lointaine et disparue. Dans les accents élégants de cette voix – de plus en plus grave, de plus en plus belle – on ne discerne aucune prétention vaine à ressusciter ce qui n’est plus. Simplement à faire vibrer, une fois encore, cette nostalgie sereine qui imprègne depuis longtemps l’œuvre essentielle de Johan Asherton. Continuer la lecture de « Selectorama : Johan Asherton »
Il est des engouements inattendus qui donnent le sourire. De fait, la musique du canadien Patrick Flegel, connu auparavant comme chanteur et guitariste du groupe Women et qui, depuis plus d’une dizaine d’années, traîne son spleen bricolo/bruitiste théâtral sous le pseudo queer Cindy Lee, ne respirait jusqu’à présent pas l’accessibilité et l’enthousiasme de masse. Trop étranges, trop bruitistes, trop intimes, les chansons à fleur de peau du canadien étaient continuellement traversées d’impulsions sonores lo-fi couplées à des mélodies façon girls group 60’s parfois sublimes mais masquées derrière des rideaux de larsens et autres éclats noisy. What’s Tonight To Eternity, formidable album de 2020 avait déjà laissé apercevoir un avenir plus pacifié, sur la forme toutefois. Continuer la lecture de « Cindy Lee, Diamond Jubilee (Realistik Studios) »
Dans la série « groupe sensationnel qui ne rencontre pas de succès et qui disparaît sans prévenir », Eugenius tient le meilleur épisode. Ayant pour premier fan Kurt Cobain, sonnant bien mieux que Pearl Jam (à la même époque), possédant une palanquée de bonnes chansons, Eugenius avait tout pour réussir. Le public en décida autrement et préféra s’infliger des groupes peu recommandables. Trente ans après sa sortie, l’ultime disque des Eugenius sonne merveilleusement bien et laisse toujours pantois. Comment les fans de Swell, d’Husker Dü et de Nirvana ont-ils pu passer à côté d’un tel groupe ? Continuer la lecture de « Eugenius, Mary Queen of Scots (August Records, 1994) »
C’était il y a vingt ans – presque très exactement. La RPM canal historique était devenue (ou en passe de devenir) le média qui plus que tout autre allait prendre fait et cause pour les disques de Jean-Louis Murat, certes déjà adoubé par Les Inrockuptibles (LA fameuse une bleue délavée du numéro 31) mais qui avait trouvé en la plume du journaliste Franck Vergeade un thuriféraire d’une rare fidélité. L’Auvergnat n’était pas encore devenu le stakhanoviste des sorties d’albums – il en était aux prémices – et ses interventions médiatiques ne défrayaient pas encore les chroniques. Certes, il s’était mis à nu (au propre, pour le coup) dans un numéro de la RPM (le numéro 45 pour celles et ceux qui sont intrigués), et cela nous avait valu une mention dans un ou deux confrères moins portés sur la chose musicale. Quoi qu’il en soit (car je sais que d’aucuns chipoteront), il avait déjà cette sainte horreur de se répéter et aimait surtout concrétiser ses idées, mêmes les plus farfelues – ce qui n’était pas le cas ici. Coincé entre Lilith et 1829, A Bird On A Poire n’était pas je crois à proprement parler un album de Jean-Louis Murat – et tant pis si je suis excommunié pour écrire cela. Ce disque aussi gai que les traits légers et pastel de sa pochette, aux accent sixties et aux tons résolument badins (coquins, oseraient certaines et certains) est un album imaginé à deux et enregistré à trois (un peu plus en fait) – composé et écrit par le bassiste suisse Fred Jimenez et celui qu’on commence à surnommer Le Moujik, rejoints en studio par l’Américaine Jennifer Charles, dont la voix caressante – oui, exactement, de celles qui tiennent dans un mouchoir – avait déjà épousé celle de Murat cinq ans plus tôt, sur ce qui reste peut-être comme la pierre angulaire d’une discographie plurielle, l’œuvre outre-atlantique Mustango. Continuer la lecture de « Jennifer Charles, la fidèle »
Au moment de la sortie du nouvel album de Beth Gibbons, Lisa Balavoine retrace le chemin qui la relie à elle.
Il y a trente ans, je tombais amoureuse d’une femme. Je tombais amoureuse d’une voix, d’un timbre, d’un souffle, d’un murmure. Je tombais amoureuse d’une façon de se tenir debout, de s’arrimer au micro, de fermer les yeux, de porter un carré long, un jean noir et un tee-shirt noir aussi. Je tombais amoureuse d’une élégance rare, d’un phrasé singulier, d’une délicate modestie. Je tombais amoureuse de Beth Gibbons. Continuer la lecture de « Trente ans dans la vie d’une femme. »